« Je crois que, quand je t’ai vu la première fois, j’ai eu un coup de foudre ».
Sophie Dupuis, une réalisatrice québécoise au talent indéniable, continue de défricher de nouveaux terrains cinématographiques. Après nous avoir plongé dans les complexités de la masculinité dans les mines en Abitibi avec Souterrain, elle nous transporte dans un univers totalement différent avec Solo. Ce nouveau long-métrage flamboyant, ancré dans le monde pétillant des drag queens, a l’honneur d’ouvrir le Festival de cinéma de Québec. La réalisatrice et son collaborateur de longue date, l’acteur Théodore Pellerin, sont actuellement en tournée médiatique. Le tandem fait escale dans des métropoles canadiennes comme Toronto et Montréal, affichant un enthousiasme contagieux. Le film a également obtenu une sorte de « consécration » grâce à sa présentation en grande pompe au renommé Roy Thomson Hall, lors du Festival international du film de Toronto (TIFF) – une première pour Dupuis.
Solo met en scène Simon (Théodore Pellerin), une star montante du drag à Montréal, qui tombe amoureux d’Olivier (Félix Maritaud), la nouvelle recrue du bar-spectacle où il se produit. Ce qui commence comme une histoire d’amour électrisante dérive vers une dynamique toxique. En parallèle, Claire (Anne-Marie Cadieux), la mère de Simon, célèbre chanteuse d’opéra, revient travailler au pays après 15 ans d’absence. Fasciné par cette femme qu’il ne connaît presque plus, mais qu’il idéalise, Simon s’obstine à essayer de créer un lien avec elle. Fragilisé par l’échec de ces deux amours impossibles, Simon n’aura d’autre choix que de se rendre compte qu’il mérite mieux.
Dans un monde cinématographique de plus en plus ouvert aux thématiques LGBTQIA+, Dupuis élargit les horizons avec Solo. Elle aborde non seulement l’inclusivité, mais aussi l’intersectionnalité en explorant des relations complexes dans l’univers des drag queens. Dans ses films antérieurs, cette nuance est également présente. Par exemple, dans Chiens de garde, Sophie Dupuis s’est penchée sur la relation complexe entre deux frères impliqués dans la criminalité. Dans Souterrain, elle a mis en lumière la tentative maladroite d’un père de “réparer” son fils blessé, ce qui ne fait qu’accroître la douleur de ce dernier. Dans Solo, cette tendance se maintient. L’histoire traite des relations malsaines, entre deux amoureux d’abord, puis entre une mère et son fils. Dupuis souhaitait explorer les mécanismes psychologiques derrière ces comportements toxiques et comprendre pourquoi quelqu’un se retrouve dans une telle relation.
« J’avais envie de dépeindre une relation toxique, d’en explorer ses rouages, ses racines, ses conséquences et les raisons qui peuvent pousser quelqu’un à accepter de se faire maltraiter par quelqu’un qu’il aime ».
Sophie Dupuis
La première chose qui frappe dans ce film est sans aucun doute la maîtrise technique de l’ensemble de l’œuvre. La cinéaste, déjà connue pour sa capacité à peindre des relations compliquées, semble avoir trouvé le bon équilibre entre style et substance. La mise en scène est soignée, les séquences de performance drag sont un ravissement pour les yeux, les costumes et le maquillage sont travaillés avec soin et la direction artistique est au diapason avec toute l’ambiance effervescente qui enveloppe le monde des drags. Dans une entrevue récente, Sophie Dupuis dévoile ses intentions : Solo est mon hommage à l’univers de la drag, que je voulais à la fois somptueux et glorifiant. Concevoir des costumes époustouflants, des chorégraphies sophistiquées et plus de 30 perruques extravagantes, cela représente des mois de travail. Monter un film autour des artistes drag s’avère bien plus complexe que de faire un film sur des mineurs.”
Théodore Pellerin, qui incarne Simon, le protagoniste du film, livre une prestation éblouissante. Sa métamorphose physique et émotionnelle au fil du récit est saisissante. Pellerin a travaillé méticuleusement sur chaque facette de son personnage, allant de l’exploration de la féminité aux nuances de la relation toxique dans laquelle il s’embourbe. Il est le cœur palpitant du film, et sa chimie avec Félix Maritaud donne une véritable âme au projet.
Le respect du film pour la culture drag est palpable. Sophie Dupuis, qui affirme que « faire du drag, c’est politique ». Elle a pris un soin méticuleux pour éviter les clichés et les caricatures. L’utilisation du féminin entre les artistes, même en dehors de leur personnage scénique, montre un souci du détail et une compréhension profonde de ce monde. La force du film réside aussi dans sa capacité à dépeindre des relations toxiques avec une véritable finesse psychologique. D’ailleurs, elle a eu la chance d’être accompagnée par une psychologue à titre de conseillère au scénario. Ainsi, Dupuis explore les mécanismes d’emprise et de dépendance sans jamais tomber dans la facilité ou la généralisation. C’est un récit spécifique, mais universel, et c’est là que réside sa puissance.
« Avec mon cinéma, je souhaite connecter émotivement le.a spectateur.rice à des réalités qu’iel ne connaît pas. Et je crois que le meilleur moyen de le faire, c’est en faisant vivre des situations extrêmes à des personnages loin de nous auxquels on s’est attachés ».
Sophie Dupuis
Cette œuvre s’immerge sans retenue dans la musique, une composante essentielle de la culture drag. Le film regorge de tubes intemporels d’artistes comme ABBA, Donna Summer et Chaka Khan. Bien que l’achat préalable des droits musicaux ait constitué un défi logistique et budgétaire conséquent, Dupuis insiste sur l’importance cruciale de la musique pour ancrer le film dans un réalisme authentique. En créant une trame sonore coûteuse, mais indispensable, elle réussit à rendre justice à la communauté qu’elle dépeint à l’écran.
En somme, Solo est une œuvre riche, portée par une équipe talentueuse et une vision claire. Il pose un regard sensible sur des sujets complexes, et parvient à équilibrer le divertissement et la profondeur. Sophie Dupuis prouve une fois de plus qu’elle est une des voix les plus importantes du cinéma québécois contemporain, et ce film est une preuve de sa maturation en tant que cinéaste.
Solo est présenté au TIFF les 9, 10 et 11 septembre 2023. Il sort en salle le 15 septembre. À ne pas manquer.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième