KIDNAPPED - Une

L’enlèvement — Non possumus

« Tutto è stato fatto in piena regola… second diritto canonico. »
[Tout a été fait dans les règles… selon le droit canonique.]

Enlèvement - Affiche

23 juin 1858, Bologne, États pontificaux. La famille Mortara, qui est de profession juive, reçoit ce soir-là la visite de soldats sous les ordres du Pape Pie IX, qui est à cette époque considéré comme le pape-roi des différents États pontificaux qui forment l’Italie. Les soldats ont pour ordre de prendre Edgardo Mortara, le garçonnet de six ans de la famille. Pour cause, bien qu’il soit juif, il aurait été baptisé à son jeune âge par sa servante à l’insu de ses parents. Il se fera donc enlevé à sa famille et se rendra à Rome pour recevoir une éducation catholique, malgré le refus de ses parents.

Situé dans l’Histoire

L’affaire a fait grand bruit à l’époque, non seulement dans les communautés juives à travers l’Europe, mais aussi dans les journaux dénonçant les agissements du pape. Même de grands souverains comme Napoléon III l’ont dénoncé. Les échos se rendirent même jusqu’en Amérique, ayant notamment fait la une du New York Herald. Certains historiens considèrent même que l’événement serait l’une des causes de l’unification de l’Italie en 1870 et marqua la fin des États pontificaux. Cette histoire n’a cependant pas inspiré les cinéastes pendant un temps. Steven Spielberg a tenté un moment de réaliser sa version (ce qui a été mentionné dans ma première liste des films avortés), mais ce sera finalement le cinéaste vétéran italien Marco Bellocchio (Vincere, Dormant Beauty, Le traître) qui adaptera l’histoire avec L’enlèvement, qui a fait partie de la Sélection officielle du Festival de Cannes 2023.

KIDNAPPED - Situé de lhistoire

Le sujet est un choix de prédilection pour le réalisateur, connu pour ses opinions politiques très penchées vers la gauche et qui a souvent parlé des contradictions politiques et sociales de l’Italie. D’autant plus que l’affaire continue de faire débat aujourd’hui, surtout quand Pie IX, qui a été béatifié en 2000, n’a jamais été condamné pour ses actions. Le cinéaste a surtout pris une approche classique du cinéma, relatant les faits dans le film en se basant sur de véritables textes historiques. La mise en scène reste très sobre et académique, sans trop d’artifices, avec une esthétique réaliste (excepté quelques scènes plus fantasmées) ce qu’il faut pour laisser marcher le script.

Église hypocrite

C’est là que le film déploie toutes ses cartes. Écrit par Bellocchio, Susanna Nicchiarelli et Edoardo Albinati, le long métrage relate les effets que l’enlèvement du jeune Mortara a eus sur lui, sa famille, l’Église et l’Italie, sur une période de 20 ans. Il présente entre autres la répression politique et religieuse que le Vatican pratiquait, même si le contexte politique de l’époque est un peu survolé. Mais le plus intéressant, est que les thèmes les plus importants, soit l’antisémitisme et l’endoctrinement presque fasciste de l’Église catholique, ne sont pas démontrés frontalement. On les voit bien à travers les scènes d’éducation catholique d’Edgardo Mortara, où la naïveté du jeune garçon le rend très influençable à sa nouvelle éducation, ce qui lui fait perdre son identité, avec les membres du clergé qui reste très doux avec lui. Tellement qu’alors, on pourrait s’y attendre, il n’y a pas une scène de punition de la part des prêtres. Une manière intelligente de démontrer l’influence de l’Église qui mènera le jeune garçon à couper ses racines.

KIDNAPPED - Église hypocrite

Cependant, ce qui peut être considéré comme le vrai danger, et est le plus abusif, est le pape lui-même. Car si L’enlèvement vaut le coup d’être vu, c’est surtout pour l’interprétation de Paolo Pierobon dans le rôle du pape Pie IX. Même s’il n’apparait pas souvent, il éblouit toutes les scènes dans lesquelles il se trouve. À la fois chaleureux et calme, mais aussi effrayant et paranoïaque, il laisse une présence inoubliable dans le film. C’est à travers lui que Bellocchio démontre à quel point l’Église, et les hauts pouvoirs dans son ensemble, peut se montrer cruel et manipulateur. Il faut saluer l’acteur qui a été capable de refléter tous ces aspects. 

L’enlèvement n’est pas le film le plus excitant, son rythme assez lent peut en décourager certains. Mais si on laisse passer ça, il offre une histoire fascinante, troublante et extrêmement bien retranscrite sur l’injustice, l’importance de l’identité et la répression religieuse. Même si on peut se demander comment un grand réalisateur comme Spielberg aurait abordé le sujet, Marco Bellocchio a fait un excellent travail.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Rapito
Durée
134 minutes
Année
2023
Pays
Italie
Réalisateur
Marco Bellocchio
Scénario
Marco Bellocchio, Susanna Nicchiarelli et Edoardo Albinati
Note
7.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Rapito
Durée
134 minutes
Année
2023
Pays
Italie
Réalisateur
Marco Bellocchio
Scénario
Marco Bellocchio, Susanna Nicchiarelli et Edoardo Albinati
Note
7.5 /10

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