«Alors, il y a une femme d’un village qui est venue voir le chevalier pour se plaindre qu’un de ses subalternes l’avait violé. Alors, le chevalier a sorti l’épée du fourreau, pis il lui a donné, pis il lui a dit “essaie de rentrer l’épée dans le fourreau”… »
Par le biais de la fiction et de témoignages, ce document démontre comment les femmes vivent le viol et toutes les formes d’agression qu’elles subissent dans la rue, au foyer ou à leur travail. Il explique comment la peur, l’humiliation et la frustration finissent par faire partie de l’univers quotidien des femmes, et comment toute cette violence exercée de mille façons contre les femmes contribue à leur oppression globale.
En 1979, Hélène Bourgault et Helen Doyle réalisaient Chaperons rouges, dont je vais vous parler ici. Avec ce documentaire, les deux femmes voulaient briser une barrière. Elles proposent ainsi un des premiers documentaires québécois à aborder frontalement les violences sexuelles.
Pourquoi, me direz-vous, avoir décidé de traiter d’un film qui a plus de 40 ans? La question est valide. Pour être totalement honnête, je n’avais pas réalisé, au moment de demander à voir le film, qu’il s’agissait d’un « vieux » film. Mais comme le sujet m’intéresse, j’ai décidé de persister et de le regarder. Après tout, s’il est projeté pendant les RIDM, il doit bien y avoir une raison…
Tout d’abord, la forme est intéressante. On pourrait diviser cette œuvre en 3 sections, ou plutôt en 3 techniques de sensibilisation. Le film s’ouvre sur une scène particulièrement dérangeante. Une voix hors caméra dit « j’ai été violé 3 fois » alors qu’une femme à l’écran commence une simulation de viol. Elle est seule devant la caméra. Mais elle fait exactement ce que plusieurs autres ont fait avant : elle tourne la tête, dit non, bat des jambes, se tourne, suffoque, se fait retirer sa culotte et finalement… accepte ce qui vient de se passer. Et le terme « accepte » ne signifie pas qu’elle consent. Elle accepte son sort. Elle a subi l’agression et fait la seule chose qui lui semble faisable à ce moment-là : se mettre en boule et pleurer de colère. Cette mise en scène qui ressemble presque à une chorégraphie de danse revient à quelques reprises pendant le film afin de montrer comment se déroule un viol.
La deuxième technique est plus classique. Avec des entrevues et des séquences de type reportage, les réalisatrices recueillent des témoignages de victimes de viol et de femmes qui travaillent à aider les femmes qui ont été violées.
La dernière technique, c’est la mise en scène. Une première mise en scène consiste à cette mère qui lit Le petit chaperon rouge à ses deux enfants. En même temps, on démontre à quel point ces histoires pour tous petits contribuent à mettre les femmes en position d’infériorité. Une deuxième mise en scène consiste à montrer un agresseur qui poursuit « gentiment » des femmes sur la rue ou au parc. Je dis gentiment, car, a priori, il ne les attaque pas, ces femmes. Mais de par son insistance et par les mots qu’il utilise, il agresse. Ces séquences sont particulièrement frappantes aujourd’hui, post-#MeToo.
Ces séquences montrent que malheureusement, bien que notre société ait évolué pour le mieux, les choses n’ont pas changées tant que ça.
Ce qu’on retient de Chaperons rouges, c’est qu’il ne se contente pas de montrer des problèmes ou, encore pire, de simplement accuser les hommes. Il offre un constat en donnant beaucoup d’exemples qui démontrent que le problème est bien présent. Puis, par la voie de ses intervenantes, on se questionne sur des solutions possibles pour faire changer les choses.
Il est intéressant et désolant de voir que plusieurs de ces idées pertinentes auront mis plus de 30 ans avant d’être adoptées. Soyez avertis, par contre, que ce documentaire est dur. Les séquences de simulation sont difficiles à regarder et les témoignages sont parfois dévastateurs. Je pense, entre autres, à cette femme qui a été violée à 12 ans sans même comprendre ce qui lui arrivait.
C’est une belle idée qu’a eue l’équipe des RIDM de présenter ce film.
Il y a une séquence extraordinaire vers la fin du documentaire, dans laquelle une des intervenantes raconte une histoire pour faire comprendre qu’une femme ne choisit pas de se faire violer. À l’époque (et encore pour certaines personnes aujourd’hui), si une femme se fait violer, c’est parce qu’en fait elle le voulait bien. Ça va ainsi :
« Alors, il y a une femme d’un village qui est venu voir le chevalier pour se plaindre qu’un de ses subalternes l’avait violé. Alors, le chevalier a sorti l’épée du fourreau, pis il lui a donné, pis il lui a dit “essaie de rentrer l’épée dans le fourreau”. Pis il a commencé à promener le fourreau comme ça. Elle essayait, pis elle était pas capable. Alors il dit “tu vois bien que le viol c’est pas possible si tu veux pas.” Elle a pris l’épée, elle lui a coupé le bras, elle a pris le fourreau, elle l’a mis dedans. “Vous voyez que ça existe.” »
Quand on se rappelle qu’il y a deux ou 3 ans, un juge avait dit à une jeune femme qui s’était fait violer, qu’elle n’avait qu’à fermer les jambes, on se dit que certaines personnes sont restées coincées à une époque pourtant lointaine.
En attendant que les mentalités du temps passé disparaissent, regardez Chaperons rouges. Vous en sortirez grandi.
Chaperons rouges est présenté aux RIDM le 24 novembre 2022.
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