Malartic - Une

Malartic — Le silence est d’or

« — Mais ça, c’était la première rue de Malartic… Une des premières parce que la canadienne était au boute là, fait que ils l’ont…
— C’était tout droit.
— Tout droit… »

Malartic - Affiche

Révélant les promesses trahies d’un mégaprojet de mine d’or à ciel ouvert, Malartic plonge au cœur du pouvoir et pose la question de la gestion de notre territoire.

Quand l’argent parle, la vérité se tait

Si une compagnie minière offre des compensations à des citoyens pour justifier de raser une partie de leur ville tout en promettant de rendre à la ville ce qui lui revient, on doit la croire? Dans la peur d’être rayé de la carte, c’est l’évidence même d’accepter sans trop poser de questions. Ce sont alors les mots de Jonathan Kent, père de Clark Kent, dans le film Superman VS The Elite qui dit (et là je vais traduire): « Clark, quand les gens ont peur, ils ont tendance à prendre le premier train qui passe avant de voir qui le conduit »; bien sûr, cela s’applique aussi aux trains de pensée. Dans le doute, toujours suivre son flaire; mais l’argent n’ayant pas d’odeur, il devient alors difficile de prendre conscience du piège lorsqu’il pointe le bout de son nez. 

Mine à ciel ouvert Canadian Malartic
Mine à ciel ouvert à Malartic – ONF

La minorité oppressée est toujours bruyante et c’est ce bruit qui dérange; l’irritation est telle que l’on finit par préférer le bruit des explosions. Le silence est d’or dit-on, mais quelle est la réelle valeur d’une bonne nuit de sommeil? (Batman: The Animated Series – 40 If You’re So Smart, Why Aren’t You Rich?). Oui, je sais. Je fais beaucoup de références quand je parle et c’est simplement parce que je crois que le langage n’est pas qu’un agencement de mots, mais aussi d’idées. Des paraboles savamment construites pour nous aider à mettre en lumière des vérités que l’on ose afficher directement au grand jour.

Pour le réalisateur Nicolas Paquet, il n’est pas question de faire des analogies dans la construction de son documentaire complexe sur l’industrie minière dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue. Le film Malartic survole et plonge au cœur du gouffre que crée une des plus grandes mines d’or à ciel ouvert au Canada dans la vie des habitants de la petite ville d’à peine 3500 habitants. Une situation alarmante qui enterre les cris des citoyennes et citoyens de Malartic sous les sons tonitruants des détonations des forages miniers. On déplace et démolit autour de 200 logements; on fait des plaintes; on remet des amendes très salées pour le bruit et la pollution, mais jamais incapacitantes pour la compagnie minière. Après tout, comment l’argent peut-être utilisé comme punition pour une industrie de plusieurs milliards de dollars?

Une vision en or et blanc

À la minute 48 commence un plan large de la ville de Malartic en travelling nous montrant à gauche les habitations et tranquillement se dévoile à la droite l’imposante cicatrice grise. Près de deux minutes de ce spectacle sans interruption… rarement ai-je vu quelque chose d’aussi angoissant, préoccupant, mais surtout horrifiant.

Malartic - Une vision en or blanc - Vue-hotel-de-ville-Malartic
Vue de l’hôtel de ville de Malartic

Jean Hétu, en 1976, écrivait dans son livre Le pauvre, la machine judiciaire et la détention; un ouvrage sur l’injustice sociale des punitions imposées par le système judiciaire : 

« Pour plusieurs de telles amendes ne sont que de simples “coûts de production” ajoutés au passif de leurs activités illégales. Pour les pauvres, ces peines pécuniaires, même minimes, représentent un fardeau financier beaucoup plus important. L’emprisonnement avec toutes les conséquences qui en découlent (casier judiciaire, perte d’emploi, difficultés financières accrues pour la famille, augmentation des prestations de bien-être social, troubles émotifs et familiaux) apparaît, encore ici, attribuable davantage au manque d’argent qu’à la conduite criminelle. Tout cela, “c’est indirectement le résultat du délit et directement, c’est le résultat d’être pauvre et incapable de payer l’amende™” » p.100-101

Pour les citoyens de Malartic, la réalité est la suivante : les conditions qu’ils allaient endurer — et qu’ils ont endurées — étaient dans la condition intrinsèque que la ville saurait aussi profiter de l’exploitation des richesses des « matières précieuses » qui l’entourait. Pour ceux et celles qui habitent la région, c’était la promesse du renouveau de l’abondance qui avait fait naître cette dernière au début des années 30 du siècle dernier. Malheureusement, depuis le début de cette nouvelle entreprise minière les commerces ne cessent de fermer, la population est en déclin et les conditions nécessaires à leur survie s’amoindrissent.

