« La preuve qu’on peut naître dans la marde, s’en sortir, pis aller sortir les autres de leur trou. »
Hantés comme jamais par leur passé, Christophe (Roy Dupuis) et Gabrielle (Eve Landry) font tout en leur pouvoir pour contrer la violence, mais leur perspective demeure rigoureusement opposée.
À cœur battant gravite autour du Centre de prévention de la violence (CPV), un organisme communautaire qui intervient auprès des hommes violents.
On dit souvent que la force artistique québécoise réside dans sa capacité à faire beaucoup avec peu (j’abordais légèrement le sujet dans ma revue du film Le Temps d’un Été). À Cœur Battant est selon moi une preuve indéniable du talent des artistes et des artisans d’ici. Je fus rarement autant touché avec tant de simplicité, mais aussi avec une précision qui tape à la fois là où ça fait mal et où ça fait du bien. Je ne saurais décrire autrement tellement je sentais ce visionnement comme une rencontre marquante qui réoriente la vie.
Danielle Trottier et Jean-Philippe Duval (Unité 9) nous font plonger au cœur de la violence sous toutes ses formes, mais plus précisément celle qui afflige les hommes. Appuyée par un visuel symboliquement fort, la série tente de mettre en lumière ce qui se trame dans la vie, et l’esprit de ceux qui vivent avec la rage au ventre ou qui la subissent tant en public qu’en privé.
Le deuxième volet de la série s’ouvre sur le personnage de Christophe L’Allier, interprété par Roy Dupuis, assis parmi les arbres face à la rivière, une question me vint à l’esprit. Est-il possible de rejoindre les deux rives et tout de même permettre à l’eau de couler sous les ponts? Cependant, autre chose perturbe aussi les pensées de Christophe, son métier d’intervenant auprès d’hommes violents est lui semble-t-il toujours plus difficile malgré les efforts constants. Perdu à travers les branches de la forêt, lui aussi pressurisé par ses interrogations profondes, je me rappelais le dicton: « C’est l’arbre qui cache la forêt ».
La série suit en parallèle Gabrielle Laflamme, interprétée par Ève Landry, une avocate fervente défenseuse des femmes victimes de violence. Sous ses airs inébranlables, elle refoule à coup de drogue une fillette traumatisée par l’impardonnable crime que son père a commis durant son enfance; un double féminicide en moins d’une heure; sa maitresse et sa femme. Ce moment contribuera à faire d’elle ce qu’elle est, mais encore faudra-t-il qu’elle puisse affronter ses propres démons si elle ne veut pas perdre la face, ou pire encore, son poste; la seule chose qui lui permet de garder le cap au nom de ses sœurs de cœur; par là j’entends les victimes encore vivantes ou trop tôt devenues silencieuses.
Cette œuvre au réalisme percutant, signée Fabienne Larouche, joue avec la dichotomie de l’être en nous mettant constamment devant des tableaux joués en duo ou en opposition. On ne lâche pas l’idée tranchée de blanc et de noir; de la femme et de l’homme; de faibles et de forts. Pourtant, dans la subtilité des scènes on y sent toujours une ambivalence, une touche de gris qui émane de l’âme de chacun des personnages. L’idée, selon moi, met en valeur comment même dans l’agresseur le plus violent se cache une faiblesse insoupçonnée, de la même manière, cela permet de découvrir la force immense qui réside dans la plus menue des victimes.
Le travail exécuté derrière la caméra est fort impressionnant, mais il n’y a pas que ça. Je me dois de souligner l’excellente brochette d’acteurs et d’actrices qui composent la distribution de cette émission québécoise que tout un chacun devrait prendre le temps de visionner, ne serait-ce que pour constater que l’on n’est pas seul, y compris dans le plus gros des merdiers. Personne n’est sur le pilote automatique. On ne peut que constater l’investissement personnel de chaque membre de cette merveilleuse équipe. La sensibilité apparente qui s’échappe de leurs regards ce n’est pas juste de la performance, c’est aussi une sincérité. Je ne crois pas qu’il serait possible d’intégrer ce type de projet sans être soi-même ébranlé et investi par les thématiques abordées.
Je ne peux qu’envoyer des fleurs devant tant d’authenticité et de travail acharné. À cœur battant me donne un réel espoir que la vie peut être améliorée; que l’Art a sa place dans nos sociétés modernes. Je reprendrai les mots de Jean-Philippe Duval : « La beauté du travail artistique, c’est de se plonger dans l’inconnu pour la comprendre » soulignant, selon moi, l’importance de se raconter des histoires afin d’en saisir la véracité qui s’y cache. On ne peut pas empêcher les gens de vivre, de vouloir apprendre et expérimenter, mais avec ce genre de projet, on peut du moins prendre le temps d’accompagner l’autre en lui tenant la main. Il serait insensé de devoir faire passer un individu à travers tous les maux et les vices pour espérer le faire évoluer. La plume de Danielle Trottier nous permet d’y parvenir un pas à la fois.
Une personne magnifique que je connais (oui, oui encore la même que la dernière fois) me disait comment aucune relation n’est parfaite. Ce à quoi j’avais répondu : « la perfection est peut-être finalement la propension à pouvoir apprendre et s’ajuster sans cesse? » Sur cela, nous étions tous les deux d’accord. La preuve qu’une femme et un homme peuvent se côtoyer harmonieusement (mais je n’en dirai pas plus de peur de briser son anonymat).
Mon mot de la fin (et ce à quoi je songe devant tant de souffrance et de véhémence face à ce genre d’actes irréversibles) : « Le pardon est-il quelque chose en quoi nous croyons individuellement? Bien sûr, devant l’œil de la société nous sommes tous pour, mais lorsque le rideau tombe, avons-nous déjà développé cette capacité, ou est-elle surhumaine? » En d’autres mots, quand arrêterons-nous de nous battre et serons-nous prêts un jour à mettre notre cœur sur la table?
© 2023 Le petit septième