« La seule bonne chose à propos de mon corps c’était que j’avais de beaux seins. »

Dans l’obscurité du sauna à fumée, les femmes partagent leurs secrets les plus intimes et leurs expériences intimes. Grâce à un sentiment de communion, les femmes se débarrassent de la honte emprisonnée dans leur corps et retrouvent leurs forces.

Avec Smoke Sauna Sisterhood (Savvusanna sõsarad), Anna Hints offre un magnifique documentaire qui va au-delà de ce à quoi on s’attend en allant au cinéma. Non seulement elle offre de la profondeur, mais elle donne un film visuellement beau.

La tradition du smoke sauna

La tradition du sauna à fumée de Vana-Võromaa (région du sud de l’Estonie), connue sous le nom de « savvusanna kombõ » et inscrite sur la Liste représentative de l’UNESCO du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, consiste à connecter famille et amis pour purifier le corps et l’esprit dans un lieu de paix et contemplation. 

Ce qui a inspiré Anna Hints à faire ce documentaire, c’est l’histoire des saunas à fumée en tant que lieu d’accouchement. C’est ainsi qu’elle a décidé de se concentrer sur les femmes qui « se réunissent dans l’obscurité protectrice du sauna à fumée, partagent leurs secrets les plus profonds et se débarrassent de la honte qui s’est accumulée dans leur corps et de ce que cela représente.

Dans Smoke Sauna Sisterhood les femmes sont dans un petit sauna au milieu de la forêt, au bord d’un lac. Dans une des scènes on peu assister à un moment assez spectaculaire alors que les femmes sortent du sauna, dans lequel la température peut monter jusqu’à 90 degrés, pour descendre sur le lac gelé où un trou a été fait, et une après l’autre, les femmes descendre par une échelle dans l’eau glacée. Puis ressortent et retournent au chalet. Quand on parle de se nettoyer l’âme, ce doit être assez efficace comme technique. 

Intime et beau

Smoke Sauna Sisterhood utilise une approche profondément émouvante, intime et originale pour traiter des questions de traumatisme, de guérison et de communauté. Filmée presque comme un tableau de Vermeer, la caméra n’est jamais intrusive, jamais mécanique. Au contraire, les images bougent comme la fumée – persistantes, flottantes, suspendues brièvement avant de disparaître et de réapparaître. Avec une voix authentique et une autorité née de son propre héritage, la cinéaste Anna Hints crée une expérience transformatrice d’être humain dans un corps féminin, montrant les femmes « telles qu’elles sont » avec une grande véracité émotionnelle et une profonde empathie.

Sans rien cacher de ces corps nus, mais sans pour autant en faire une œuvre de voyeurisme, la réalisatrice nous amène au plus profond de l’âme de ces femmes qui ont vécu des traumatismes. Pour certaines ce sont des difficultés avec leur corps en lien avec ce que la société exige des standards de beauté, alors que pour d’autres se sont des traumatismes liés à des viols ou la religion. 

Mais dans chacun des cas, ces femmes se livrent à la caméra d’une manière authentique, en laissant voir leur corps, mais pas leur visage (à l’exception de deux d’entre elles). Au centre de ce documentaire, il y a la notion d’intimité. En tant que spectateur, on assiste à des témoignages bouleversants qui font réfléchir. 

Le film se termine sur un vers runique nommé Thank You Song for Smoke Sauna interprété par la réalisatrice Anna Hints (avec un chœur de la productrice Marianne Ostrat), pour remercier l’esprit du sauna à fumée.

Un peu plus…

Je dois aussi parler de la musique. Les puristes diront qu’un vrai documentaire ne devrait pas s’alimenter par la musique. Mais dans ce cas-ci, la sublime musique de Eeter complète à merveille les chants que font les femmes et surtout, ça permet d’alléger l’atmosphère à certains moments. Et l’image est si belle, dans les teintes ocre lorsque la caméra est dans le Sauna et dans les teintes bleutées lorsqu’elle est à l’extérieur. Du coup, cette musique est un ajout puissant au récit.

Je vais terminer sur une petite anecdote. Le film est tourné avec une ARRI Amira, ce qui est pratique vu l’endroit du tournage. Les températures dans le sauna pouvant atteindre les 90 degrés Celsius pendant la production, l’équipe a perdu deux lentilles et un moniteur à cause de la chaleur et de l’humidité. On n’a pas besoin d’aller tourner dans une caverne pour qu’un tournage soit extrême. 

Smoke Sauna Sisterhood est le meilleur documentaire que j’ai vu dans la dernière année, et certainement un des meilleurs que j’ai regardé dans les 5 dernières années. En mélangeant la beauté visuelle, à la beauté sonore, au sujet original et aux témoignages forts, ce film sort de la masse. 

Smoke Sauna Sisterhood est présenté au FNC les 7 et 15 octobre 2023.

Bande-annonce