CARAVAGE - Une

Caravage — Le lien entre l’homme et le divin à travers le réalisme

« Tu es un peu fêlé, mais tu as tout compris. »

CARAVAGE - AFFICHE

Italie 1609. Accusé de meurtre, Le Caravage a fui Rome et s’est réfugié à Naples. Soutenu par la puissante famille Colonna, Le Caravage tente d’obtenir la grâce de l’Église pour revenir à Rome. Le Pape décide alors de faire mener par un inquisiteur, l’Ombre, une enquête sur le peintre dont l’art est jugé subversif et contraire à la morale de l’Église.

Caravage raconte l’histoire de l’artiste éponyme, au cœur de son siècle. Cet homme, interprété par Riccardo Scamarcio, prône dans ses œuvres le naturalisme et le réalisme dans une société papale qui n’est pas forcément prête pour cela. Le film propose une immersion constante dans un réalisme saisissant, rappelant le style typique du Caravage. Devenu une véritable icône de son siècle, il est acclamé par toutes les classes sociales pourtant opposées : la papauté, la noblesse et les pauvres. À la fois proche du peuple de la rue et de l’Église, des misérables et des nobles, la dualité de Michelangelo Merisi da Caravaggio représente le lien entre l’humain et le divin.

La séparation entre l’Église et le peuple

L’identité des différentes classes sociales de l’époque est frappante dans le film. Dès le début, on est immergé dans chacun de ces mondes, simultanément. La première scène du film représente des prostituées travesties, dans la rue, qui se disputent un territoire. Michelangelo entre en scène en passant au milieu, en se rendant dans une taverne avant de se faire agresser dans une ruelle. Le ton est donné, la violence de la rue nous submerge.

L’opposition est immédiatement mise en scène, puisque la séquence suivante se déroule à Rome, chez le Pape. Il engage un inquisiteur, joué par Louis Garrel, pour mener l’enquête sur Le Caravage afin de décider s’il lui accordera la grâce. Cet enquêteur est un homme sinistre, qui se fait appeler « l’Ombre ». Il est souvent représenté seul, isolé dans des plans qui paraissent toujours trop larges pour lui.

CARAVAGE - Séparation entre église et peuple

L’Ombre affirme clairement, vers la fin du film, la suprématie de l’état ecclésiastique qui pèse depuis le début. En colère, il argue : « Tout nous appartient. Nous décidons de tout. » En effet, ce gouvernement affiche son opulence face à un peuple qui meurt de faim. Les nobles organisent de grandes fêtes, comme celle du cardinal Del Monte (Michele Placido lui-même). L’Église étale sa richesse à travers de grands palais et des œuvres d’art, alors que la population pauvre est agglutinée dans des prisons, des hôpitaux ou des bordels.

L’État représenté par l’Ombre semble rigide, sévère et sinistre, alors que le peuple est coloré et riant malgré ses souffrances. Michelangelo est toujours entouré de monde, au cœur du peuple. Le travail effectué sur son incarnation exprime parfaitement ce trait de personnalité : barbu, cheveux sales et ébouriffés, vêtements usés. Le réalisateur le dépeint ainsi : « avec une coupe un peu anarchique, pour représenter l’artiste singulier et l’homme qui vivait parmi le peuple, un peu sale et en sueur, souvent fatigué, subversif même en apparence. »

Cependant, Michele Merisi, dit Le Caravage, paraît exclu dans son monde réel, cherchant sa place. Il dérive entre les milieux, mais aucun ne lui correspond vraiment et son univers n’est pas toujours compris. Cette exclusion semble être délibérée, il souhaite conserver sa propre version du réel. Par exemple, il refuse de fréquenter les peintres de l’Académie qui ne sont, selon lui, que « des bons à rien ». De toute manière, ce sont les premiers à contester sa vision artistique.

