Bergers - Une

[TIFF] Bergers – L’amour est dans le pré

« Si le monde doit s’écrouler, je préfère être berger que de ne pas y avoir trop participé. »

Bergers - Affiche

Mathyas (Félix-Antoine Duval) troque sa vie montréalaise de jeune publicitaire pour devenir berger en Provence. La dure réalité du monde pastoral le force toutefois à remettre en question sa vision romantique du métier. La visite d’Élise (Solène Rigot) , une fonctionnaire ayant cavalièrement quitté son boulot, donne une nouvelle direction à la quête de Mathyas. Ensemble, ils amorcent une transhumance avec un troupeau de moutons à leur charge. Traversés par les rencontres et les épreuves de la montagne, ils vont se façonner une vie nouvelle.

5 ans après l’immense succès d’Antigone, la réalisatrice Sophie Deraspe revient sur grand écran avec sa dernière œuvre, Bergers. Librement inspiré du livre D’où viens-tu, berger de l’écrivain Mathyas Lefebure qui coscénarise sa propre œuvre littéraire. Avec Bergers, Sophie Deraspe présente un film hybride offrant une odyssée aussi euphorique qu’infernale! Bienvenue aux confins des montagnes hallucinées des Alpes.    

La transhumance de l’esprit 

« Le cœur à ses raisons que la raison ne connaît point », disait Pascal. Si Blaise Pascal clamait cet aphorisme au nom de Dieu, Mathyas, pour sa part, le clamait pour son intention de devenir berger. Le film n’explique pas ou ne se penche pas sur les raisons de cette quête de la part de ce jeune Québécois, que les Provençaux analysaient comme une bête de foire. 

shepherds - Bergers - Transhumance
Mathyas (Félix-Antoine Duval)

Ici, il ne s’agit pas de comprendre ou de se justifier, Bergers est avant tout un film à sensations. Un film où l’histoire devint presque un accessoire facultatif. Un film quasi contemplatif duquel émerge un fort cachet documentaire soulignant l’authenticité de ce récit. Comme si Deraspe voulait décaper l’image idyllique de la Provence, comme si montrer de simples bergers suffisait à mettre en lumière la part d’ombre de cette région. Oui, en projetant son personnage principal dans son rêve, la réalisatrice installe dans son sillon une sorte de Mondo. Genre cinématographique, un peu oublié, mais qui s’avère efficace afin d’observer de manière crue la déconstruction du rêve de l’ex-publiciste. C’est bien là le point d’ancrage du premier tiers du film, appréhender la transformation des ambitions de ce jeune homme en une bergerie de désillusions.

« Le soir, quand mes muscles sont rompus, le soir, je réalise le chemin parcouru depuis la chimère qui m’a fait tout quitter. En attendant la montagne, celle qui offrira de l’herbe aux brebis et du ciel à leur gardien, je prends mes notes. Un jour, j’écrirai mon propre manuel du berger. » 

Des désillusions en crescendo dont la mise en scène laconique est cadrée par des plans d’ensemble à la courte focale ressemblent à des tableaux désuets et paradoxalement criants de message. Il y a quelque chose d’hypnotisant à regarder les plans des bergers en train de travailler, il y a quelque chose de vrai et de sincère qui se dégage du film. Les images jaunâtres sentent le foin et la sueur du travailleur. La modestie des séquences laisse transparaître tout leur naturalisme pour en extraire une dimension cinéma-vérité. Loin des envolées lyriques ou des scènes mélodramatiques, on se laisse bercer par le bruit des cloches. 

Les sentiers de l’âme : ascension vers la vérité

« Nous l’apprenons un peu plus chaque jour, être berger, c’est une façon d’être au monde qui ne se segmente pas entre le travail et les loisirs. Nous sommes toujours moutons. Même la nuit, car nous sommes inquiets d’eux, et toujours au loisir même le jour en les dirigeant. »

Au-delà de l’ambition, ce qui traverse le film, c’est la quête de sens. Le sens de quoi? Il se pourrait que cela soit simplement le sens de la vie, mais le film ramifie tellement de sujets et laisse tellement de liberté au spectateur pour déterminer sa propre signification que cela devient déroutant!

