RVQC 2024 - Courts métrages

Entre la Vie et la Morgue : Des courts métrages sur le fil de l’existence

« Vivre une vie sans trace d’amour, un pied dans de la bouette.. et l’autre dans la tombe. »

Dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma (RVQC), événement phare dédié à la mise en lumière de la richesse et de la diversité du cinéma québécois,  une sélection de courts métrages intitulée Entre la vie et la morgue a été projetée le 24 février dernier à la Cinémathèque québécoise. Depuis Retour à Hairy Hill jusqu’à UWD — Until We Die, chaque film a magistralement sondé les subtilités de la vie humaine, offrant une perspective sincère et approfondie sur des sujets tels que la vie, la mort, et la complexité des émotions humaines qui se tissent entre ces deux extrêmes.

retour-a-hairy-hill - Intro
Retour à Hairy Hill

Dans son court métrage, Retour à Hairy Hill, Daniel Gies explore avec une délicatesse poignante les thèmes de l’abandon, de la survie et du passage à l’âge adulte à travers les yeux d’Ethel, une jeune fille confrontée bien trop tôt aux responsabilités écrasantes. La décision de sa mère de quitter le foyer familial plonge Ethel dans une réalité où la jeunesse n’a pas sa place, l’obligeant à mûrir précipitamment pour veiller sur ses frères et sœurs.

Une Odyssée émotionnelle au cœur de la résilience

Le film s’ouvre sur la vie d’Ethel, brutalement bouleversée par le départ de sa mère. Le choix de Gies de situer cette épreuve dans le cadre isolé et enneigé de Hairy Hill n’est pas anodin; il sert de métaphore à l’isolement émotionnel d’Ethel et à la froideur de sa nouvelle réalité. L’hiver impitoyable qui s’abat sur eux symbolise les épreuves et les tribulations que la jeune fille doit affronter, accentuant le drame de leur lutte pour la survie.

retour-a-hairy-hill - Odyssée émotionnelle

Daniel Gies excelle dans sa capacité à équilibrer réalisme et poésie, ancrant son récit dans une authenticité palpable tout en laissant place à la rêverie. La direction artistique et la photographie captent magnifiquement la beauté austère de Hairy Hill, utilisant le paysage enneigé non seulement comme toile de fond, mais aussi comme personnage à part entière, influençant et reflétant les états d’âme des protagonistes. Le cœur du film repose sur le dilemme d’Ethel : accepter son sort ou embrasser l’inconnu en quête d’une vie meilleure. Ce choix difficile est le symbole de la lutte intérieure que chacun affronte à un moment de sa vie, faisant de Retour à Hairy Hill une œuvre profondément universelle. Gies utilise habilement le symbolisme pour enrichir son récit, où chaque élément, de la maison isolée à l’hiver glacial, renforce le thème central de la résilience face à l’adversité.

L’aspect le plus remarquable de ce court-métrage réside dans son impact émotionnel très profond. Le parcours d’Ethel, bien que marqué par la douleur et la perte, est aussi une célébration de la force de l’esprit humain. Sa détermination à protéger ses frères et sœurs, même face aux pires difficultés, inspire une admiration profonde et laisse le spectateur avec une sensation de respect pour sa résilience. Retour à Hairy Hill est un petit chef-d’œuvre de contemplation, un récit qui évoque à la fois la cruauté et la beauté de la condition humaine. La réalisation impeccable de Daniel Gies, alliée à une histoire à la fois sombre et inspirante, fait de ce court métrage un incontournable pour cette année. En plongeant dans les profondeurs de l’âme humaine, Gies nous livre une œuvre émouvante sur le courage, l’amour familial et le pouvoir salvateur de l’espoir.

Note : 7.5 /10

Les Battues, une œuvre de Raphaël Beauchamps, nous plonge dans l’univers tourmenté de Luce, une mère éplorée par la perte tragique de son enfant. Confrontée à une décision de vengeance qui défie ses valeurs morales, elle se retrouve au cœur d’un hiver rural, enveloppé de brume, où son drame personnel s’entremêle à un désir collectif de justice. Ce cadre sert de toile de fond à une réflexion sur le deuil, les droits à la justice et la quête de rédemption.

L’Enjeu moral dans le brouillard

Le film explore les zones grises morales dans une atmosphère rurale brumeuse, où le bien et le mal se confondent subtilement. L’arrivée de chasseurs locaux avec le présumé coupable force Luce à envisager la vengeance. Est-ce une forme de justice ou un pas vers la barbarie? Beauchamps réussit à immerger le spectateur dans cette atmosphère chargée, où la brume n’est pas seulement un élément visuel, mais symbolise aussi le brouillard moral et le tourment intérieur de Luce.

