Les Sommets du cinéma d’animation sont en cours, et je poursuis mon petit tour d’horizon. Après La naissance des oasis, film pour les tout-petits, je me penche maintenant sur la sélection de l’ONF.
Vous remarquerez certains titres récurrents, car qui autre festival dit aussi autre nomination pour The Flying Sailor et HARVEY. Donc sans plus attendre, voici une présentation des 6 films de l’ONF présentés aux Sommets (4 en compétitions et 2 hors compétition).
Empruntant le métro de Montréal, une jeune voyageuse côtoie une foule colorée et extravagante. D’une station à l’autre, passant de l’hiver au printemps, elle devient la protagoniste d’un spectacle inusité et inattendu, où se retrouvent, pêle-mêle, des déménageurs, des policiers à cheval, un pickpocket, une chorale de religieuses, un clown, quelques personnalités qui ont marqué l’histoire de la ville et plus encore.
Avec La fille au béret rouge, Janet Perlman offre une œuvre qui rappelle l’art naïf, sur fond d’amour de Montréal et de son transport en commun souvent mal aimé. Ce film mériterait un texte beaucoup plus long, mais dans les circonstances, je devrais me contenter de quelques lignes.
C’est à partir de la pièce Complainte pour Ste-Catherine, reprise et augmentée par Martha Wainwright et Lily Lanken, que la réalisatrice met en place son récit. La chanson a un bon rythme, sa mélodie est entraînante, et les personnages sont vivants, drôles et d’un réalisme décalé.
L’histoire se déroule principalement dans le métro de Montréal. D’emblée, on ne voit jamais ça. Mais l’originalité de l’œuvre ne s’arrête pas là. Pour complémenter la chanson, certains personnages y ajoutent leur voix pour une phrase ou deux, les sons du métro s’y invitent aussi, tout comme des bruits typiques de la métropole.
Ceux qui connaissent un peu plus Montréal remarqueront que le trajet qu’emprunte la fille au béret. Elle va des stations Du Collège à Place-des-Arts. Elle suit le même trajet qu’à suivi l’ONF lors de son déménagement en 2019. On peut d’ailleurs voir les deux maisons de l’ONF au début et à la fin du film.
Puis, il y a tout le magnifique qui vient entre ces 2 plans. Ce n’est pas nécessairement un film pour les Montréalais, mais clairement, quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds ici ratera beaucoup de moments drôles. À commencer par celui où la fille ouvre la porte du métro et que ses cheveux entrent en bataille. Lol
S’installent ensuite une multitude de petites histoires qui construiront le récit de voyage de la fille au béret rouge. Il y a tellement de détails que pour tout saisir, on doit le regarder plusieurs fois. Mais c’est chaque fois un réel plaisir.
On peut donc dire que La fille au béret rouge repose sur un humour d’observation qui transmet un commentaire sur la vie quotidienne. Par pur plaisir, je me permets de vous énumérer quelques-unes des choses qu’on aperçoit dans ce court voyage : un musicien, une manifestation, un bébé qui fait une crise à sa mère, gênée, un voleur, deux gars qui tentent de déménager un divan, un bûcheron, Maurice Richard… Un beau mélange de vrai et d’absurde se côtoient dans ce film qui frôle la perfection.
Pour Harvey, ce printemps sera le plus marquant de sa vie, car c’est la saison où son père disparaîtra.
HARVEY est un film magnifique, tant pour les adultes que pour les enfants. Comme j’avais écrit une critique dans le cadre du festival Regard, je vais vous inviter à suivre le lien pour lire mon article qui est toujours aussi vrai.
C’est une question de karma : enfant, au Vietnam, la mère de Thao sauve les fourmis des bols d’eau sucrée. Les minuscules créatures vont un jour lui rendre la pareille, guider sa famille désespérée hors des ténèbres et lui montrer la voie vers la sécurité.
Quel beau film qui fait un lien entre les fourmis et les humains. En mettant en opposition les fourmis et sa famille, Thao Lam explique comment la survie sera prise en charge par le sacrifice.
Il s’agit d’une histoire vraie. L’histoire de la mère de Thao, lorsqu’elle a quitté le Vietnam. La narration est tenue par Thao elle-même.
Les images ont été faites avec une technologie 3D, avec laquelle ils ont recréé un effet collage papier. Une technique assez intéressante qui donne un résultat très proche de l’animation physique.
Il s’agit d’un court métrage qui est non seulement informatif, mais qui raconte une belle histoire remplie de résilience et d’innocence. Un film à voir.
Un marin fait un voyage aussi soudain qu’inattendu.
Avant de vous inviter à lire le texte qu’Annie avait rédigé juste avant les Oscars, je vais vous partager mon point de vue sur ce magnifique film.
Pour réaliser ce court film, les réalisatrices utilisent plusieurs techniques qui, a priori, créent un ensemble hétéroclite qui ne semble pas bien s’assembler. Mais les sceptiques seront confondus. De mains de maître, elles utilisent le 3D pour compléter la majorité des images produites en 2D. À quelques reprises on ajoute des photographies et des images d’action en direct. Le résultat final est une œuvre philosophique qui saisira les adultes et qui plaira tout de même aux jeunes. Après tout, il s’agit d’un homme qui se retrouve propulsé dans une explosion et il s’envole tout nu.
