Something you said last night - Une

Something you said last night — Ce n’est pas facile d’avoir 27 ans

« With you it’s different! »
[ Avec toi c’est différent!]

Something you said last night - affiche

La réalisatrice et scénariste canadienne-italienne Luis De Filippis nous offre son premier long-métrage Something you said last night. Nous suivons Renetta (Carmen Madonia), une jeune femme trans de 27 ans, en vancances avec sa famille. Durant le séjour, nous vivrons ses hauts et ses bas, déchirée entre son désir d’indépendance et les déboires de la vie qui la poussent à devoir dépendre des autres. 

J’ai eu la chance d’interviewer Luis De Filippis suite au visionnement de son film. Je vous offre donc une critique en 5 questions.

Entrevue

Les premiers longs-métrages sont souvent très personnels, voire autobiographiques, parfois. Est-ce le cas pour Something you said last night?

Luis De Filippis : Oui, dans une certaine mesure. Certains personnages sont basés sur des gens de mon entourage ou des membres de ma famille. Pas ma famille immédiate par contre.  Ma mère, par exemple, ne ressemble pas au personnage de Mona (la mère de Renetta) et elle en est bien contente, car elle ne l’aime pas beaucoup (rires). Je me suis surtout inspirée de mes cousins, mes tantes, etc.

Justement, la mère, Mona, est très protectrice de ses enfants, toujours à s’inquiéter, jusqu’au point où elle est poussée à bout et craque. Elle semble particulièrement s’inquiéter de Renetta. Selon vous, est-ce que ce genre de relation parentale est commun pour les gens de la communauté trans?

Luis De Filippis : Je crois que chaque parent vit avec des inquiétudes et des obstacles, peu importe que son enfant soit trans. Cependant, avec la situation actuelle dans notre société, certains parents d’enfants trans doivent affectivement vivre avec une extra couche d’inquiétude. 

Ce que j’ai voulu montrer avec la relation entre Renetta et sa mère, Mona, c’est qu’elles ont des personnalités très différentes. Renetta est plus réservée et silencieuse, mais elle est confortable dans son silence. C’est aussi quelqu’un qui est confortable avec elle-même. Mona est plus extravertie, plus directe, plus in your face. Elle n’a pas peur de défendre ses enfants, peu importe la situation. Elles doivent apprendre à se faire de la place. Renetta est capable et peut se défendre et Mona va le réaliser et lui donner la place pour le faire. Renetta a besoin de laisser Mona être sa mère, qui ne désire que prendre soin d’elle. À la fin, lorsque Renetta demande à sa mère de l’accompagner aux toilettes, elle ne lui demande pas parce qu’elle a peur, mais parce qu’elle a envie d’être avec elle.

Qu’est-ce que vous aimeriez que le public retienne ou ressente à la fin de votre film?

Luis De Filippis : J’aimerais que les gens sortent avec un sourire, qu’ils appellent leur mère, leur père, les gens qu’ils aiment. Qu’ils se sentent heureux, c’est important, surtout en ce moment. Durant les visionnements, j’entendais les gens rire dans la salle et c’était génial. Je voudrais que les gens aient l’impression d’avoir été en vacances avec cette famille.

Le long-métrage a été tourné avec une caméra à l’épaule, dans un style presque documentaire. Est-ce que cette décision a été prise pour plonger davantage dans l’histoire ou pour vous donner une meilleure mobilité dans certains lieux plus difficiles d’accès?

Luis De Filippis : Avoir une caméra mobile nous a effectivement permis d’avoir plus d’accessibilité à certains décors extérieurs et d’avoir plus de facilité à se déplacer. Nous avons eu une période de tournage très courte. Seulement 19 jours. Donc, avoir moins d’équipement était aussi un avantage et un atout, qui nous a permis d’être plus rapide et efficace. Aussi, avec Norm Li, notre merveilleux directeur photo, nous avons créé notre langage pour le film en établissant certaines règles. Par exemple, la caméra ne bouge que si Renetta bouge, la caméra entre dans une pièce seulement si Renetta entre dans la pièce, la cadrer à hauteur de sa tête, etc. Je crois que cela permet de mieux ressentir ce qu’elle ressent. 

Finalement, dans le film, Renetta a 27 ou 28 ans, si je me souviens bien. C’est une tranche d’âge qui n’est pas souvent représentée au cinéma. Pourquoi avoir choisi cet âge pour Renetta?

Renetta (Carmen Madonia)

Luis De Filippis : Renetta a effectivement 27 ans. C’est un âge qui est effectivement intéressant à montrer, car on n’est plus des adolescents, on n’est plus dans ce début de la vingtaine et la société s’attend à ce qu’on soit des adultes, même si la vie nous met des bâtons dans les roues. Dans le film, Renetta perd son emploi, a de la difficulté à payer son loyer, mais elle ne veut pas retourner vivre chez ses parents. Je pense aussi qu’on se compare à nos parents lorsqu’ils avaient notre âge et c’est angoissant parfois, surtout si on n’est pas rendu au même endroit.

C’est un défi de raconter une histoire sur une femme de 27 ans. Lors de demandes auprès des producteurs, on se fait demander de baisser son âge pour que le film soit plus « marketable », car elle est considérée comme trop vieille. Dans quel monde vivons-nous pour que 27 ans soit vieux pour une femme?

Un film confortable dans son silence

Something you said last night est un film lent et qui prend son temps, sans être ennuyant. On peut dire que ce film est à l’image de son personnage principal, Renetta; il n’a pas peur des silences. Luis De Filippis a confiance en son histoire, il n’y a donc pas le besoin d’ajouter des dialogues inutiles. Et la maîtrise de sa mise en scène parvient à nous faire ressentir les émotions de ses personnages sans la nécessité d’envolées lyriques. À cela, s’ajoute la performance de Carmen Madonia (Renetta) qui parvient à tenir le récit sur ses épaules avec une franche sincérité et une grâce qu’on accorderait à une actrice chevronnée. Ce qui est tout à son honneur, puisque c’est son premier film et j’espère que ce ne sera pas son dernier. Une actrice à suivre.

Something you said last night - un film confortable dans don silence

Un aspect rafraîchissant de cette histoire est comment l’identité de genre de Renetta est abordée. Oui, Renetta est une femme trans. Mais jamais cela ne sera utilisé de façon traumatisante dans le récit. Vous n’entendrez aucun commentaire transphobes, vous ne verrez aucun crime haineux, pas d’intimidation ou d’attaques portées sur Renetta en raison de son identité de femme trans. Et il est triste de constater que ce genre de représentation au cinéma, pour les personnages trans, est rare. 

Cependant, n’allez pas croire que son identité n’est pas un enjeu pour Renetta. Comme la réalisatrice parvient très bien à nous faire suivre le regard de son personnage principal, on ressent une tension lors des interactions avec les personnages qui croisent le chemin de Renetta (outre sa famille, qui l’accepte et l’adore sans compromis). Que se soit par un regard trop insistant ou un silence dubitatif, on reste dans un état de vigilance, inquiet de savoir comment l’autre personne qui lui fait face réagira. Un tour de force magnifique de la part de la réalisatrice, qui réussit à nous montrer une réalité que vivent plusieurs personnes de la communauté trans au quotidien. 

Oui, ce n’est pas facile d’avoir 27 ans

Il est dommage que les producteurs ne veuillent pas raconter des histoires concernant la tranche d’âge des 25-30 ans. Comme Luis De Filippis le dit lors de notre entrevue, c’est un âge difficile. On se sent encore jeune, on a encore envie de vivre certaines expériences et on n’est pas encore prêt à mettre notre chapeau d’adulte. Pour d’autres, qui souhaitent passer à la prochaine étape, le monde semble lié contre eux. L’accessibilité à la propriété est un rêve inatteignable pour beaucoup, le coût de la vie ne suit pas la montée des salaires et l’avenir du monde semble de plus en plus précaire. 

Renetta vit l’angoisse de cet entre-deux. Un pied de chaque côté de la porte, elle ne parvient jamais à choisir. Son va-et-vient entre les activités avec ses parents et celles avec sa jeune sœur de 19 ans (Paige Evans), où elle reste à distance, incapable de s’intégrer complètement, nous montrent qu’elle ne se sent pas vraiment à sa place. Trop vieille pour se tenir avec sa sœur et son groupe d’amis, trop jeune pour s’amuser avec ses parents et les gens qu’ils côtoient. À cela s’ajoute le malaise face à l’option de retourner vivre chez ses parents, suite à sa perte d’emploi, et on comprend sa réticence. Elle a peur de décevoir son entourage et de faire face à la réalité de sa situation. Car à 27 ans, retourner dans le nid familial est vu comme une régression, voire un échec.

Heureusement, le film est bienveillant envers Renetta, et par la même occasion ceux qui sont dans sa situation. Il nous rappelle qu’il y a des gens qui sont prêts à nous aider lorsqu’on vit un moment difficile. Qu’il est normal de trébucher et qu’il faut savoir accepter la main qui nous est offerte, afin de mieux se relever.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Something you said last night
Durée
96 minutes
Année
2022
Pays
Canada / Suisse
Réalisateur
Luis De Filippis
Scénario
Luis De Filippis
Note
7.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Something you said last night
Durée
96 minutes
Année
2022
Pays
Canada / Suisse
Réalisateur
Luis De Filippis
Scénario
Luis De Filippis
Note
7.5 /10

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