Retrograde - Une

Retrograde – Le monde contre nous

« I swear, I don’tthink I need to apologize. »
[Je le jure, je ne crois pas avoir à m’excuser.]

Retrograde - affiche

Une contravention mineure se transforme en une obsession dévorante pour une jeune femme névrosée.

Mercure en rétrograde

Parfois, le monde est contre nous. Les dieux se réveillent du mauvais pied. Les powers that be (ou, en bon québécois, le gars des vues) décident de nous punir, souvent sans que nous ayons l’occasion de réaliser ce que nous aurions bien pu faire de mal. Dans ces cas-là, aussi frustrante que la situation puisse être, nous nous trouvons à ne pouvoir blâmer personne, bien que nous soyons convaincus que nous ne sommes pas coupables. Bien sûr, il n’y a personne à blâmer, ni d’ailleurs de réel pouvoir cosmique en premier lieu. Tout ce qu’il y a, c’est nous, insupportables pour quelques heures alors que nous déversons notre malheur sur les gens autour de nous, gens qui n’ont rien demandé et qui font du mieux qu’ils ou elles peuvent pour nous supporter. 

Retrograde - Mercure en retrograde
Molly (Molly Reisman)

La principale force de Retrograde, c’est de nous remettre en pleine face à quel point nous pouvons être irritants dans de telles situations. Dès le début du film, le réalisateur Adrian Murray ne perd pas de temps à mettre en scène le pépin qui lance le film, pépin dont toutes les scènes subséquentes vont dépendre. Molly Richmond, (jouée par l’excellente Molly Reisman, nouvelle venue que j’espère voir dans d’autres films à l’avenir) jeune femme dans la fin vingtaine, se fait donner sa première contravention à vie pour « conduite dangereuse ». Elle est cependant convaincue qu’elle ne mérite pas sa contravention, que c’est un malentendu. 

À partir de ce moment, et jusqu’à la résolution mondaine de la situation, c’est autour de cette contravention que tournera la vie de Molly. Ce n’est pas une question d’argent (bien que 300$ ne soit pas une petite somme à cet âge). C’est une question de justice; payer la contravention, même si cela effacerait son dossier et que personne ne se souviendrait de l’incident, représenterait une admission de sa culpabilité, et c’est quelque chose que Molly ne peut se permettre de vivre.

Kafka au commissariat

Là où Retrograde brille, c’est dans sa capacité à mettre en scène de manière réaliste les tempêtes que nous nous faisons parfois dans des verres d’eau. Véritable odyssée kafkaesque rappelant à certains moments les situations les moins intenses des films de Ken Loach (quoique dans une optique davantage comique que dramatique), Adrian Murray représente parfaitement le malaise résolument moderne et humain associé à notre navigation dans un système bureaucratique poussé à l’extrême. Le film est aussi pertinent dans sa manière d’explorer le concept de la vérité, beaucoup plus malléable que nous puissions souvent le concevoir. Deux humains ayant vécu la même situation (en l’occurrence, Molly et le policier) peuvent avoir des visions vastement différentes de ladite situation sans toutefois qu’un ou l’autre ait nécessairement tort. Cependant, là où ça se corse, c’est que c’est souvent l’autorité qui prévaut, et vient souvent avec cela un certain sentiment d’injustice paradoxal que Molly passera les 75 minutes du film à essayer de se départir.

Retrograde - Kafka au commissariat

Ces 75 minutes sont d’ailleurs assez insupportables à regarder, mais pas dans le mauvais sens.  Murray met très vite l’emphase sur le réalisme dont il veut que le film témoigne. Bien que le film entier soit motivé par la quête de Molly de contester son injonction, la plupart des scènes sont tournées dans un style hyperréaliste donnant un nouveau sens au terme « tranche de vie ». Des conversations qui ne vont nulle part, des gens qui parlent pour parler, se plaignent pour se plaindre. L’écriture (qui dans ce cas-ci semble être un grand mot, tant les dialogues semblent pour la plupart être improvisés; impossible d’obtenir un tel naturel autrement) est d’ailleurs en parfaite synergie avec la direction de la photographie; éclairages naturels, souvent à l’aide de lumières diégétiques et plans de longueurs agonisantes sont au menu. Le tout donne un parfait mélange, planant et modeste, nous faisant réaliser de manière ironique l’étrangeté des interactions humaines ainsi que la manière que nous avons parfois de nous compliquer la vie.

Même si le personnage principal représente l’archétype très spécifique des films mumblecore de la jeune femme torontoise quirky rappelant certains personnages féminins de Noah Baumbach (quoique dans ce cas-ci écrit de manière beaucoup plus convaincante), il sera difficile pour beaucoup de ne pas se reconnaître, pour le meilleur et pour le pire, dans la manière qu’a le personnage de tout blâmer autour d’elle pour des situations se trouvant essentiellement hors de son contrôle. En ce sens, Retrograde est un petit bijou à microbudget de festival qui, je l’espère, ne passera pas inaperçu cette année.

Parfois, il est simplement plus facile de payer la contravention. Parfois, il est simplement plus facile d’admettre que Mercure est en rétrograde.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Retrograde
Durée
74 minutes
Année
2022
Pays
Canada
Réalisateur
Adrian Murray
Scénario
Adrian Murray
Note
7 /10

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Fiche technique

Titre original
Retrograde
Durée
74 minutes
Année
2022
Pays
Canada
Réalisateur
Adrian Murray
Scénario
Adrian Murray
Note
7 /10

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