« De quelle époque s’agit-il : le coucher du soleil ou l’aube? »
Un conte de fées bardique sur la fin du monde et le début d’un nouveau.
En proposant Once Within A Time, Godfrey Reggio revient après dix ans avec un nouveau film expérimental pas comme les autres, qui s’intègre parfaitement au reste de sa carrière déjà audacieuse.
Il se sera écoulé 10 ans entre les deux derniers films de Godfrey Reggio. Il y a 10 ans, je voyais Visitors, un des plus beaux films que j’ai eu la chance de voir dans ma vie. Il est donc de retour avec les mêmes copilotes que lors de son œuvre précédente, soit : Jon Kane à la production et au montage, et Philip à la composition musicale.
C’est donc un conte dystopique, teinté de comédie apocalyptique, d’une cinématographie ravissante, de panoramas inoubliables, et de l’innocence et des espoirs d’une nouvelle génération que nous offre le réalisateur de 83 ans.
Dois-je vraiment mentionner que la musique est épique, touchante, vibrante et simplement magnifique? Après tout, il s’agit de Philip Glass. Mais cette fois-ci, plutôt que d’offrir une image noir et blanc ultra-photographique avec de longs plans contenants peu de mouvement, cette fois-ci, il a choisi une image dans un genre de sépia, avec beaucoup de mouvement et un rythme effréné. Le résultat est simplement aussi incroyable que la technique utilisée.
Pour mettre en image sa vision, Reggio avait besoin de la plus grande scène du monde. Un emplacement épique, pour un film épique. Il a donc fait construire une scène virtuelle qui est devenue la plus grande au monde : cent pieds de haut, cent pieds de profondeur et cent pieds de large. Virtuelle? Oui. Car en réalité, ce film à grand déploiement a été tourné sur une scène de dix mètres sur quatre que quelqu’un a créée pour la projection sur écran arrière.
Tout le film, toutes ces atmosphères et tous ces décors sont des miniatures, puis ils sont composés d’action en direct tournée devant un écran vert. Une fois les scènes sur la table de montage, chaque plan a été numériquement redessiné à la main. Le résultat est plutôt déstabilisant et, je dirais que, ça prend 5 ou 6 minutes avant d’avaler tout ça et commencer à apprécier l’œuvre à sa juste valeur.
Mais cette beauté créative mène à un monde apocalyptique dans lequel on peut voir une planète au désespoir. Godfrey Reggio dit ne pas être inquiet pour l’avenir. Il ne croit pas en une future catastrophe. Lorsque questionné à savoir s’il s’inquiétait pour l’avenir, il a simplement répondu ceci :
« Cela ne m’inquiète pas, la catastrophe est déjà arrivée. Ce film s’adresse à ceux qui sont prêts à garder espoir, afin qu’ils puissent avoir l’audace de créer leur propre monde. Un début résolu, je l’appelle. Et rien ne fonctionne mieux que les exemples. Il y a 412 plans dans le film, et chaque plan est comme une affliction. Il faut qu’il lance et purifie ; l’ébullition devrait soulager la douleur. Ce n’est pas seulement : oh, c’est joli. Chaque son comporte 33 degrés de couches. Vous ne pouvez pas le regarder, mais il vous voit, si vous le regardez avec un regard réciproque. Beaucoup de choses se produisent en même temps, chaque plan étant peint à la main numériquement. »
Non, on ne peut pas dire que tout ça est joyeux. Mais le réalisateur ne se contente pas de donner la morale. Il utilise des mythes et des personnages connus de tous afin d’illustrer son sujet. Sans oublier les références cinématographiques et artistiques. La musique est, par moment, un bel exemple, rappelant celle de 2001 : A space odyssey ou encore The Shining. On ne peut pas manquer, non plus, la fameuse fusée qui s’écrase sur le visage de la lune dans Voyage dans la lune, ou encore le plan qui reconstruit la Naissance de Vénus de Botticelli. D’un point de vue plus mythologique, il y a le cheval de Troie qui fait une apparition et, plus important encore dans cette fable de destruction du monde, la présence d’Adam et Eve.
Ces derniers servent, entre autres, à illustrer la prison qu’est la technologie sur les humains. Il y a un personnage qui est un genre de guide, qui conduit nos deux jeunes personnages à travers ce récit. On pourrait dire qu’il représente le capitalisme, ou la surconsommation, l’attrait de la facilité. On peut y voir beaucoup de choses. Ce qu’on montre est qu’il pousse les 2 personnages à poursuivre leur chemin, avec un genre de boite sur la tête, une prison. Tous les gadgets, acheter tous les mythes que donne ce guide en guise de consommation crée cette prison autour de la tête des personnages. L’idée est efficacement présentée et fait mouche.
Il y a tant à dire sur ce film de 52 minutes.
Reggio aime beaucoup tourner sans dialogues. Voici pourquoi :
« Lorsque vous nommez quelque chose, vous le limitez. Mes films sans paroles reposent donc sur un amour de la parole, mais notre langage ne décrit peut-être plus le monde dans lequel nous vivons. Nous vivons dans un monde d’instantané. Nous vivons dans un monde où une chose affecte l’autre. C’est un univers global. Donc si vous voulez réformer la langue, renommez le monde. »
Avec ce film, pour lequel la musique a été composée en même temps que les images, le réalisateur réussit à offrir un film qui peut être « lu » autant par un enfant de 7 ans que par un vieil homme. Non seulement parce qu’il n’y a pas de dialogues, mais surtout parce qu’il s’agit d’un film de sensations, d’émotions, de perceptions. Pour créer cet effet, Reggio et Glass ont travaillé ensemble pour créer une sorte de partition qui visait à atteindre le cerveau reptilien et non pas notre logique.
« J’écris des poèmes. Je suggère des instruments. Et il [Glass] écrit la partition. Si nous avons un son, cela devient un effet. Et puis je reprends la partition avec Jon Kane et mon équipe, car on peut mettre des sons supplémentaires. Nous pouvons parler en langues. Nous pouvons avoir des décollages, nous pouvons avoir des chuchotements dans le noir. Et cela nourrit ce cerveau reptilien, non pas de rationalité, mais d’émotion. »
Pour ceux qui verront ce long métrage, vous pourrez y voir Mike Tyson. Oui, oui, l’ancien boxeur. Il joue un personnage assez intéressant : le mentor. Il voyage partout dans le monde, un monde qui touche à sa fin pour encourager les gens à suivre leur propre chemin et non pas celui dicté par notre société malade.
Découvrez ce conte, qui n’est pas un conte de fées qui se termine bien avec des objectifs moraux. C’est plutôt un conte bardique. Ce n’est pas sur la route de briques jaunes du gadget. Ce n’est pas un mythe que l’on bouleverse. Ce n’est pas Ève qui mange la pomme. Nous sommes la pomme. Nous sommes la technologie. Les enfants d’aujourd’hui ne sont pas ceux de l’avenir, ils sont l’avenir. Et c’est ça, le but ultime de Once Within a Time.
Bande-annonce
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