Je poursuis ma couverture du festival Hot Docs qui se tient en présentiel à Toronto et en ligne partout au Canada, du 28 avril au 8 mai. Dans la catégorie « Persister: Women speaking up and being heard », j’ai vu un documentaire que je vous invite à découvrir : une œuvre tout aussi déchirante que magnifique qui interroge notre rapport au film de famille, à cette mémoire vivante sous un angle d’un traumatisme vécu dans l’enfance.
Il est des secrets impossibles à garder pour soi et si difficiles à partager avec son thérapeute, et encore plus avec sa propre famille : l’inceste. Avec ce mot-là, vous allez vouloir passer votre chemin. Non, restez dans la salle, s’il vous plaît. Silent Beauty est un film non pas dérangeant, mais au contraire sensible et poignant. C’est une œuvre plongée dans la résilience et les souvenirs de la réalisatrice Jasmin Mara López dont l’enfance a été bafouée par les actes d’un proche.
Comment on se reconstruit après cela? La cinéaste a imaginé un film thérapie en forme d’enquête avec une double temporalité. Elle y mêle un passé honteux et refoulé, qu’il est usage d’enterrer dans les familles conservatrices et religieuses, avec un temps présent et engagé où elle interroge les membres de sa famille, y compris son bourreau qui nie tout. Elle utilise les archives familiales Super 8 et vidéo tel un terreau émotionnel et cathartique pour se rappeler de ce qui s’est passé. Le bonheur innocent d’une famille quelconque qui se filme au cours d’anniversaires et de fêtes de Noël porte en réalité une souffrance atroce : des lieux remplis de mauvais souvenirs, des victimes silencieuses que l’on voit à l’écran et surtout un prédateur, le grand-père qui cachait bien son jeu, dansant, faisant le pitre, mais auteur d’actes pédophiles à cette même époque.
Cette matière extraordinaire, que constituent ces films de famille que la réalisatrice a fait numériser, n’est pas sans rappeler le chef-d’œuvre de Sarah Polley Story we tell (Les histoires qu’on raconte, Canada, 2012) qui tentait de faire apparaître la vérité ou le mensonge au détour des images d’archives de sa propre famille. Avec le temps et le regard que l’on pose des années plus tard sur eux, les films de famille deviennent mystérieux et racontent une autre histoire familiale, cherchant dans un détail d’une image granuleuse un objet ou une expression comme preuve ou signe de culpabilité.
La voix off douce et calme de Jasmin Mara López persiste. Elle ne craque pas, elle veut dévoiler la vérité au grand jour, elle veut que son bourreau avoue ses crimes afin de faire le deuil de ce passé et lui pardonner éventuellement. Son projet de film la rapproche de sa sœur avec qui elle partage malheureusement une histoire similaire et elles se rendent compte alors, avec désormais leur point de vue d’adultes, que personne ne les protégeait dans leur enfance, au sein d’une famille américaine d’origine mexicaine et catholique.
A l’image de la scène finale de plongée sous-marine, la poésie qui ponctue le film matérialise le travail mental à faire pour les victimes : un voyage incessant vers le passé et les profondeurs de son âme, ainsi que vers sa mémoire hantée. Jasmin Mara López s’en sort avec les honneurs en signant une œuvre courageuse et inspirante pour toutes les générations de victimes d’abus sexuels. Son récit documentaire personnel est mené avec brio jusqu’à un retournement de situation surprenant, à la lecture des mémoires de son grand-père que je me garde bien de vous dévoiler ici.
Le film est diffusé dans les salles à Toronto les 3 et 7 mai, et visionnable en ligne à partir du 4 mai pendant la durée du festival. Pour plus d’informations : https://hotdocs.ca/whats-on/hot-docs-festival/films/2022/silent-beauty
Bande-annonce
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