« — Coup donc toi, t’es-tu pimp?
— Juste le week-end. »
Lucy Grizzli Sophie nous plonge au cœur d’un vortex de violence, illustrant un cycle pernicieux où les lignes entre victimes et bourreaux s’effacent progressivement. Ce thriller psychologique, une nouvelle corde à l’arc d’Anne Émond après des réalisations un brin différentes telles que Jeune Juliette et Nelly, se penche avec finesse sur les dégâts infligés par la cybercriminalité. S’écartant de son rôle habituel de scénariste, Émond s’aventure dans l’adaptation de La meute de Catherine-Anne Toupin, un texte qui scrute le harcèlement en ligne avec une acuité remarquable. La pièce, acclamée lors de sa première en 2018 à La Licorne, est transposée à l’écran avec une fidélité touchante, bénéficiant des talents réunis de Toupin, Guillaume Cyr, et Lise Roy, dont la synergie et la compréhension profonde des personnages enrichissent considérablement le film.
Le récit suit l’odyssée de Sophie, incarnée par Catherine-Anne Toupin, fuyant désespérément la misogynie et le harcèlement virtuel qui l’ont contrainte à une transformation radicale de son identité. Après un voyage harassant marqué par l’ivresse, elle échoue dans une auberge retirée, gérée par Louise (Lise Roy) et son neveu Martin (Guillaume Cyr), où les fantômes de son passé et ses traumatismes seront peu à peu révélés.
Tissant habilement suspense et tension, Lucy Grizzli Sophie se distingue en tant que thriller psychologique, même si un examen plus approfondi sur la cybercriminalité aurait enrichi un peu plus le récit. La rencontre fortuite entre Sophie et Martin initie une trame complexe, bourrée de manipulations et de faux-semblants, qui se dénoue dans une révélation finale explosive, illuminant les sombres intentions de celle-ci.
La collaboration d’Émond avec le directeur photo Olivier Gossot (Jeune Juliette) crée des images saisissantes qui traduisent le tourment de Sophie, transformant son refuge en une prison toujours plus oppressante, une sensation amplifiée par la composition musicale poignante de Martin Léon (Les êtres chers). Malgré un développement parfois lent et décousu, le film gagne en intensité et en singularité, rendant chaque élément crucial à la compréhension de l’intrigue. Les compositions visuelles, méticuleusement élaborées dans les premières séquences, évoluent vers une singularité plus frappante au fur et à mesure que l’intrigue avance.
Anne Émond confronte audacieusement les spectateurs aux atrocités vécues par Sophie, adoptant une représentation sans concession des diverses violences subies par notre personnage principal. En exposant sans détours chaque atrocité, elle vise à ébranler le public, le forçant à affronter la dure réalité de la misogynie sur internet, un mal souvent trivialisé ou laissé impuni. Toutefois, le récit tend vers un didactisme prononcé, particulièrement lors d’un dénouement qui surdéveloppe des conclusions déjà évidentes, suggérant une sous-estimation regrettable de la perspicacité du public par la réalisatrice et sa collaboratrice scénaristique, malgré la force et la pertinence de leur message.
Cette dynamique de violence, où chaque action entraîne une conséquence directe, constitue le cœur du récit, entraînant les personnages vers des fins imprévues. Inspirée par les études de sa sœur, enseignante au Département d’information et de communication de l’Université Laval, sur le potentiel mobilisateur des réseaux sociaux, Catherine-Anne Toupin apporte une perspective novatrice sur le combat contre la violence sexiste en ligne. Elle narre l’histoire d’une femme luttant pour sa dignité, transformant sa colère en un acte de résistance, soulevant ainsi de profondes questions morales et invitant à une réflexion soutenue chez le spectateur.
Ce long-métrage dépasse le cadre traditionnel du récit de revanche pour interroger les conséquences morales de nos réponses à l’agression. Par le prisme de ce thriller psychologique, il nous amène à réfléchir aux impacts de nos comportements à l’ère du numérique, mettant en lumière la difficulté de mettre fin au cercle vicieux de la vengeance et de la rancœur.
Ainsi, le film s’avère être davantage qu’un simple thriller; il se présente comme une analyse profonde sur la nature humaine et de ses enjeux de justice dans un univers hyperconnecté, en posant des interrogations essentielles, stimulant la réflexion longtemps après sa conclusion.
Bande-annonce
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