Les Battues

Ce court-métrage aborde frontalement les dilemmes de justice personnelle versus la vengeance collective. En confrontant Luce à la décision de se venger ou non, le film interroge sur la légitimité de la justice populaire et les effets de la douleur et du désir de vengeance sur nos principes moraux. Malgré une narration par moments voilée d’ambiguïté et d’une conclusion hâtive, la performance exceptionnelle du personnage principal et la mise en scène soignée offrent une introspection sur la perte et ses conséquences dévastatrices. Il se distingue également par sa capacité à nous confronter à nos perceptions de la justice et de l’éthique, invitant à réfléchir sur la mince ligne séparant le droit à la vengeance de la descente dans la violence. À travers le parcours de Luce, le film nous invite à sonder les profondeurs de notre propre quête de sens et de rédemption, marquant les esprits par sa profondeur thématique et son intensité émotionnelle.

Note : 6,5/10

Dans Virga, Jean-François Leblanc nous plonge dans les interactions humaines à l’ère des réseaux sociaux, au travers l’objectif d’un thriller psychologique. Le film suit l’histoire de Pascal, joué par Justin Leyrolles-Bouchard, dont l’interprétation alarmée d’un post en ligne de Jérémy, un vieil ami, le lance dans une quête solitaire pour contrer une menace qu’il croit imminente. Cette trame, chargée de suspense, agit comme un vecteur pour une analyse approfondie des quiproquos et des perceptions erronées qui peuvent être exacerbées par la communication digitale.

Bien que Virga soit marqué par des prestations prometteuses, certaines séquences gagneraient à être traitées avec plus de finesse. Les moments d’intensité, parfois jugés trop marqués, n’entachent pas le talent des acteurs, mais suggèrent plutôt une opportunité d’affinement. Une direction favorisant la subtilité et la nuance pourrait non seulement rendre les personnages plus crédibles, mais aussi enrichir de manière significative le tissu narratif du film. Le scénario de Virga, en cherchant à maintenir une tension propre aux thrillers mériterait une exploration plus minutieuse. En tissant davantage les fils du passé commun entre Pascal et Jérémy et en détaillant leurs motivations, ce court-métrage pourrait ainsi offrir une expérience encore plus immersive et émotionnellement engageante pour le spectateur.

Virga

L’Atout de la Cinématographie

La cinématographie se révèle être un atout majeur, avec des séquences visuelles stupéfiantes qui témoignent d’un véritable talent artistique et technique. Ces instants, où l’image parle d’elle-même, constituent des moments phares du film, offrant une beauté qui mérite d’être reconnue. En intégrant encore plus étroitement ces éléments visuels à l’arc narratif, Virga pourrait non seulement renforcer son atmosphère, mais aussi intensifier l’impact émotionnel de son histoire. Ce court-métrage se positionne comme une œuvre prometteuse dans le parcours de Jean-François Leblanc, mettant en lumière un potentiel indéniable. En se focalisant sur l’approfondissement du récit et en affinant la direction des acteurs, le film a le potentiel d’évoluer vers une œuvre encore plus captivante et nuancée. La qualité visuelle déjà établie offre une fondation solide pour ces améliorations, promettant une expérience cinématographique enrichissante et significative. 

Note : 5.5/10

Four Mile Creek de Ryan McKenna est un court-métrage documentaire, une véritable incursion poignante et réfléchie dans le passé lointain de l’Ouest lors de la période de colonisation, une époque où la vie était marquée par des épreuves implacables et une lutte constante contre la maladie. En s’appuyant sur les journaux personnels de la famille Cormier, McKenna parvient à tisser un récit captivant qui ne se contente pas de narrer les difficultés physiques de cette période, mais plonge aussi dans l’exploration métaphysique de la mémoire et de l’âme à travers le personnage d’Aurore, dont l’esprit semble hanter les générations bien longtemps après sa mort.

Ce court métrage se distingue par sa capacité à évoquer avec sensibilité la rudesse de la vie coloniale tout en tissant une histoire mystérieuse autour de la figure d’Aurore. La force du film réside dans sa narration subtile, qui, plutôt que de s’appuyer sur des rebondissements spectaculaires, invite le spectateur à une réflexion profonde sur les thèmes de la perte, de la résilience et de l’empreinte indélébile que laisse derrière elle une vie, même brève.

four mile creek

La cinématographie complète avec brio cette narration, offrant des images à la fois sombres et magnifiquement composées qui reflètent la beauté austère de l’époque et du paysage, tout en accentuant l’atmosphère de mystère qui enveloppe l’histoire d’Aurore. L’utilisation judicieuse des lieux et des décors naturels renforce l’authenticité du récit et immerge le spectateur dans l’univers implacable de la colonisation.