Pour le Président de la corporation qui détient la mine, la mine est une opportunité dit-il d’emplois, de richesse et, etc. (ou « so on » dans ce cas-ci); ses mots qui éveillent en moi le sentiment que les énumérations courtes sont rarement rassurantes, surtout lorsqu’elle se termine par un et cetera. Selon les commentaires qu’il a reçus de la part des environnementalistes, la mine ne ferait que créer de futurs chômeurs, car elle ne serait que temporaire. Cette partie du documentaire me fait beaucoup réfléchir spécialement suite à la réponse du Président: « Avec une telle attitude, personne ne ferait jamais rien, non? Parce que tous les emplois sont temporaires, rien n’est permanent ». Je vous prie de m’excuser, lectorat adoré, mais je ne peux m’empêcher de vouloir répondre à son interrogation (y’a un point d’interrogation okay! J’ai le droit). 

S’enfoncer dans la caverne

Le système capitaliste c’est une belle chose, il se justifie en exposant sa propre faiblesse comme un bouclier et une épée à la fois. Dire que les téléphones cellulaires contiennent plus de 18 métaux précieux différents — donc 18 mines différentes à travers le monde — semble plus être un argument pour que l’on arrête d’exploiter abusivement les sols; que l’on arrête de surproduire et de surconsommer. Pour les entrepreneurs en tous genres, c’est l’excuse qui les encourage à creuser davantage; et ce, même s’il y a des gens qui y sont déjà.

Malartic - Enfoncer dans la caverne - Graffiti_sur-batisse-Im-hungry
Graffiti sur une bâtisse

Le documentaire ne montre pas seulement une dichotomie dans le paysage déchiré, mais aussi une qui soit économique. Nicolas raconte qu’il filmait la mine en survol et que dans son sillage la caméra avait capté les images d’un individu en train de fouiller dans les poubelles du village de Malartic. Comment est-ce possible que dans une ville de 3362 habitants (recensement 2022), à moins de 500 mètres d’une mine d’or, qu’on puisse voir des êtres laissés à eux même dans la pauvreté la plus totale? Un minimum de deux détonations par jour, cela totalise plus de 7300 dynamitages depuis l’ouverture de la mine. Les citadins montréalais, on se dit que le bruit ne peut pas être si pire, mais le solage des maisons ébranlées quotidiennement par le déclenchement d’explosifs à proximité nous dirait le contraire. Une impression de cimetière d’éléphants comme dans le roi lion avec les collines qui cachent l’horreur qui s’étend sous leurs cimes. Les images invraisemblables des toits de maisons qui voguent lentement dans une mer de bardeaux à dos de camion m’ont troublé bien plus que je ne l’aurais cru.

Ça me fait penser au film Ransomed (article à l’appui) qui, entre autres, posait la question de la valeur d’une vie au profit d’une nation. Les problématiques sont à éviter jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans notre cour; c’est là le nerf du dilemme; les oppressés sont souvent minoritaires. Le gouvernement passe des lois pro-industrie minière… des lois qui n’encouragent que l’exploitation de la mine Malartic au profit de la qualité de vie de ceux qui vivent dans cette ville. Rien n’est socialement accepté à l’unanimité, alors quel est le seuil d’acceptabilité sociale; 50, 60 ou 80%? 

Peut-être que le sujet va au-delà d’une simple réponse chiffrée et mathématique. Faute de pouvoir vous donner une réponse, je vous invite à vous faire une idée par vous-mêmes. Vous pouvez aussi voir le premier documentaire de Monsieur Paquet intitulé La règle d’or qu’il a réalisé en 2010 sur f3m.ca.

Malartic est présenté aux RVQC le 28 février 2024 et sortira en salles au printemps.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Malartic
Durée
89 minutes
Année
2024
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Nicolas Paquet
Scénario
Nicolas Paquet
Note
8.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Malartic
Durée
89 minutes
Année
2024
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Nicolas Paquet
Scénario
Nicolas Paquet
Note
8.5 /10

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