L’agression du peintre dans la séquence d’ouverture laisse aussi apparaître la folie artistique du peintre, totalement aliéné par son art. En effet, son visage balafré le remplit de joie quand il réalise avoir enfin trouvé quel est le visage de Goliath, puisqu’il était à la recherche du parfait modèle humain pour l’incarner. Son monde tourne autour de son art, de sa vision du réel et de son obsession à le dépeindre tel qu’il le voit.

L’immersion proposée par Michele Placido dans l’univers contrasté de Caravage, personnage complexe et authentique, révèle un constant jeu de dualité. D’un côté, la représentation fidèle du peuple, des marginaux et des laissés pour compte, éclairée avec une précision remarquable. D’un autre, l’écrin d’une papauté rigide, représentant l’ordre établi et la hiérarchie sociale. Cette dichotomie permanente guide les pas de Michele Merisi à travers un monde où réalisme et transcendance se heurtent sans cesse.

L’obsession du réalisme et l’interprétation du réel

Le peintre ressent une certaine urgence de vérité. Lors d’un procès, il déclare publiquement : « Je cherche le réel. » Cependant, la perception du réel est subjective, et c’est probablement ce qui lui est reproché lorsqu’il utilise volontairement des personnes dépravées pour représenter les personnages sacrés. Tout le monde n’adhère pas à sa vision révolutionnaire qui gêne ses contemporains, comme celle du moine Giordano Bruno qui est exécuté. Il vit dans un monde dont il est imprégné alors même qu’il semble en être exclu, parce qu’il est visionnaire. Après tout, sa vie se résume à la peinture. Il l’affirme lui-même, lui interdire la peinture c’est comme lui ôter la vie. Cette vision artistique et humaniste représente son identité.

CARAVAGE - Obsession du réalisme

La vie de Caravage se construit comme un tableau vivant, emplie de sa folie artistique et de sa dévotion à son art. Déjà sur l’affiche du film, Caravage en premier plan est entouré de son univers, celui qu’il s’est créé. La pièce est remplie de ses personnages, du peuple qui l’inspire. Certains sont sur une toile, déjà interprétés par l’artiste, d’autres sont de chair et d’os tels qu’ils l’ont inspiré. La lumière et la colorimétrie jouent sur cet aspect pictural.

Puisque la vie de Merisi est un tableau, l’esthétique du film l’est aussi. La majorité du film profite d’une lumière si travaillée, un tel travail sur les couleurs et les clairs-obscurs saisissants, qu’on se croit constamment au sein même d’une œuvre du Caravage. Un des plans les plus frappants est celui où Michele se retrouve dans la prison de Rome, où il essaie de dormir en faisant taire le moine. La composition de l’image est construite à la perfection, on croirait admirer un tableau réaliste. La lumière, la position des personnages et leur aspect misérable sont criants de vérité, tout comme le peintre aime les représenter.

Pour dépeindre un homme dont la priorité est le réalisme, il a fallu mettre cette notion au cœur de la réalisation. L’authenticité est la priorité de Michele Placido pour ce film, et le traitement des images le montre bien. Les plans sont tournés à la caméra portée, dont la stabilité diffère suivant ce qui est filmé. Pour ce tournage, les tableaux du Caravage ne sont pas de simples tirages photographiques, comme habituellement au cinéma. Ils ont fait l’objet d’un patinage minutieux sur des tirages sur toile, afin de rendre leur texture plus réaliste et plus fidèle.

Ce film propose une immersion dans le réalisme d’une époque, mais cette immersion constante est nuancée pour le peintre puisqu’il semble interpréter son monde d’une façon qui n’est pas comprise par ses contemporains. Il vit dans un monde à part, mais c’est exactement ce qui lui permet de représenter dans ses œuvres une certaine transcendance naturaliste, de mêler les dimensions céleste et terrestre.

