« Tous voient la Vénus d’argent avec ses ailes. Elle fixe l’horizon comme si toutes les portes allaient s’ouvrir devant elle. » Farès
L’argent, tel Vénus dans sa splendeur céleste, exerce une attraction magnétique, captivant les esprits avec sa brillance étincelante, mais comme la déesse elle-même, il peut aussi susciter des passions tumultueuses et mener certains à des chemins parsemés d’illusions et de désirs insatiables. C’est dans ce cadre qu’avance Jeanne Francoeur. Cette jeune femme de 24 ans qui vit dans une caserne en banlieue avec son père gendarme, son petit frère et sa petite sœur. Elle fait le pari de réussir sa vie dans le monde de la finance. Pas pour la gloire ou le luxe, mais parce que c’est le moyen qu’elle a trouvé pour gagner sa liberté.
S’émanciper à coups d’opérations financières
La méritocratie existe-t-elle vraiment? Put-on sortir du carcan du déterminisme social? À quel moment notre classe sociale ou notre capital culturel jouent en notre défaveur? Comment peut-on devenir un transfuge de classe? En quoi l’argent est-il synonyme de liberté?
Aussi onirique qu’intrigante la vision d’Héléna Klotz, propose un long métrage oscillant entre le contraste des tours d’ivoire de la défense (quartier des affaires à Paris), là où la nuit révèle son secret et ses deals et ceux plus modestes de la caserne de gendarme en banlieue où vit son héroïne. Une construction par opposition qui s’érige devant la jeune femme qui voit se rêve être touché des doigts alors que le retour d’augustin (Niels Schneider) ex-connaissance fait raviver des vieux souvenirs.
Jeanne Francoeur (Pomme)
Dans un premier temps, la réalisation d’Héléna Klotz, prend des allures de thriller psychologique ou social avec une première séquence percutante cadencée, où l’onirisme a commencé à se transformer en sorte de cage dorée dans lequel le personnage principal se devait d’évoluer. Une sorte d’appréhension des codes sociaux d’une classe sociale supérieure, d’une nouvelle trajectoire de vie. Le film entraîne le spectateur dans des expectatives qui paraissent fort contemporaines, en esquissant le rapport à la réussite, l’envers du décor du monde financier souffrant parfois un peu trop d’un manichéisme basique. Qui plus est à travers les yeux d’une figure féminine à peine sortie de l’adolescence. Malheureusement, à mesure que la trame avance, le film retombe dans un drame éculé sur le monde du travail qui bafoue selon moi la première base construite du film. Les scènes s’enchainent tout en étant comme dopé aux dialogues, certes au cynisme bien trouvé, comme les échanges entre Jeanne et Farès (tradeur rencontré lors de son stage) mais bien trop raides et vidés de leurs mystères.
L’amour des paris et la peur de perdre
En offrant le rôle de cette jeune tradeuse en devenir, interprété de manière très convaincante par Claire Pommet (la chanteuse Pomme), le film détient une héroïne captivante par sa dégaine « neutre comme les chiffres ».
« Le business c’est comme le judo, on se sert de la force de l’adversaire »
Pensée comme hors norme, avec une caméra qui fixe son regard gardant encore des traces d’innocences, et élimine les distances quand elle fait face à ses épreuves. Des épreuves soulignées par une musique aux aspects hypnotiques, traversées par des sortes de déphasage, des motifs répétés qui vont petit à petit se décaler jusqu’à se brouiller pour se retrouver au final avec quelque chose de totalement différent. Exactement, comme les pensées et les déterminations de Jeanne qui attendent un regard légèrement décalé pour se retrouver face à leurs propres contradictions.
Que ce soit dans le monde de la finance ou dans sa vie personnelle, Jeanne traverse sa vie comme une sorte de pérégrination entre deux rivages dont l’articulation du film n’arrive pas à donner entièrement corps.
« Tu ferais quoi avec 10 millions »
Si les thématiques abordées sont pour le moins intéressantes, le film reste globalement en surface en les traitant sans prendre le risque d’emmener son personnage dans ses derniers retranchements : à quel point elle veut réussir? Quelle est prix à payer pour « gagner sa liberté »?
Dans la mythologie, la déesse Vénus enivre par sa beauté celui qui la croise, le berce en quelques sortes d’illusions, de pensées chimériques qui lui font presque perdre pied. La réalisatrice, voulant concrétiser ces propos philosophiques en une vision artistique cohérente, se tranche dans un simple drame, bien qu’élégant, mais trop avare dans son traitement. Il en ressort une unique question « Tu ferais quoi avec 10 millions? ».
