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[RVQC] Une fille tranquille – Qui était Mary Margaret Wheeler?

« Je suis allé à Terre-Neuve à l’âge de 26 ans. Oui, mais je n’ai pas eu le courage d’aller à sa recherche. » 

A Quiet Girl - Une fille tranquille - Affiche

Dans son film documentaire Une fille tranquille, le réalisateur montréalais Adrian Wills aborde sa propre histoire d’adoption. Dans une société strictement influencée par les valeurs chrétiennes, sa mère, à peine majeure et non mariée, se voit contrainte d’abandonner son fils tout de suite après la naissance afin qu’il ne grandisse pas comme « bâtard », mais comme un enfant normal dans une autre famille. Celle-ci amène Adrian, « Baby Boy Cousins », de sa terre natale, Terre-Neuve, à Montréal, mais ce n’est pas forcément une vie plus heureuse qu’il y mènera. Une quarantaine d’années plus tard, il revient pour retrouver celle qui l’a mis au monde… 

D’abord : une quête personnelle

La première scène du film, Adrian Wills marchant seul la nuit dans une rue éclairée par un réverbère, illustre – tout comme l’affiche évoquant le tableau Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich – la quête qui va suivre : l’idée de la solitude de l’enfant adopté et de son désir de retrouver les siens, de faire la lumière sur le propre passé qui ressemble justement à comme une mer de nuages. « Chaque film que je réalise tourne autour d’une histoire de famille. Je me rends compte que chaque personne est façonnée par sa famille. Quand on a été adopté, on se sent isolé toute sa vie », juge ainsi le réalisateur au tout début du film. 

Une-fille-tranquille_A-Quiet-Girl - Une quête personnelle
Cherche sa mère biologique : Adrian Wills

Afin de contrer l’isolement, il se rend à son lieu de naissance. Le dossier d’hôpital qu’il y découvre révèle des notes sur sa mère biologique, « une fille tranquille », venue comme des milliers de femmes à l’époque pour se débarrasser – volontairement ou non – d’un bébé célibataire, plus précisément de lui, « Baby Boy Cousins ». C’est à ce moment-là qu’il aurait réalisé : « J’ai réalisé que j’avais été quelqu’un d’autre. » Afin de retrouver sa mère, Wills lance un appel à la radio – et des membres de sa famille le contactent : ses tantes – une à Terre-Neuve, l’autre en Arizona, mais également des gens du village qui connaissaient mieux sa mère, qui, elle, reste la grande absente, et ceci pour une raison fatale : elle s’est suicidée dans les années 1990.  

Une-fille-tranquille_A-Quiet-Girl - Une quête personnelle 2
Wills et sa tante en Arizona

Ensuite : un hommage à la propre mère

La découverte de la vérité, celle du sort malheureux de sa mère, change la quête initiale de Wills qui ne cherche plus seulement à reconstruire son passé à Terre-Neuve, mais aussi à reconstruire la vie de sa mère. Au fond, il veut rendre hommage à cette femme inconnue que tous décrivent comme étant si douce, aimable et généreuse, mais dont la pierre tombale est restée incomplète – comme si personne n’avait voulu mettre un point final à sa vie. Avait-elle été heureuse, au moins pendant un temps? Avec qui avait-elle vécu? Pourquoi s’était-elle suicidée? À qui avait-elle pensé dans sa lettre d’adieu? 

Une-fille-tranquille_A-Quiet-Girl - Hommage à sa mère
Examiner le propre passé à la loupe

Wills se rend compte que sa quête lève le voile sur bien d’autres secrets, comme il le constate en échangeant avec Michael Crummey, romancier célèbre pour ses récits terre-neuviens :

Crummey : « Si tu découvres le moindre détail à propos de ces personnes, ça aura une incidence considérable sur la perception de toi-même. » 
Wills : « Oui, en entreprenant ce genre de démarche, on a l’impression d’entrer en soi-même, mais aussi dans les secrets des gens. » 

Enfin : une histoire collective 

Lever le voile sur Mary Margaret Wheeler revient à lever le voile sur une pratique habituelle dans les années 1950 à 1970 à Terre-Neuve, période où autant d’enfants ont été abandonnés dans les hôpitaux que le gouvernement passait des annonces de bébés dans les journaux pour chercher des familles adoptées (« I need someone to love » – [J’ai besoin de quelqu’un qui m’aime]). Ceci explique pourquoi pour beaucoup de spectateurs locaux Une fille tranquille reflète une histoire partagée, une histoire collective comme le relate Wills après des projections sur l’île : 

Une-fille-tranquille_A-Quiet-Girl - Une histoire collective
Pas le seul à avoir été adopté : Mrs Mary Cousins Boy

« What people said to us afterwards was, My God, this is my cousin’s story, this is my sister’s story, this is our story  » [Ce que les gens nous ont dit après, c’était « Mon dieu, c’est l’histoire de ma cousine, c’est l’histoire de ma sœur, c’est notre histoire »] (voir Smellie 2023)

La mère, la mer, l’eau, les eaux…

Traduire les émotions, qui sont souvent difficiles à exprimer, par des images accessibles, tel est l’un des grands défis – et potentiels – du cinéma. Adrian Wills y parvient avec brio. Le jeu de clair-obscur ou de lumières en général, noté tout au début de ce texte, revient à plusieurs reprises, par exemple en donnant une teinte sépia à certaines images pour les ramener dans le passé. Cependant, le symbole omniprésent constitue celui de l’eau, plus concrètement la piscine où Wills nage. L’eau est une référence à la mère puisque ce sont les eaux de la mère dans lesquelles le fœtus nageait avant de voir le jour – et d’être séparé d’elle. À ceci s’ajoute la mer comme étant un homonyme de « mère » dont on voit les vagues agitées plusieurs fois dans le film, ceci accompagné du fredonnement triste d’une voix féminine comme s’il s’agissait d’une berceuse mélancolique. 

Profond et empathique

Une fille tranquille est un documentaire profond et empathique qui vise sur l’authenticité et met la découverte de la vérité au centre de son intrigue, ce qui explique sa structure simple et linéaire. Les conversations avec Michael Crummey sont impressionnantes ainsi que les diverses rencontres avec les gens de Terre-Neuve. Les deux symboles principaux utilisés pour mettre en lumière l’idée de la solitude (clair-obscur) et du lien à la mère (eau) sont tout aussi convaincants, même si – surtout à la fin – le dernier symbole apparaît à mon humble avis un peu trop souvent.

… Ce qui n’empêche pas que ça reste un très bon film.

Une fille tranquille est présenté aux RVQC le 1er mars 2024.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
A quiet girl
Durée
86 minutes
Année
2023
Pays
Canada / Québec
Réalisateur
Adrian Wills
Scénario
Adrian Wills
Note
8 /10

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Fiche technique

Titre original
A quiet girl
Durée
86 minutes
Année
2023
Pays
Canada / Québec
Réalisateur
Adrian Wills
Scénario
Adrian Wills
Note
8 /10

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