Pour en savoir plus sur The Flying Sailor, vous pouvez lire la critique d’Annie.
Trouvant refuge dans son appartement de sous-sol, Zeb fait appel à une gamme de comportements rituels pour conjurer les malédictions que lui envoie le monde extérieur. Pourtant, même à l’intérieur du havre le mieux protégé, le destin peut frapper de manière inattendue. Il revêt d’abord la forme d’un arachnide sans gêne, mais la situation s’envenime et prend bientôt des proportions monstrueuses.
Avec Zeb’s spider, Alicia Eisen et Sophie Jarvis propose un film qui entrelace les fils de l’humour noir dans une toile émotionnelle complexe afin de montrer que parfois, il vaut mieux affronter ses peurs si on ne veut pas finir par se laisser dévorer par celles-ci.
Tourner en image par image est un travail de moine. Je me questionne souvent à savoir si au final ça vaut l’effort. Dans le cas de Zeb’s spider la question ne se pose pas. Je vous le dis tout de suite, il s’agit d’un film impressionnant. Il y a une multitude de couches dans ce récit. À commencer par le personnage de Zeb.
Ingénieuse et créative, elle voit une grande valeur dans les déchets qu’elle récupère. Ainsi, les réalisatrices ont construit de façon impressionnante l’appartement du personnage. Tout dans celle-ci semble avoir été fabriqué avec de vieux objets récupérés et réhabilités. C’est plutôt inspirant de voir tout ce qu’elle a pu faire avec ces vieux trucs. Ça porte à réflexion. Pour créer l’appartement et tout ce qu’on y trouve, les réalisatrices ont fait une belle recherche.
« Elle utilise principalement des objets qu’elle peut se procurer de sa fenêtre. Nous avons donc également parcouru la section des articles à donner sur Craigslist pour trouver de l’inspiration. Et comme Zeb fabrique du neuf à partir du vieux, nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir à ce qu’elle pourrait faire avec les divers matériaux auxquels elle pourrait avoir accès. »
Alicia Eisen et Sophie Jarvis
Mais Zeb est aussi affligé d’une vision superstitieuse du monde. Dès qu’un être vivant s’approche d’elle, elle sort un vieux fer à cheval pour se protéger du mauvais sort. Sa vie basculera au moment où une araignée s’invitera chez elle. La pauvre femme est effrayée et ne sait plus trop comment se protéger de ce visiteur. C’est là que le côté psychologique et un peu effrayant du film embarque. Et c’est là que le monde de Zeb se désagrège.
La conception des décors et de l’ambiance glauque est un reflet du spectre émotionnel du personnage. Alors, à mesure que la toile de l’araignée grandit, l’état mental de Zeb s’assombrit et l’atmosphère du film s’alourdit.
Le résultat est magnifique. Ça donne un film à ne pas manquer.
Une jeune femme quitte sa terre natale en quête d’un avenir meilleur, n’emportant pour unique souvenir qu’une pomme mûre piquée de clous de girofle odorants. Or, au moment même où une nouvelle vie se déploie devant elle, survient une tragédie qui la rappelle au pays.
Avec Two Apples, Bahram Javahery crée une œuvre au format original, qui rappelle les bas-reliefs.
L’histoire du film s’inspire d’une croyance culturelle kurde selon laquelle la pomme aux clous de girofle, ou Sêva mêxekrêj, incarne les émotions humaines les plus profondes. Dans les histoires et les contes populaires traditionnels, on l’offrait à une personne aimée en gage d’un amour romantique. De nos jours, elle revêt une signification plus large en devenant le symbole de l’échange culturel et de la paix.
Mais revenons à la technique utilisée.
Finement orné d’un futurisme magique et d’une élégance quasi proustienne, le court métrage d’animation Un gage d’amour, de Bahram Javahery, fait appel à une technique rigoureuse s’apparentant à celle du bas-relief. Il est réalisé à la main dans l’argile et intègre des éléments d’ombre et de lumière qui engendrent un mouvement à la fois sculptural et fluide. Puis le tout est filmé pour en faire une animation 2D. Fondamentalement, le mouvement de chaque personnage a été sculpté dans une plaque d’argile et filmé au moyen d’une caméra numérique fixée au support d’animation. Une structure d’éclairage encerclant l’image a permis d’alterner entre la lumière et l’obscurité et d’inverser l’espace négatif et l’espace positif. Puis, en projetant l’animation en 2D une image à la fois, Bahram Javahery a sculpté l’argile pour créer un espace négatif, qu’il a alors éclairé de manière à donner une impression de mouvement.
Fruit d’un doigté subtil et d’une attention minutieuse au détail, Un gage d’amour (Two Apples ) devient l’incarnation même de l’histoire qu’il raconte : un travail d’amour, imprégné d’un humanisme intemporel évocateur d’un sentiment d’appartenance et du délicat parfum de l’espoir.
Un film à voir surtout pour le côté technique de l’animation et du coup, pour son originalité visuelle.
***
Tous ces films sont présentés dans le cadre des Sommets de l’animation, du 9 au 14 mai 2023.
© 2023 Le petit septième