« — Je ne jurais pas, mesdames et messieurs.
— C’est vrai mesdames et messieurs, “Ah suwi“ en javanais se traduit par “trop long“. »
Prani (Sha Ine Febriyanti) est une enseignante dans la quarantaine, connue pour son éthique inébranlable, et ses punitions créatives – appelées « réflexions » – qui lui valent l’admiration de ses collègues et le respect de ses élèves. Lorsqu’elle voit quelqu’un couper la queue devant un stand populaire de gâteaux à la noix de coco, elle dénonce sans crainte cette injustice. Son acte prend cependant une tournure inattendue lorsqu’un vlogueur publie une vidéo d’elle, qui devient virale, et qui est mal interprétée et déclenche une vague de critiques en ligne. La réputation de Prani et ses chances d’obtenir le poste de directrice adjointe auquel elle aspire sont soudainement menacées, et bien que sa famille tente de l’aider à prouver son innocence, la situation devient rapidement incontrôlable.
Avec Andragogy (Budi Pekerti), Wregas Bhanuteja propose un film facile d’accès, sur les dérives des réseaux sociaux. On le voit de plus en plus, dans l’univers numérique, la colère monte rapidement, et les histoires sans importance deviennent rapidement montées en épingles.
Dans Andragogy, Wregas Bhanuteja montre comment les univers numérique et physique ne font plus qu’un, et pas toujours pour ce qu’il y a de mieux. Cette prémisse n’est pas particulièrement originale, mais là où la majorité montre ça dans un format plus comique, Bhanuteja le fait avec une histoire plus dramatique, mais sans tomber dans le mélodrame.
Le réalisateur utilise tous les outils qui montrent comment chaque génération vit avec les médias sociaux et, au sens plus large, le numérique. L’Indonésie n’est pas le Canada, ou même l’occident, et pourtant, on retrouve les mêmes enjeux générationnels et institutionnels. Pendant que les ados/jeunes adultes y vivent de la même manière qu’ils vivent dans l’univers physique, les parents sont plutôt démunis devant ces outils numériques, pendant que les dirigeants de l’école où enseigne madame Prani ne comprend non seulement rien aux réseaux sociaux, mais imagine les connaitre.
Comme on l’imagine, ces inégalités au niveau des connaissances amènent un lot de problèmes et de crises qui sont au cœur du film. L’éclairage de Gunnar Nimpuno est un élément essentiel à la réussite d’Andragogy. Il utilise efficacement la lumière pour amener une sorte d’interaction entre les personnages et l’écran/média social. Il mise, entre autres, sur ces fameuses lumières en forme de cercle si populaire auprès des influenceurs.
Bhanuteja réussit donc à bien définir la société moderne et la façon qu’elle a d’imbriquer les univers physique et numérique. Car non, on ne peut plus vraiment les séparer, puisque l’un influence l’autre.
Mais Andragogy – qui veut dire « pédagogie destinée aux adultes – ne montre pas simplement cette interconnexion entre ces deux mondes. Le titre anglais représente très bien ce que le film tente de montrer. Les adultes (disons de plus de 40 ans) ont la fâcheuse tendance à ne rien comprendre aux médias sociaux, mais ne le réalisent pas toujours. C’est ce que Prani apprendra malheureusement « à la dure».
Le film se situe à ce moment précis où la vie reprenait, pendant la pandémie. Ce moment où on recommençait, tranquillement, à revenir au monde réel. En Asie, c’était encore plus marquant qu’ici, puisque les confinements étaient souvent assez stricts. La pandémie de Covid, on le sait, à exacerbé l’impatience et la frustration des gens. En termes de vie numérique, il y a nettement un avant et un après Covid.
Maintenant, et le film le démontre à merveille, chaque petit geste peut devenir une bombe émotive et créer un raz-de-marée de violence verbale qui, malheureusement, finit aussi par avoir des conséquences réelles. Mais lorsque cette rage destructive frappe sur YouTube ou Twitter, ou Facebook, on fait quoi? Voici l’apprentissage que devra faire Prani. Chaque personnage secondaire a sa théorie sur la bonne chose à faire. Mais qui écouter lorsqu’on est coincé entre sa famille, son bien-être et sa carrière?
On se retrouve donc, ici, avec un film qui pourrait avoir une certaine importance. Rares sont ceux qui montrent de façon réaliste la toxicité des réseaux sociaux. En fait, je devrais plutôt écrire la toxicité humaine. Car à la base, les réseaux sociaux sont un lieu qui pourrait être magnifique. Une façon d’être en contact avec les autres lorsqu’on ne peut l’être en personne.
Malheureusement, l’humain étant l’humain, on en a fait un lieu où on retrouve souvent le pire du pire. Mais ça, c’est un autre débat.
L’important est plutôt que, Andragogy montre que la viralité sur les médias sociaux peut être tout aussi destructrice que celle qui frappe dans la rue…
Andragogy est présenté au TIFF, les 9, 10 et 13 septembre 2023.
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