« — Nous aimer comme si l’amour c’était la mort
— C’est de qui? On dirait du Rimbaud?
— Michel Sardou ».

Sophia (Magalie Lépine-Blondeau), 40 ans, professeure de philosophie à l’université du troisième âge, vit en couple depuis dix ans avec Xavier (Francis-William Rhéaume), professeur de sciences politiques. Ils ont une vie confortable et leur couple est plutôt stable malgré une vie sexuelle en veilleuse. En contrepartie, ils ont une vie sociale riche et heureuse entre leurs amis et beaux-parents respectifs. L’existence de Sophia bascule le jour où elle fait la rencontre de Sylvain (Pierre-Yves Cardinal), un entrepreneur des Laurentides aux antipodes de son mode de vie. À l’aube de l’hiver, elle quitte tout pour vivre cette passion brûlante. Peut-être la dernière de sa vie.

Poutres et poésie : un amour en chantier

Après le succès de son précédent film, Babysitter, la cinéaste québécoise Monia Chokri fait son grand retour avec Simple comme Sylvain. Ce troisième long-métrage, qui a d’abord fait ses débuts à Cannes en mai dernier, sera enfin disponible sur nos écrans à partir du 22 septembre prochain. Avec cette nouvelle œuvre, Chokri confirme non seulement son talent en constante évolution, mais aussi sa remarquable aptitude à saisir l’authenticité et la complexité des relations humaines.

Dans Simple comme Sylvain, nous sommes immergés dans une histoire d’amour mature, pleine de complexités et d’enjeux moraux, qui renouvelle brillamment le genre de la comédie romantique. Le film ne se contente pas d’explorer les facettes de l’amour à l’âge adulte; il offre aussi une méditation approfondie sur les thèmes du désir, de l’engagement, et des valeurs qui peuvent soit solidifier, soit briser un couple.

« J’avais surtout envie de filmer une histoire d’amour. Il y a un sujet assez obsessionnel dans mon travail jusqu’à maintenant : l’impossibilité, l’empêchement de l’amour ».

Monia Chokri.

Dans ce film, les questions de genre et d’appartenance sociale, qui sont des sujets majeurs dans la pensée contemporaine, occupent une place centrale. Sophia, une universitaire en quête d’un poste de professeure en philosophie, et Sylvain, un entrepreneur du bâtiment, sont les incarnations de deux mondes intellectuels et sociaux différents. Au lieu d’être des barrières, ces différences agissent comme des aimants et rapprochent ces deux personnages, tous les deux en quête de passion et de renouveau. Le film donne une résonance visuelle à la célèbre citation de Molière : « l’amour n’a de raisons que la raison ignore. »

Sophia, que l’on découvre dans un contexte de dîner entre amis où le débat culturel et politique est de mise, est une femme en retrait, éclipsée par l’éloquence et le savoir de son conjoint. Lorsqu’elle rencontre Sylvain, le charpentier qui est censé travailler sur le chalet du couple, une alchimie indéniable et instantanée les conduit vers une aventure adultère passionnelle. Sylvain, en toute spontanéité, offre à Sophia la possibilité d’une renaissance affective et sexuelle. Coincée dans une relation platonique qui ne lui apporte plus de satisfaction, Sophia trouve le courage de rompre avec son partenaire de longue date pour poursuivre une aventure qui la fait véritablement vibrer. Plutôt que de rester dans le confort d’une relation qui ne la satisfait plus, elle fait un choix audacieux : écouter son propre désir et donner vie à un fantasme de passion et de sensualité. Optant pour le remords plutôt que le regret, elle prend la décision difficile, mais nécessaire de reconstruire sa vie, et ce, en dépit de l’affection et du respect que sa famille et ses amis ont pour son ancien compagnon.

« Je ne sais pas où va mon chemin, mais je marche mieux quand ma main serre la tienne ».

Alfred de Musset

Au sein de cette romance existentielle, le personnage de Sophia, permet à Chokri d’incorporer des discussions théoriques sur l’amour, le désir et la fidélité, tout en évitant le piège de la condescendance ou de la simplification excessive. Elle réussit à traiter ces sujets complexes avec un humour incisif, une petite touche kitsch que l’on retrouve dans les films des années 70 et une sensibilité à fleur de peau. C’est une belle réussite qui donne une texture intellectuelle au film sans compromettre son accessibilité.

« Je trouve aussi que c’est touchant quelqu’un qui dit : “Je m’intéresse à toi, donc j’ai lu Guillaume Apollinaire” à qui l’autre répond : “Je m’intéresse à toi, donc j’ai lu un livre sur la chasse. »

Monia Chokri

Quant au personnage de Sylvain, il injecte le décalage essentiel qui bouscule l’univers ordonné de Sophia. Ce pari audacieux de le placer en opposition totale avec le style de vie de celle-ci, crée une base solide pour examiner non seulement l’attrait des contraires, mais aussi les tensions inévitables qui émergent lorsque deux univers différents entrent en collision.

Sur le plan de la mise en scène, Simple comme Sylvain brille par son excellence. Le film élabore ici son propre vocabulaire visuel. Fortement soutenu par l’exceptionnel travail d’André Turpin, il s’éloigne de l’emblématique « scope Dolanesque », tout en préservant une affection pour des prises en 35 mm d’une beauté renversante. L’actrice vedette, Magalie Lépine-Blondeau, offre une prestation nuancée, naviguant entre vulnérabilité et confiance, en parfaite adéquation avec la transformation de son rôle.

Au final, Simple comme Sylvain est un film qui parle de l’amour dans toute sa complexité, son irrationalité, mais aussi de sa beauté autour d’un scénario bien ficelé. Il n’hésite pas à aborder des questions délicates. C’est un portrait riche et nuancé des défis de l’intimité dans notre époque contemporaine, où les enjeux de classe sociale et de genre se mêlent aux quêtes personnelles de bonheur et d’épanouissement. 

Monia Chokri nous offre ici un film aussi tendre que cru, aussi mélancolique que vitalisant, qui offre une vision de l’amour et du désir qui sort des sentiers battus. Il se positionne définitivement comme une œuvre majeure dans sa filmographie. C’est donc une nouvelle perle du cinéma québécois à ne pas manquer.

« En amour, mieux vaut connaître et être déçu que ne pas savoir et toujours se demander. »

Oscar Wilde

Simple comme Sylvain est présenté au TIFF, les 7, 14 et 15 septembre 2023 et arrive en salles le 22 septembre.

Bande-annonce