Le long-métrage est à l’image des personnages que rencontrera Mathyas : simple et compliqué à la fois. Des personnages rencontrés que le film dévoile sous un subtil ton humoristique allégeant les scènes à travers des dialogues aussi cyniques que spontanés. Cynique, car apparemment, « avec l’animal, il faut être raciste » selon Ahmed, le berger qui forma Mathys et Spontané, car selon madame Tellier, le pessaire, il faut le prendre « dans le sens du père et du fils et l’enfoncer jusqu’au Saint-Esprit » de la brebis. 

Le film dans son sillage tire tous azimuts sur le système social, la folie du travail, la solitude du berger, et bien sûr la politique et ses dirigeants que Dudu aimerait bien « pendre au lampadaire de la mairie ». Mais Sophie Deraspe ne montre jamais la souffrance du berger! Elle esquisse ses galères, ses peines, mais jamais ses souffrances. Pourquoi dirons-nous? Car le propos du film va au-delà de la personnification du tire larme forcée. La satire prend toutes ses aises au milieu des champs.   

Écrire sa vie sur les alpages

C’est aussi via les rencontres et surtout celle d’Élise. Cette dernière s’engage avec Mathyas dans une transhumance avec le troupeau. Le film prend une tournure plus fictionnelle et dramatique. Doucement, l’histoire se donne des allures d’Odyssée. Une aventure et une quête initiatique dont les plans plus serrés captent l’euphorie et la mélancolie des aventures. 

Bergers Les alpages

Sans doute que la présence au scénario de Mathyas Lefebure a aidé énormément la construction du film pour garder cet aspect rythmé du livre, pour aussi insuffler à l’histoire un côté très réaliste. Le réalisme est un adjectif qui peut parfaitement résumer aussi la vision artistique de Sophie Deraspe. Les challenges les plus simples paraissent des plus incongrus. L’attachement au personnage se fait facilement surtout grâce aux performances du duo Félix-Antoine Duval et Solène Rigot. On le suit dans leur quête de sens, dans leurs interrogations, dans leur relation au milieu des Alpes. 

Parmi les bêlements, le sens résonne

Au-delà du film, la cinéaste québécoise intègre son film dans sa filmographie où la complexité de l’être humain est déconstruite. Que ce soit dans Bergers ou à la télé avec Bête noire (saison 1), la quête de sens ou d’introspection est toujours au centre des enjeux de ses œuvres. 

Ces problématiques peuvent facilement se transposer dans Bergers qui est toujours traversé par une ambiance quelque peu troublante. Quelles sont les raisons qui ont poussé Mathyas à quitter Montréal et ses conditions confortables? Que fuit-il? Pourquoi devenir Berger en France et pas dans une région québécoise? À la recherche du sens et de la compréhension de soi, on y trouve plus de questions que de réponses. La paix ou la quiétude ne se cherche pas, mais plutôt elle se décide, ou se dessine quand on accepte ses conditions. L’âme humaine est une zone grise telle une cloche de berger dont le son varie selon les vents de la montagne. 

Un film ne peut offrir une réponse définitive, mais trace des sentiers au bout desquels ne reste plus que le sourire, seule apaisée qui se dévoile face aux montagnes hallucinées.  

Bergers est présenté au TIFF les 6, 7, 8 et 10 septembre 2024.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Bergers
Durée
114 minutes
Année
2024
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Sophie Deraspe
Scénario
Sophie Deraspe et Mathyas Lefebure
Note
7.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Bergers
Durée
114 minutes
Année
2024
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Sophie Deraspe
Scénario
Sophie Deraspe et Mathyas Lefebure
Note
7.5 /10

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