Regard h264 - Une

[Regard] H264 en compétition — On dénonce beaucoup, on dit peu

C’est en ce moment que se déroule le festival Regard. J’ai déjà pu visionner les quatre courts métrages présentés par H264. La sélection était bel et bien diversifiée, mais était-elle variée? Dans un monde en constante évolution, peut-on dire que le milieu des idées foisonne de nouveaux concepts et de regards différents, ou au contraire sommes-nous en train de s’embourber dans une mare stagnante? Suivez-moi et allons voir ce qui se cache ici.

Hello Stranger — Comme une impression de déjà vu

Entre deux brassées de linge à la laverie du coin, Cooper partage l’histoire de son parcours de conversion sexuelle. Rassemblant ses souvenirs, de son enfance dans un petit village de pêcheurs à son processus médical tumultueux. Cooper tente de faire la paix avec la dernière empreinte masculine restant sur son corps : cette voix grave et agaçante qui lui colle à la peau.

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Qu’est-ce qu’un documentaire? Si l’on hésite, il est bon de savoir retourner aux bases afin de recentrer notre équilibre peu importe qu’elle soit la discipline ou le savoir. Un film de ce genre — qu’il soit court ou long – nécessite qu’il soit documenté d’une manière ou d’une autre. Documenter, c’est fournir ou appuyer un travail sur des documents (je souligne « des »); et un document est un écrit servant de preuve, de renseignement ou de témoignage comme support à la documentation du film. Hello Stranger tombe à plat, car il n’est pas complet. Certes, ce documentaire relate des expériences d’une personne trans, mais si ses dires ne sont pas corroborés par d’autres, il devient alors difficile de faire la différence entre le factuel et le sensationnalisme. Qu’arrive-t-il si un parcours similaire chez un autre individu n’est pas garant des mêmes résultats? N’est-ce pas un danger à la stéréotypisation d’un groupe qui essaie de se déstigmatiser des préjugés qui les affligent?

J’avais appris à l’époque (peut-être suis-je un dinosaure dépassé de l’ouverture d’esprit) que les goûts, les envies, les gestes et les pensées d’un individu ne sauraient représenter l’identité sexuelle d’une personne. En ça, un individu qui danse comme Britney Spears n’est pas moins un homme – ou plus une femme dans ce cas-ci – la toxicité des genres vient de l’association mensongère que nous en faisons au-delà d’une simple formation physiologique. Être une femme ce n’est pas porter des robes, mettre du maquillage et faire du polldance; être un homme ce n’est pas boire de la bière, porter le pantalon et être grossier. Peut-on avoir été perturbé dans sa jeunesse ou sa vie adulte et ne pas être LGBTQ? Voilà une question qui m’obsède de plus en plus. Dommage, ce n’est pas de ça qu’il est question dans ce documentaire. On y parle davantage de féminité et de masculinité sauf pour les dernières minutes qui commencent à peine à gratter la surface de la transsexualité.

Je reconnais tout de même la sensibilité de la réalisatrice face à un autre être humain. D’avoir non seulement été interpellée, mais avoir su tendre l’oreille à la situation de quelqu’un d’autre. Mais pourquoi n’était-ce pas simplement ça; une oreille attentive? Pourquoi un film; pourquoi un documentaire? Pour un sujet de ce genre, il me semble que d’apostropher brièvement la chose sans pouvoir plonger davantage au cœur de tout ça soit une occasion ratée pour approfondir le sujet. Pour ce qui est de la suite de tout ça, j’espère que la réalisatrice voudra elle aussi approfondir son questionnement et élargir son classeur à documents.

Fiche technique

Titre original : Hello Stranger
Durée : 16 minutes
Année : 2024
Pays : Canada
Réalisation : Amélie Hardy
Scénario : Amélie Hardy
Note : 6/10

Mothers & Monsters — L’addition je vous prie

Pour une célébration très particulière, une mère-hôte a réuni les mamans et leurs enfants parfaits pour un grand banquet. Orchestré par la mère de famille, le banquet est soudain perturbé par d’étranges événements. Que se cache-t-il dans les coulisses de ce monde idéal? Mères et Monstres est une satire surréaliste sur la maternité moderne et l’idéal de la famille à une époque où le capitalisme a atteint son apogée.

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Mothers & Monsters est une belle œuvre en soi. Des femmes attablées se font servir des plats en tous genres et même des bébés dans des choux (sans les dévorer bien entendu). Pourtant, une impression de déjà vu m’assiégeait lors de mon visionnement; le sentiment d’avoir pu assister à un court métrage similaire, mais dans des lumières plus sombres. Selon moi, Mothers & Monsters, réalisé par Edith Jorisch, est sans aucun doute le yang du film Next Floor du désormais célèbre Denis Villeneuve qu’il avait tourné en 2008. Il y a simplement trop de points communs avec l’œuvre en commençant par l’absence de dialogue.

Les actrices ne sont pas à blâmer, les émotions se révèlent au public à travers des pathos formels multiples sans trop de subtilité. S’agit-il d’un « babyshower » ou d’un « gender reveal party » ou d’une soirée entre filles un peu déjantée? Mystère! Une chose est certaine, il est impossible de ne pas être empathique aux faciès de madame Mylène Mackay ainsi que le jeu des autres actrices. L’image à un beau grain, il y a quelque chose de riche dans un film qui n’est pas tourné en HD; la plasticité obtenue possède une certaine uniformité que la haute définition permet rarement.

Les idées de la réalisatrice sont multiples; image de la beauté, dichotomie de l’artificiel et l’organique, peur de la maternité, vision préconçue et erronée du bonheur; malheureusement, elles ne sont pas ce que je pourrais considérer comme nouvelles ou révolutionnaires. Certains concepts ne sont applicables qu’à un maximum de 50% des individus; selon moi les tentatives à la communication de ses sentiments devraient savoir à présent comment dépasser cette barrière et aller encore plus loin. Pour ma part, l’œuvre de Frankenstein par Mary Shelley qui explore (entre aurtes) l’horreur de la maternité offre un point de vue tellement large que même un homme peut se sentir interpellé. Cette métaphorisation des concepts permet d’unir la pensée humaine grâce à une symbolique commune, rappelant à tous comment l’art est vecteur d’observations et d’émotions qui demandent à être communiquées.

Fiche technique

Titre original : Mothers & Monsters
Durée : 16 minutes
Année : 2024
Pays : Canada
Réalisation : Edith Jorisch
Scénario : Edith Jorisch
Note : 7/10

Someone’s Trying to Get In — Savoir retrouver son chemin

Sans cesse déporté pour avoir tenté de traverser les frontières illégalement, Bertrand (Ralph Prosper) essaie de sauver sa peau et de trouver refuge au Canada. Il ne veut pas rebrousser chemin malgré le risque d’être retourné d’où il vient ou emprisonné; là où son destin sera certainement scellé.

Someone is trying to get in

Lorsque l’on marche dans les bois le nez en l’air — enivré par la variété des parfums nouveaux et nostalgiques — notre imagination s’emporte d’un pas léger; nous quittons les terres de la réalité pour un moment qui nous paraît à la fois bref et éternel. L’expérience est à peu près la même lorsqu’il s’agit de prendre la fuite.  Après un temps, la conscience du moment présent revient s’abattant sur l’esprit tel un coup de gong; étourdit le rêveur réalise peu à peu qu’il n’est plus tout à fait sûr de savoir où il est.

Someone’s Trying to Get In me donne cette impression de s’être perdue en chemin. Un court métrage n’est peut-être pas l’idéal pour le genre d’enchevêtrement complexe que tentait d’exécuter Colin Nixon. Je croyais être ébahi par l’histoire de cet homme immigrant nommé Bertrand, interprété par Ralph Prosper; les tumultes d’un être qui doit fuir son pays et demander l’asile au Canada. Les raisons exactes restent inconnues du public, mais il est clair que sa vie était en danger et que les causes ayant mené à la mort de ses proches n’étaient pas accidentelles. Comme le personnage l’évoque à un certain moment « Croyez-vous que l’on quitte sa maison par accident? »

Le récit est malheureusement entrecoupé par d’autres scènes plus ou moins connexes qui ne semblent pas vraiment contribuer au rythme du film; si ce n’est que pour perdre quelques membres de son spectorat au passage. On tente tant bien que mal de donner un visage à cette ombre qui afflige le protagoniste, toutefois le processus réduit la symbolique à du racisme un peu vague, amoindrissant par le fait même l’ampleur de la problématique. Comme quoi quelquefois trop ce n’est pas assez (un classique dans mes articles maintenant).

Fiche technique

Titre original : Someone’s Trying to Get In
Durée: 25 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisation : Colin Nixon
Scénario : Colin Nixon
Note : 6/10

Gaby Les Collines — Finir en cloaque de mouette

Gaby, 13 ans, arrive aux Îles-de-la-Madeleine pour passer l’été avec son père, comme elle le fait chaque année. Elle est ravie de retrouver la mer qu’elle aime tant, les amis d’enfance, les collines sinueuses à l’horizon et la joie chaleureuse de la maison de son père. Mais cette fois, quelque chose est différent : elle a atteint la puberté et sa vie ne sera plus jamais la même.

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Gaby, interprétée par Lou Thompson, une jeune fille en pleine puberté, retrouve son ami d’enfance, Fourmi, interprété par Gaspard Chartrand, un jeune garçon du même âge qui sombre tranquillement dans la déchéance et l’abus de cannabis. Leurs retrouvailles malaisantes représentent bien ce moment où les filles et les garçons semblent grandir en s’éloignant de la complicité enfantine et naïve qu’iels partageaient jadis. La complexification de l’identité de genre selon les contextes sociaux mis en place dictant tranquillement, mais sûrement, ce que nous devons aspirer à devenir. Cependant, est-ce souhaitable compte tenu de ce qui se perd dans le processus?

Gaby Les Collines illustre à merveille ce que l’adolescence amène comme lot de gains et de pertes. Ce passage de l’enfance à l’âge adulte transpose beaucoup de l’insouciance passée en une construction mentale plus pragmatique et désillusionnée. Pour Gaby, la constatation du temps qui passe c’est de revenir dans un environnement connu où les choses ont tout de même changé (les Îles-de-la-Madeleine s’effacent de plus en plus chaque année de la carte du monde, un jour elles n’y seront plus); elle est plus grande que les garçons de son âge, son ami est drogué et elle se sent rejetée et oubliée. Elle comprend malgré tout ce qu’elle peut conserver de son enfance pour continuer sa vie; son ami Fourmi pour qui l’affection aussi se complexifie sans pour autant devenir moindre, il lui suffit de découvrir comment avancer dans la bonne direction.

L’histoire est touchante et sait faire ressentir les subtilités d’une période difficile à saisir autant d’un point de vue externe qu’interne. Cependant, j’ai l’impression que la durée est quelque peu exagérée surtout pour une finale comique avec un goéland. Ces derniers moments me laissèrent avec un sourcil curieux pour ne pas dire dédaigneux. Le court métrage nécessite un savoir-faire particulier pour développer en quelques minutes un récit avec un milieu, un début et une fin concises et conséquentes; loin d’être un échec, on espère tout de même que cela sera mieux exécuté la prochaine fois.

Fiche technique

Titre original : Gaby Les Collines
Durée : 21 minutes
Année : 2023
Pays : Canada
Réalisation : Zoé Pelchat
Scénario : Zoé Pelchat
Note : 7.5/10

Une bombe qui fait plus de bruit que de feu

Le point commun à toutes ces œuvres est sans contredit le temps. Il n’y a pas que les longs métrages qui s’allongent sans cesse conduisant à la démesure comme un concours de pénis qui n’en finit pas; les courts aussi commencent à s’étendre dans le cadre temporel comme le dirait Bilbo Baggins dans The Lord of The Rings. « I feel thin… sort of stretched. Like butter scraped over too much bread ». 

Un choix s’impose alors; le film se doit d’être concis et élagué. Un court métrage peut avoir une durée de 10 secondes ou quelques minutes à peine, alors il est primordial de savoir pourquoi l’on voudrait élaborer davantage. Cette forme cinématographique est autant appréciable que les métrages plus exhaustifs et peut facilement inclure une symbolique développée. N’oublions pas qu’un épisode des Simpsons, la série créée par Matt Groening, dure environ 20 minutes; et il s’en passe des choses dans un seul épisode. C’est pourquoi je trouve que cette distribution de H264 pour le festival Regard démontre bien comment on peut facilement se perdre dans l’élaboration d’un scénario; qu’il soit petit ou long. 

Finalement, ce ne sont pas des échecs flagrants, mais plutôt le point de départ pour leurs œuvres futures. De mon côté, je verrai bien ce que le reste du festival a à offrir; ici, j’ai bien peur que le pétard soit mouillé. Enfin… Peut-être n’est-ce là qu’une question de ce que l’on préfère d’un feu d’artifice; la lumière aveuglante ou les sons assourdissants?

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