« If my clients knew this they… they’d cry… They are going to know this, they are all going to know this. »
[Si mes clients savaient cela, ils… ils pleureraient… Ils le sauront, ils le sauront tous.]
Exhortation pressante à la justice, Le temps dérobé suit la charismatique avocate Melissa Miller, spécialisée en droit des personnes aînées, qui s’attaque à l’industrie des centres de soins à but lucratif, tristement connue pour son manque de transparence et de responsabilité sociale. Au cœur de la mêlée juridique, des familles, des personnes soignantes de première ligne et des acteurs du changement font la chronique d’une véritable crise, dont l’issue se révélera favorable et motivante pour nous toutes et tous.
Avec Le Temps Dérobé, Helene Klodawsky démontre encore comment le Canada reste parmi les têtes de file en matière de cinéma documentaire. On a qu’à penser à Richard Desjardins avec L’erreur boréale ou à l’Office Nationale du Film elle-même qui a produit une quantité phénoménale de documentaires de durées variées allant du court au long métrage. L’œuvre de Madame Klodawsky s’inscrit dans cet effort constant à montrer le monde tel qu’il est sous ses bons et ses mauvais jours afin de permettre à la population d’être davantage informée, et donc plus en contrôle de son destin. Comme le disait René Lévesque: « Être informé, c’est être libre. »
Parlant de ce cher Monsieur Lévesque, il aurait aujourd’hui 101 ans (désolé pour tous ceux qui viennent d’apprendre qu’ils ont manqué le 100e de René Lévesque. Va falloir attendre que ça revienne). À 101 ans, s’il était toujours vivant et fringuant, notre cher« Tit-poil » serait sûrement dans une résidence pour personnes âgées ou CHSLD (acronyme maintenant accompagné d’un tonnerre et d’un clavecin lugubre chaque fois qu’il est prononcé) à manger des patates en poudre pas de patates; jouer à des jeux pas le fun; et ne pas recevoir de soins, par manque de personnel. Je me demande comment le Québec oserait se regarder avec fierté après avoir laissé un de leurs plus grands dirigeants mourir avec des plaies de lit si profondes que je pourrais y insérer mon poing?
Il n’y a pas de quoi rire, car cette image horrible que j’ai pu vous faire voir avec ma dernière phrase décrit des situations malheureusement bien réelles. Cela prouve comment cette initiative n’est pas simplement éclairante, mais aussi nécessaire. Le système dans lequel nous vivons est peut-être un des plus évolués au monde, n’empêche qu’il n’en reste pas moins extrêmement défaillant. Le peuple canadien l’ignore-t-il; se voile-t-il simplement la face; ou peut-être que tout un chacun se croit seul confronté à la marée montante et toujours plus envahissante? Ne soyons pas les batraciens de cette fable à toujours attendre que l’on fasse à notre place, car trop souvent la main du puissant s’est révélée n’être que destructrice ou indolente.
Je dois d’abord préciser qu’au niveau documentaire, je ne suis pas un néophyte, mais je suis aussi très loin de me considérer comme un expert en la matière. Toutefois, j’ai fini par en tirer une leçon importante. Aussi superficiel que cela puisse paraître à première vue, il est primordial d’avoir une tête d’affiche capable de captiver la plus endormie des vigies, si l’on veut éviter que l’attention de notre auditoire ne se transforme en Titanic s’écrasant contre l’iceberg que nous tentons de leur faire découvrir. Un premier objectif que le film de Helene Klodawsky remplit à merveille.
Tout au long du documentaire, nous accompagnons la puissante et terriblement charismatique Melissa Miller à travers une épopée immense pour une avocate qui en est à pas plus de dix ans d’expérience (au commencement du tournage). Pourtant, on voit tout de suite qu’elle serait capable d’affronter encore plus gros pour le bien-être de ses clients et aussi des citoyens en général (et le tout avec style). On s’imagine tout de suite comment son apparence est un reflet de son intériorité qui semble à la fois méthodique et sensible. Les avocats se doivent de représenter leurs clients chaque jour avec la même rigueur et considération; c’est-à-dire 110%. À voir toute l’énergie et la ferveur émaner de Madame Miller, on ne doute pas une seconde de ce pour quoi c’est elle que l’on s’arrache pour défendre sa cause.
C’est ainsi que paraissent certains individus; des phares robustes et lumineux qui percent le brouillard; les miasmes du système et des maux qui surgissent de ses coins sombres. J’évoque ainsi le plan réutilisé du coin de mur gris sans fenêtre qui représente le documentaire; une image fichtrement bien choisie pour illustrer le sentiment de cloisonnement et d’impasse fasse au fonctionnement des CHSLD. Je trouve encore plus intéressant que le coin de mur en question n’est pas à 90 degrés d’angle, mais en deçà de cela. Cette vision amène aussi à l’aspect claustrophobique et isolant qui afflige les pensionnaires de ces établissements devant une fin qui offre de moins en moins d’avenues et un horizon qui rétrécit peu à peu.
Des compagnies qui empochent des milliards sur le dos des usagers de son industrie de « soins » palliatifs ou tout simplement d’ex-travailleurs et travailleuses maintenant rejetés par le monde qu’iels ont construit; voilà la dure réalité de ce milieu. Le Temps Dérobé porte bien son titre, car à ce niveau ça en devient indubitablement du vol. Je comprends très bien que d’un point de vue légal, certains contrats (malheureusement souvent vagues aux endroits importants) sont signés approuvant des soins, des fonctionnements et ainsi de suite; cependant, n’y a-t-il pas une limite à ce qu’un contrat peut permettre ou abolir?
Ce ne sont rien de moins que des conditions de vie qui sont entretenues anticonstitutionnellement dans certains CHSLD; des lieux dans lesquels se retrouvent certains de leurs pensionnaires, que l’on croit peut-être à tort n’être qu’une faible minorité. Un dicton populaire de nos jours ne dit-il pas que la valeur d’une Nation est jugée par la manière dont les plus démunis y sont traités? Quelle piètre civilisation faisons-nous si tels sont les principes qui régissent notre empathie collective. J’en conviens, on blâme beaucoup la génération des baby-boomers pour avoir mis en place un système défaillant et peut-être inhumain pour les générations subséquentes; est-ce véritablement là une raison valable pour les laisser mourir seuls et piteux sous nos regards vengeurs?
Mais peut-être sommes-nous tout de même en voie de rémission. L’intergouvernementalisation de la question du futur des aînés est de plus en plus répandue. Évidemment face à la mondialisation des moyens, en vient aussi une modernisation des lois internationales au sujet des Droits de l’Homme. Pourtant, une seule question me titille inlassablement l’esprit. Le mode de vie capitaliste et dévorant que nous menons ne nous a-t-il pas éloigné de nos valeurs communautaires et familiales? Suis-je fou? Ai-je imaginé une époque où les demeures étaient abordables et intergénérationnelles; où les gens d’âges différents se côtoyaient constamment et échangeaient leurs expériences; où nous n’avions pas à craindre de mourir seuls dans un endroit froid et indigne de notre passage déjà assez éprouvant et humiliant sur cette Terre?
Le temps dérobé est présenté aux RIDM les 19 et 26 novembre 2023.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième