« — Je l’sais, ça d’l’air d’un ostie d’histoire de marde là…
— Ben, au moins t’es t’au courant hein.
Benjamin (Jean-Sébastien Courchesne) raconte à son ex-copine, Angie (Sophie Desmarais), qu’il s’est allié à une cellule de terroristes de gauche pour la venger de son ancien patron (Richard Fréchette), propriétaire d’une radio de droite. Son histoire mêle artistes conceptuels, troupes de théâtre amateur, disque vinyle hallucinogène et autres pouvoirs magiques. Devant ses élucubrations, Angie se demande s’il n’invente tout cela que pour la reconquérir.
Avec Les pas d’allure, Alexandre Leblanc propose une expérimentation sur ce qui advient quand tu fais un film sans scénario. Il arrive surtout avec un ovni cinématographique rafraichissant dans un panorama québécois qui manque parfois d’œuvres osées.
Quelle est la base d’un film? Le scénario, n’est-ce pas? J’ai souvent écrit qu’il ne fallait pas sous-estimer l’importance d’un bon scénario. Mais à l’occasion, il y a un groupe de fous qui essaie de créer un film en se basant sur des idées, mais sans écrire de scénario. Les acteurs sont briefés et doivent improviser. 98% du temps, le résultat est franchement raté. Mais parfois des exceptions émergent. On peut penser à Gerry (Gus Van Sant), avec Casey Affleck et Matt Damon, un bijou de cinéma expérimental. Les pas d’allure se situerait dans la deuxième catégorie.
Par moment, on sent que la suite des événements n’est pas toujours logique. Il y a des petites faiblesses narratives. Mais sommes toutes, le film se tient. Il faut donner une grande part de la réussite de cet ovni cinématographique à ses acteurs et actrices. Le duo formé de Jean-Sébastien Courchesne et Sophie Desmarais est particulièrement fort.
Les scènes de conversation entre ces deux personnages sont juste assez décalées et juste assez proches de la réalité pour toucher la cible. Au Québec, le seul autre exemple de réussite du genre, serait Cuba, merci gracias. La différence avec Les pas d’allure, c’est que ce ne sont pas les acteurs qui ont rédigé l’histoire.
Vous vous demandez comment Alexandre Leblanc en est venu à réaliser ce projet complètement fou?
« … je suis tombé sur l’incroyable film-fleuve de Jacques Rivette, Out 1: Noli me tangere, où il filme ses acteurs improviser d’après un canevas de base. J’ai eu alors une révélation : oui, je vais faire ça, je vais tourner pour le plaisir de tourner, avec des amis, sans me soucier du résultat, retourner à ma démarche première, lorsque j’ai mis la main sur une caméra durant mes années de cégep. »
Alexandre Leblanc
Encore une preuve que lorsqu’on a du plaisir, ça se ressent dans le résultat final.
Mais ce qui rend Les pas d’allure intéressant, ce n’est pas tant le résultat final que la démarche, et le style visuel qu’y apporte Leblanc avec ses complices Vincent Biron à la photographie et Patrick Lapierre et Julie Charrette à l’animation.
L’image en noir et blanc qui rappelle vaguement le cinéma de la Nouvelle vague française avec ses digressions scénaristiques et face au langage cinématographique. L’image plutôt sobre, presque anémique permet aux animations 2d de créer un réel effet. Ce n’est pas grand-chose, souvent de simples lignes blanches qui tournent en spirales. Au début du film, il faut avouer que c’est un peu dérangeant, dans le mauvais sens. Mais à mesure que l’atmosphère déjantée s’installe, les animations prennent tout leur sens.
Et avec son histoire abracadabrante et son histoire complètement éclatée, ce long métrage arrive juste à point dans un paysage politique déprimant lorsqu’on voit toute la violence verbale qui pollue notre société actuelle.
Le réalisateur explique que ce sont les performances de Sophie Desmarais et Jean-Sébastien Courchesne qui lui ont fourni sa trame de fond. Clairement le récit complètement fou de Courchesne n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Et honnêtement, c’est le genre de concept qui donne généralement place à un film vide. Ce qui ne fut heureusement pas le cas ici, puisque le réalisateur a su ajuster le style à l’histoire.
Ce qui en découle est une création collective, menée par le réalisateur, mais où tout un chacun a apporté sa touche créative. La magie du cinéma aura fait le reste. Quant à savoir de quel genre de film il s’agit, je prendrai la formulation du réalisateur : Genre : c’est une comédie psychédélique ou un film noir fantaisiste ou un drame politico-intimiste expérimental. À vous de choisir ce qui vous plaît le plus.
Bande-annonce
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