Angela (Ilinca Manolache), une assistante de production roumaine surmenée, est chargée de filmer une demi-douzaine de cassettes d’audition avec des victimes d’accidents pour une vidéo sur la sécurité au travail en entreprise. Angela prend également le temps de publier des vidéos TikTok scabreuses dans lesquelles elle devient Bobita un clone misogyne d’Andrew Tate. C’est finalement Ovidiu qui aura le rôle. Mais lorsqu’il révèle, lors du tournage, que son accident du travail est dû à la négligence de l’entreprise, sa déclaration déclenche un scandale, qui l’oblige à réinventer son histoire pour l’adapter à celle de l’entreprise.
Avec Do not expect too much from the end of the world, Radu Jude propose un film à l’humour virulent typique du cinéma roumain. Un film composé en 3 actes distincts qui, malgré ses 2 heures 43 minutes, ne laisse jamais le spectateur s’ennuyer.
L’absurde au service de la critique
Après avoir réalisé Bad Luck Banging or Loony Porn, le réalisateur roumain avait une grande pression avec la sortie de son film suivant, Do not expect too much from the end of the world. On va le dire immédiatement, ce nouveau long métrage n’est pas aussi réussi que le précédent. Mais la marche était très haute. Cela étant dit, le réalisateur offre tout de même un super film.
Fidèle à son habitude, Radu Jude a divisé son drame-comique-absurde en parties. Dans un paysage vertigineux, cinéma, capitalisme et technologie rencontrent la sociologie politique du monde numérique post-totalitaire.
Jude a un oeil pour traiter de ces choses que la société accepte, mais qui n’ont aucun sens. Alors qu’il était question de la sexualité dans le précédent film, il est ici question du totalitarisme, du capitalisme et de la violence qu’on accepte comme étant normal, voire drôle.
Angela est un personnage fascinant. Alors qu’elle est une femme qui se fait exploiter par son patron masculin, elle passe son temps à créer des vidéos ultras misogynes à la Andrew Tate dans lesquelles elle traite les femmes de putes, de salope, de race inférieure et de vides couilles pour les hommes. Bien qu’elle dise le faire d’une façon satirique, ses abonnés sont clairement, eux, dans cette tendance violente.
Tout au long de l’histoire, on rencontre les victimes d’accidents de travail qu’Angela doit filmer. Ce qu’elle fait sans aucune passion d’ailleurs. On voit son malaise à courir après ces victimes d’entreprises négligentes qui refusent d’accepter leurs responsabilités. Mais c’est lorsqu’on arrive dans la dernière partie du film, alors qu’on assiste au tournage de la fameuse vidéo, que la critique du capitalisme prend forme. C’est aussi la partie la plus courte du film.
Un amateurisme professionnel
Jude aime donner une apparence amateur à ses films. Du coup, le résultat est parfois étrange. Par moment on ne sait pas trop si ce film est mauvais ou génial. Si on ne porte pas attention ou si on ne connaît pas l’humour roumain, on pourrait effectivement croire qu’on est en présence d’un film amateur. Mais le réalisateur sait où il s’en va.
Angela, cette assistante de production surmenée parcourt la ville de Bucarest en voiture pour filmer les auditions pour cette commande provenant d’une entreprise multinationale. Du coup, Do Not Expect Too Much from the End of the World (titre qui cite un aphorisme de Stanislaw Jerzy Lec) est un film fragmentaire (en partie comédie, en partie road-movie, en partie film de montage, en partie film basé sur l’action de la caméra) sur le travail, l’exploitation, la mort et la nouvelle économie des petits boulots. En même temps, c’est un film qui aborde le difficile problème de la production d’images.
Angela (Ilinca Manolache) dans sa voiture
Il faut aussi mentionner l’utilisation d’un vieux film roumain de 1981 afin de créer un parallèle dans son histoire. Il s’approprie les extraits du film pour créer l’histoire d’une des victimes que rencontre Angela. Et que serait le cinéma de Jude si le lien était visible dès le début?
Si on revient à l’apparence amateur du film, on pourrait penser à l’image granuleuse des séquences du passé, et des plans de caméra dans la voiture d’Angela, toujours de côté, sans mouvement, ne la mettant vraiment pas en valeur.
Et quoi dire de cette scène de nudité inutile au tout début du film, alors qu’on ne revient aucune scène du genre pendant les 160 minutes suivantes? Une façon de montrer l’hypocrisie dans le cinéma.
Un peu plus…
Jude est un cinéaste incontournable pour quiconque s’intéresse au cinéma politique. L’exploitation, la discrimination et l’hypocrisie sont au cœur de ses œuvres; et la dialectique est une bombe entre ses mains. Encore une fois, il est audacieux, exaspérant et inspirant.
Avec Do not expect too much from the end of the world il touche à la polémique violente, et nous présente un film aigrement drôle sur l’état du capitalisme minable auquel tout le monde peut s’identifier.
Mais soyez prêt, car le film est long et il n’y a pas de grandes envolées d’action.
Do not expect too much from the end of the world est présenté au VIFF les 6 et 8 octobre 2023.