Le rapprochement controversé entre l’homme et le divin

Le but de Michele Merisi est de rapprocher le divin de l’homme. Lors d’une scène dans son atelier, il explique à sa protectrice et amie la marquise Costanza Colonna (Isabelle Huppert) qu’il ne comprend plus comment il doit s’y prendre pour établir cette relation sans se faire accuser de blasphème. « Maintenant je ne sais plus, je suis confus. L’artiste l’affirme à plusieurs reprises : il peint pour le peuple et pas pour des rois ou des seigneurs. Il représente les saintes Écritures afin de les rendre accessibles à tous, même aux illettrés. Mais il a besoin de l’accord du Pape pour populariser ses œuvres et doit donc s’adresser également à lui. Il hérite donc d’une certaine pression à devoir être compris par les représentants de l’ordre, dans l’attente de leur verdict.

CARAVAGE - Le rapprochement controversé
Le Caravage (Riccardo Scamarcio)

Caravage est une figure à la lisière entre le céleste et le terrestre. En quittant Naples, il dit adieu au Jésus d’une de ses toiles comme il dirait au revoir à un vieil ami. Puisque ses peintures transforment le réel en divin, le divin devient réel et terrestre sur ses peintures. Par ailleurs, les œuvres de Merisi ornent les églises pour permettre aux croyants de se recueillir à travers ces images.

Le personnage du Caravage dans le film de Placido semble mieux représenter la foi que l’Église elle-même, malgré les accusations dont il est victime. Son art semble convaincre la plupart des croyants de tous les milieux, ses œuvres fascinent. L’artiste est proche du peuple et du sacré, des nobles et des mendiants.

CARAVAGE - Le rapprochement controversé avant Michelangelo

Michelangelo Merisi incarne l’amour inconditionnel représentatif de la foi, à travers des valeurs humanistes. L’Église représentée par l’Ombre (le seul personnage fictif) est une institution rigide et déconnectée, parfois même cruelle. À travers sa peinture, l’artiste prône une vision religieuse nouvelle et révolutionnaire face à un État contre-réformiste.

L’Ombre est un homme de confiance de l’Entité (les services secrets du Saint-Siège), il est censé représenter la foi via l’ordre et la vertu. Cependant, c’est la figure sinistre du film, il semble ne pas avoir de cœur. L’amour inconditionnel tient pourtant une place importante dans la foi véritable, plus que l’ordre et la répression. L’amour triomphe de tout, comme le titre d’une des œuvres l’exprime si bien : « Amor vinci omnia ». Merisi aime l’humain en tant que tel, sans fioritures. D’ailleurs, la plupart de ses œuvres sont exposées à l’église Santa Maria del Popolo (Sainte-Marie du peuple). Néanmoins, c’est lui qui est accusé de porter atteinte à la morale religieuse.

Michele Merisi, qui n’est qu’amour, est entièrement dévoué à sa foi malgré une certaine dépravation. Il exprime son amour sous différentes formes à qui veut bien le recevoir, tant aux femmes qu’aux pauvres, à tous les reclus de la société. Il exprime autant d’amour que de dévotion, se rapprochant ainsi à la fois du peuple et du sacré. Il réussit à représenter le divin mieux que l’Église elle-même, et c’est probablement cela qui fait de lui une figure exceptionnelle et immortelle.

À travers la vie tourmentée et passionnée de Caravage, ce film capture la lutte perpétuelle entre l’homme et l’institution, entre le réel et le sacré. En embrassant la misère humaine et en magnifiant le divin dans chaque trait de pinceau, Caravage devient lui-même un pont entre le terrestre et le divin. Comme l’affirme Michele Placido, le peintre Caravage propose une « invitation à considérer la réalité dans tous ses aspects, y compris les plus humbles. »

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Caravaggio
Durée
118 minutes
Année
2022
Pays
Italie
Réalisateur
Michele Placido
Scénario
Sandro Petraglia, Michele Placido, Fidel Signorile
Note
8.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Caravaggio
Durée
118 minutes
Année
2022
Pays
Italie
Réalisateur
Michele Placido
Scénario
Sandro Petraglia, Michele Placido, Fidel Signorile
Note
8.5 /10

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