« C’est une drogue dure le cinéma. »
Marquez
Quand on pose la question à Cédric Kahn « est-ce que le cinéma est une drogue dure », sa réponse fut sans appel « oui! ». Un oui sec et sans bavure, un oui tiraillé entre joie et peine. Tel un camé, le réalisateur se dérobe de son cheminement dramatique pour nous offrir sa première incursion dans la comédie avec Making of.
Si le cinéma est une drogue dure, l’histoire de Simon représente ses effets. Ce réalisateur aguerri débute le tournage d’un film racontant le combat d’ouvriers pour sauver leur usine. Mais entre les magouilles de son producteur, des acteurs incontrôlables et des techniciens à cran, il est vite dépassé par les événements. Abandonné par ses financiers, Simon doit affronter un conflit social avec sa propre équipe. Dans ce tournage infernal, son seul allié est le jeune figurant à qui il a confié la réalisation du making of.
« Joseph et Simon c’est la rencontre de deux moi. »
Cédric Kahn
Les financeurs exigeants leurs happy end, un producteur véreux fuyant ses responsabilités, une vedette (Jonathan Cohen) à l’égo surdimensionné cassant la tête (et pas que) à tout le monde et un réalisateur (Denis Podalydes) aux abois devant le conflit dans sa propre équipe, Kahn n’épargne personne. S’il maitrise admirablement les codes du cinéma et les idées reçues qui lui sont portées, c’est pour mieux jouer avec, et ce, pour notre plus grand plaisir. Les plus cinéphiles connaissent tous la rengaine du « film dans le film » présenté sous plusieurs coutures. Cependant, le cinéaste lui ajoute un degré de complexité en mettant en scène « un film qui parle du film sur le film ». Puisant, en partie, dans ses propres difficultés, celles qu’il a vécues durant sa carrière, mais aussi pour faire, spécifiquement, « Making Of ». Le cinéaste aborde sans se vautrer dans le manichéisme les travers de la confection d’un film. Offrant une galerie de personnages plus près du réalisme, comme certains rôles de techniciens joués par des VRAIS techniciens, que de la caricature. Le long métrage y dévoile son milieu tant désiré tout en l’enrobant d’un sens du comique acide à la fois introspectif par ses références et percutant par sa justesse.
Making Of, c’est une histoire qui en cache une autre. C’est aussi l’histoire d’ouvriers voulants protéger leur usine de la délocalisation que Simon veut mettre en boite pour « dénoncer les manigances du grand capitalisme ». En se penchant sur cette histoire, le film esquisse un parallèle perturbant entre le combat des ouvriers et les galères de l’équipe de tournage. De fait, le film dépasse sa condition en faisant échos aux violences subies dans les différents milieux de travail et le cinéma n’y est pas épargné.
Mais dans Making Of, la fiction fait appel à sa propre histoire fictionnelle. En effet, le « film » de Simon c’est l’histoire romancée de Jeff (de la réalité PAS véritable), qui joue son propre rôle de fiction (vous suivez toujours?). Si, Kahn puise dans la perception de la réalité pour la dépeindre en fiction, Simon puise sa vision dans une sorte de réalité fictionnelle pour réaliser son film, mettant en plus en exergue le parallèle construit tout au long.
Making of joue habilement avec les codes du cinéma en proposant plusieurs grilles de lecture dont la cohérence vient renforcer le fait que chaque film fait est un petit miracle. Avec son œuvre, Cédric Kahn pose un regard réflexif sur son rapport à la vie en général, mais surtout sur le 7e art. In fine, il reste une question en suspens : après 30 ans de carrière, Cédric Kahn est-il plus proche de Simon ou de Joseph?
Making of est présenté au festival Cinemania, les 1er et 2 novembre 2023.
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