« — Se cambia una parola, una sola parola, poi cambia anche il senso del film, giusto.
— Sì, ma io sono abituata in un altro modo. »
[— Si un seul mot change, alors le sens du film change aussi, n’est-ce pas.
— Oui, mais j’y suis habitué à une manière différente.]
Giovanni (Nanni Moretti), cinéaste italien renommé, s’apprête à tourner son nouveau film. Mais entre son couple en crise, son producteur français au bord de la faillite et sa fille qui le délaisse, tout semble jouer contre lui. Toujours sur la corde raide, Giovanni va devoir repenser sa manière de faire s’il veut mener tout son petit monde vers un avenir radieux.
Nanni Moretti aime faire des films sur le cinéma en mettant en scène son alter ego. Après le magnifique Mia Madre où une femme était le personnage principal, Vers un avenir radieux (Il sol dell’avvenire) met en place un homme qui vit des bouleversements tant professionnels que personnels.
Le réalisateur italien aime bien l’idée du film dans le film. Ici, il l’utilise pour faire un constat sur son art qu’est le cinéma tout en offrant une fenêtre sur ce qu’est la vie de couple avec ses hauts et ses bas.
Il sol dell’avvenire, c’est d’abord l’histoire d’un cinéaste dont la vie a toujours été rythmée par le cinéma et dont les films ont toujours accompagné sa propre vie. Sa femme est sa productrice de toujours, et elle n’a jamais produit de films pour quiconque d’autre. Mais alors que Giovanni est convaincu de réaliser un film politique, son actrice pense le contraire : selon elle, Giovanni tourne un film d’amour sans s’en rend pas compte.
Avec cette entrée en matière Moretti montre cette tendance qu’on les artistes à piocher dans leur vie intime lorsqu’ils créent. Ainsi, à mesure qu’il réalise que son histoire d’amour de plus de 30 ans avec sa femme se désintègre, l’histoire de son film change. La politique laisse tranquillement de la place à l’histoire d’amour entre les deux personnages. Alors qu’au début Giovanni engueule son actrice parce qu’il trouve son jeu trop rempli d’amour envers son mari, il lui permettra tranquillement plus d’espace pour qu’elle puisse montrer le volet « amour » entre ces deux personnages.
Il fait aussi évoluer la vision de Giovanni en ce qui a trait au couple. Ainsi, il passera de l’image figée dans le temps de ce qu’il croyait être une relation parfaite avec sa femme, à une vision beaucoup plus ouverte quant à l’âge, les liens ou encore la place que l’un laisse à l’autre dans le couple.
Dans Il sol dell’avvenire on sent aussi que le réalisateur passe un message à propos de ce que devient le cinéma. Rappelons que le personnage de Giovanni n’est pas si loin de ce qu’est Moretti lui-même. On comprend donc que ce monument du cinéma mondial passe son message. J’ai d’ailleurs tendance à partager cette vision avec lui. Le personnage n’aime pas ce que devient le cinéma, mais il acceptera malgré tout de s’adapter… un peu.
Tout le long du film, Moretti place des indices qui pointent vers cette triste tendance qu’a prise le cinéma. Alors que le cinéma d’Hollywood est depuis presque toujours contraint à un moule minuté qui ne permet pas de proposer une œuvre qui appartient vraiment au réalisateur, le cinéma mondial, lui, jouissait d’une ouverture beaucoup plus large faisant qu’un film appartenait réellement à son créateur.
Mais l’arrivée des géants du streaming à titre de producteurs (et surtout de bailleur de fonds) change la donne. Ainsi, bien que l’on comprenne que Moretti veut bien accepter que certaines scènes n’ont d’utilité que de donner du divertissement, il ne peut accepter la méthode « Netflix ».
Il y a une séquence incroyable lors de laquelle Giovanni arrête le tournage du film que produit sa femme parce qu’il n’est pas d’accord avec la scène de violence non justifiée que le réalisateur est en train de tourner. Cette scène très amusante devient un plaidoyer comme quoi bien qu’il soit finalement correct d’inclure des scènes qui n’ont pour but que de divertir dans une œuvre, un film doit tout de même porter un message et avoir une certaine utilité. Ainsi, chaque scène tournée doit avoir une utilité dans la narration d’une trame.
Mais c’est une scène beaucoup plus hilarante (un rire jaune) qui marquera l’imaginaire du spectateur pour qui la valeur artistique est importante dans la création d’un film. Giovanni, qui doit trouver de l’argent s’il veut pouvoir terminer son film, accepte de rencontrer Netflix. Cette scène quasi surréaliste me semble malgré tout incroyablement plausible et montre à elle seule tout ce qui ne fonctionne pas dans le modèle actuel. En tout cas, une partie de ce qui ne marche pas.
Alors que Giovanni tente d’expliquer que son film est politique et que son personnage doit se suicider, les gens de Netflix lui répondent constamment la même chose. « Oui, mais vous devez être plus ambitieux. Nos produits sont vus dans plus de 190 pays. 190 pays. 190 pays. »
Puis Netflix lui demande comment son personnage évolue. Giovanni lui explique que dans la vie les gens n’évoluent pas vraiment, pour se faire à nouveau répondre : « nos produits sont vus dans plus de 190 pays. »
Je ne donnerai pas la conversation complète puisqu’elle est assez longue, mais un autre moment doit être mentionné :
– Les spectateurs décident de continuer à regarder un film dans les deux premières minutes. Il faut avancer l’élément déclencheur qui est à combien de minutes?
– Sept.
– Et le premier revirement?
– 62 minutes. (ce qui représente le revirement de ce film-ci)
– Trop tard.
– Alors, 35?
– (Elle fera des signes de tête (non) à chacune de ses propositions) 12? 14? 117? 391? 2?
– C’est trop tôt. Et il y a un autre problème. Dans ce film il manque un moment « what the fuck ».
Puis les dirigeants de Netflix attaquent le fait que l’Italie n’a pas de réel « star system » alors que leurs films sont vus dans 190 pays. 190 pays. 190 pays.
Disons que cette fois-ci Moretti n’aura pas misé sur la subtilité.
Bien que le monde qui l’entoure soit de plus en plus difficile à déchiffrer et à accepter, Giovanni ne veut pas s’abandonner à une réalité décevante. Et surtout, il ne veut pas renoncer au rêve de pouvoir la changer. Et si la vie et l’histoire ne le lui permettent pas; le cinéma, qui par sa force et son énergie contagieuses transforme la réalité et rend le rêve possible. Il vit aussi dans un monde où les espaces vides de la vie devraient toujours être remplis par le cinéma.
Le film traverse différentes crises puis les surmonte grâce au cinéma qui a le pouvoir magique de nous faire redécouvrir la légèreté et l’envie d’être heureux. Malgré tout.
Ainsi, Moretti amènera le spectateur à envisager une vie plutôt heureuse malgré que le monde puisse être assez sombre. Car après tout, il ne faut pas cesser d’espérer, sinon à quoi pourrons-nous nous raccrocher?
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette œuvre, comme les moments musicaux, les scènes dans lesquelles Moretti quitte l’histoire centrale pour diriger des personnages « dans le monde réel » pour changer le cours des choses. Un film fort, à ne pas manquer.
Il sol dell’avvenire (Vers un avenir radieux) est présenté au FCMS les 10 et 13 avril 2024.
Bande-annonce
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