Toutefois, le véritable tour de force de McKenna réside dans son approche de la matérialité de l’âme et de la mémoire. En choisissant de focaliser son récit autour de l’esprit errant d’Aurore, Four Mile Creek transcende le simple récit historique pour devenir une méditation poétique sur les liens qui unissent les vivants aux fantômes de leur passé. Ce choix narratif audacieux confère au film une dimension supplémentaire, le positionnant comme une œuvre remarquable qui défie les attentes traditionnelles du genre.

Ce court-métrage est une œuvre mémorable qui réussit à capturer avec une grande finesse l’essence d’une époque révolue tout en présentant une histoire émouvante et mystérieuse. Ryan McKenna démontre une maîtrise impressionnante de son art, proposant un film qui est à la fois un hommage aux racines profondes de la famille Cormier et une exploration universelle de la mémoire et du deuil.

Note : 6,5/10

Until We Die (UWD), co-réalisé par Myriam Verreault et Brigitte Poupart, se distingue comme une œuvre audacieuse et innovante, plongeant le spectateur dans un chassé-croisé poétique au sein d’un univers au bord de l’effondrement. Ce court métrage offre une expérience cinématographique qui transcende la simple narration pour embrasser pleinement l’art de la danse et du mouvement, faisant de chaque geste une parole vibrante et de chaque séquence une poésie en mouvement.

uwd - Un monde fichu

Un monde fichu, des corps qui parlent

UWD se déroule dans un univers post-apocalyptique, où la solitude et une détresse collective omniprésente pèsent sur chaque personnage. Myriam Verreault et Brigitte Poupart captent magistralement cette désolation partagée, non à travers des mots, mais par la force expressive de la danse, transformant le mouvement en un moyen de communication universel et une manifestation de résilience. Les performances physiques des danseurs, empreintes d’une profonde émotion, évoquent des êtres marqués par la nostalgie d’un passé perdu, témoignant d’une humanité à la recherche de lumière dans les ténèbres.

La dimension visuelle du film est sublimée par la cinématographie exceptionnelle de Pat Morin, qui crée une symbiose entre la caméra et les danseurs, générant des images vivantes qui oscillent entre le désespoir et l’espoir. L’esthétique du film, à la fois étrange et familière, peint un monde en ruines où chaque fragment et rayon de lumière raconte une histoire. Ce court-métrage se distingue par sa capacité à utiliser la danse comme un vecteur émotionnel puissant, où les chorégraphies, alliant force brutale et finesse inattendue, touchent directement le spectateur, traduisant une palette d’émotions de la profonde désolation à une grâce rédemptrice. Cependant, l’engagement du film à exprimer son récit exclusivement par la danse et le mouvement peut parfois laisser les spectateurs en quête des repères narratifs plus clairs un peu sur leur faim. Bien que cette démarche confère au film son unicité, elle peut représenter un obstacle pour ceux moins initiés à l’interprétation de la danse contemporaine. Un guide ou une trame narrative plus explicite aurait pu approfondir l’expérience sans compromettre la puissance de son expression artistique.

Until we die

UWD est un projet ambitieux, magnifiquement bien réalisé, qui se distingue par sa capacité à métamorphoser le désespoir en une forme d’art vibrante et la solitude en une expérience de partage émotionnel profond. À travers cette œuvre, Myriam Verreault et Brigitte Poupart défient les normes établies, proposant une méditation intense sur la condition humaine à travers le langage de la danse. Ce court métrage est une célébration de la vie, de la résilience et de la beauté qui persiste dans les fissures d’un monde en décomposition.

Note : 8/10

Pilot: https://www.youtube.com/watch?v=OdhOoMFGiWI

Les courts métrages présentés, allant de Retour à Hairy Hill à UWD, offrent une mosaïque d’expériences cinématographiques riches et variées. Chacun, à sa manière, explore des thèmes profonds comme la résilience face à l’adversité, la complexité des relations humaines, et l’empreinte indélébile du passé sur le présent. Ces œuvres révèlent la capacité du cinéma à capturer l’essence de l’expérience humaine, tout en offrant des perspectives uniques sur des moments de vie souvent inexplorés. En somme, cette collection de courts métrages constitue une célébration éloquente de la diversité et de la richesse du récit cinématographique, laissant le spectateur à la fois ému et inspiré.

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