« We would never have dreamed that silence would be to our advantage: that silence would be a portal to our world. »
[Nous n’aurions jamais imaginé que le silence serait à notre avantage : que le silence serait un portail vers notre monde.]
Les connaissances anciennes des peuples autochtones défient la science de haute technologie dans un conte quasi cosmique sur un désert sud-africain où le plus grand radiotélescope du monde est en cours de construction avec des antennes pointées vers les coins les plus reculés de l’univers.
Pour pleinement comprendre un lieu, il faut y avoir grandi, qu’il ait imprégné notre imaginaire alors qu’il était encore perméable. La chance du réalisateur Dane Dodds est d’avoir grandi dans une région riche en histoire et en mystère, encore faut-il trouver un moyen de les mettre en image…
Le sujet s’installe avec patience, on laisse longtemps planer le mystère sans mots, sans explications, ce qui nous plonge inévitablement dans une expérience sensorielle. Peu de films peuvent pertinemment employer le surexploité plan aérien qui dézoome à l’infini pour nous faire quitter la terre, traverser le système solaire, franchir la Voie lactée et puis l’univers complet, mais dans !Aitsa, c’est non seulement tout à fait à propos, mais c’est surtout fait avec finesse.
Le travail formel appuyé et maîtrisé permet de mettre en image des concepts invisibles qui seraient difficiles à illustrer autrement, comme la spiritualité et l’héritage. Une roche en apparence banale s’illumine pour que ses crevasses, des symboles gravés il y a environ 70 000 ans, prennent vie.
Ce qui fait également la force du documentaire est son montage qui s’exprime souvent en contraste : les traces ancestrales sur les roches laissent aujourd’hui place aux graffitis, une illustration directe de l’effacement lent de notre héritage. Ce rapport entre l’ancien et le nouveau, le traditionnel et le technologique, est d’ailleurs au cœur du récit. Dans le Karoo, une grande région semi-désertique de l’Afrique du Sud, il y a à la fois les Khoisans, les autochtones locaux qui ont résisté aux multiples vagues de la colonisation, mais depuis quelques années ils partagent leur territoire avec des satellites géants à la fine pointe de la technologie dont la mission s’inscrit surprenamment en cohérence avec les questionnements qui habitaient les ancêtres des Khoisans : Quel est le sens de la vie? Sommes-nous seuls dans l’Univers?
Ce qui rend la région du Karoo aussi fertile pour mieux comprendre l’humain, c’est non seulement son potentiel astronomique, mais également son histoire géologique et archéologique. Le sud de l’Afrique est considéré par plusieurs généticiens comme le berceau de l’humanité.
La conception sonore, une sorte de musicalité constante, mais discontinue, accompagne fluidement notre immersion. Les couches de réverbérations et de textures se rencontrent pour créer momentanément des harmonies dans une symphonie aux tonalités industrielles, mais aux rythmes organiques. On nous dévoile à la fin du documentaire que les sons utilisés pour composer la trame musicale proviennent tous des roches présentent sur le site, qui ont la particularité d’émettre une résonance métallique lorsqu’on les cogne. Cette réactualisation d’une forme de musique concrète n’est pas sans rappeler le travail sonore du tout aussi sensible et transcendantale Geographies of Solitude (2022, Jacquelyn Mills).
Malgré les questionnements métaphysiques et spirituels, plusieurs moments nous ramènent directement les deux pieds sur terre, ou même parfois, un peu en dessous, comme lorsqu’un creuseur de tombe aborde son rapport à la mort avec une logique rationnelle et détachée. On n’épargne pas non plus les enjeux éthiques que peuvent soulever la conquête du mystère : pourquoi investir nos ressources et énergies pour partir vers les étoiles alors qu’il y a des problèmes concrets, comme la faim et la pauvreté, qui guettent la population locale?
Le montage tombe à de rares occasions dans une facilité, une forme de sensationnalisme. Par exemple, lorsque les témoignages sur les réchauffements climatiques sont illustrés avec des carcasses d’animaux desséchés. Autrement, il y a plusieurs moments de cinéma pur qui relèvent d’un travail du symbolisme à la fois simple et polysémique. Par exemple, un élan, animal avec lequel les Khoisans s’identifient, court rapidement le long d’une clôture barbelée. Quand il s’arrête, il s’approche d’un jeune garçon se trouvant de l’autre côté de la clôture. Celui-ci le caresse doucement à travers le grillage.
Éventuellement, la narration intervient pour encadrer les questionnements, mais elle demeure toujours en second plan derrière le mystère de ce territoire. Comme quand on raconte un rêve, si on cherche trop à expliquer, on finit par perdre ce qui est intéressant : l’inexplicable. Heureusement, dans !Aitsa, l’équilibre entre les moments de contemplation et de narration permet d’installer le mystère sans jamais pleinement le démystifier.
!Aitsa est présenté au FIFA le 17 mars et en ligne du 22 au 31 mars 2024.
Bande-annonce
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