Charlotte – Peindre à tout prix

« Il ne faut pas attendre que la vie nous aime. Ce sont nous qui devons apprendre à aimer la vie. »

Charlotte - affiche

Berlin, années 30. Charlotte Salomon est une jeune fille de bonne famille, frondeuse. Lors d’un voyage à Rome, elle visite la chapelle Sixtine et découvre le plafond de Michel-Ange. C’est une épiphanie, elle veut devenir artiste-peintre. Elle passe le concours et est reçue à l’Académie des Beaux-Arts de Berlin. Lorsque des politiques antisémites inspirent de violentes manifestations, elle quitte Berlin pour la sécurité du Sud de la France. Là, elle recommence à peindre, et trouve un nouvel amour. Mais son travail est interrompu, cette fois par une tragédie familiale. Croyant que seul l’extraordinaire la sauvera, elle se lance dans l’aventure monumentale de peindre l’histoire de sa vie.

Avec Charlotte, Éric Warin et Tahir Rana racontent une histoire passionnante à partir d’une œuvre saisissante, mais manquent une flagrante opportunité de véritablement convaincre à partir de la leur.

Délit de fuite

Charlotte raconte l’histoire vraie de l’artiste Charlotte Salomon, écrivaine (ou plutôt illustratrice) allemande du livre Leben? oder Theater? (littéralement « Est-ce la vie? Ou du théâtre? »). À la base prévue comme une Gesamtkunstwerk (ou « œuvre d’art totale », reprise de l’ambitieux concept Wagnérien consistant à unifier poésie, musique et arts visuels), elle restera inachevée suite à la déportation de son autrice à Auschwitz et la mort qui s’en suivit alors qu’elle est enceinte de cinq mois. Composée de plus de 769 dessins peints entre 1941 et 1943 lorsque Salomon se cache des nazis dans le sud de la France, l’œuvre donne un compte rendu expressionniste à la fois réaliste et fantaisiste de la vie tumultueuse et ultimement tragique d’une artiste injustement persécutée.

Charlotte catches a last glimpse of her parents from the train window - Délis de fuite

Là où le duo de réalisateurs parvient le mieux à démontrer la réalité tragique mentionnée ci-haut, c’est dans leur manière d’insister sur la vie familiale de l’artiste, qui a dû alterner entre Berlin, où ses parents n’approuvaient pas sa carrière de peintre, et la France, où elle dût s’occuper de ses grands-parents stricts et malades, ne trouvant jamais pied où que ce soit jusqu’à la fin de sa vie lorsque, libérée de sa famille, elle réussit à se trouver un chez-soi, quoique pendant une très courte période. Il est alors très intéressant de voir le parti-pris inhabituel des réalisateurs de montrer la tourmente de son personnage principal à travers les dynamiques malsaines propagées et alimentées par sa famille, dont une sous-trame se concentrant sur le fait que pratiquement toutes les femmes de la famille de Charlotte soient mortes en se suicidant. Elle ne peut alors s’empêcher de ressentir un sentiment de catastrophe imminente, comme si son destin était déjà scellé. Ce sentiment est bien sûr rendu d’autant plus tragique de par le fait que l’histoire lui donna raison, mais à travers des circonstances bien différentes.

Bien que la décision des réalisateurs de se concentrer sur la famille de l’artiste soit intéressante, cela représente tout de même un couteau à double tranchant. Si Charlotte Solomon reste très populaire dans le milieu des beaux-arts, elle n’est pas particulièrement connue du grand public, et n’a été réalisé sur son histoire qu’un autre film particulièrement obscur, et ce, il y a très longtemps (Charlotte S., Frans Weisz, 1981). Bien qu’il soit un peu contre-productif de reprocher à un film ce qu’il n’est pas plutôt que de se concentrer sur ce qu’il est, nous ne pouvons nous empêcher comme spectateurs de ressentir un certain vide lorsque le film finit, alors que l’artiste commence tout juste à assembler l’œuvre qui l’a fait connaître. Alors qu’il aurait été compréhensible de se pencher sur un aspect méconnu de la vie d’une figure universellement connue (par exemple Anne Frank, à qui il est difficile de ne pas penser durant le film), je trouve particulièrement douteux de la part des scénaristes et réalisateurs de détourner pratiquement toute la trame narrative de la création des œuvres de Solomon, d’autant plus que ces dernières sont autobiographiques en soi.

Une opportunité manquée

Cependant, là où le film rate particulièrement à convaincre est au niveau de son animation. Peut-être est-ce dû à un manque de budget, mais encore une fois, devant une artiste qui peint des œuvres aussi complètes, expressives et sublimes, je ne peux m’empêcher de penser au film qu’il aurait pu être si les réalisateurs s’étaient inspirés un tant soit peu de l’artiste dont ils parlent. Cette frustration est d’autant plus accrue (mais ironiquement un peu soulagée par le fait même) de par l’ajout de courtes séquences qui montrent les peintures de l’artiste en pleine création, alors que la caméra effectue un zoom in dans le canevas, qui s’anime et se crée à la manière d’une œuvre vivante. Ces courts moments de joie sont cependant coupés à court lorsque nous revenons à la vie familiale de l’artiste, animée dans un style rigide franchement peu inspiré, et pratiquement amateur. Si ce traitement fade nous laisse déjà un mauvais goût, il n’est pas aidé de l’écriture du film et des performances sans enthousiasme (de grands acteurs tout de même! Marion Cotillard! Romain Duris!).

Charlotte lays in Alexanders arms gazing at the stars - Une opportunité manquée

Bref, si le film présente une histoire très inspirante et tragique, il devient vite retenu par ses lacunes au niveau du scénario, du jeu d’acteur et particulièrement de son animation (qui, disons-le-nous, représente souvent l’aspect le plus intéressant d’un film d’animation). Bien que je sois tout de même content d’avoir visionné le film puisque celui-ci m’a fait connaitre une grande artiste dont je n’ai pas fini de revisiter l’œuvre, c’est toujours mauvais signe quand j’ai hâte qu’un film finisse pour aller faire mes propres recherches sur le sujet qu’il met en scène. C’est encore plus mauvais signe quand il me donne une appréciation accrue d’autres œuvres ayant tiré profit de l’artiste dont ils s’inspirent telles que Loving Vincent (2017) ou Persepolis (2007). Malgré tout, je crois tout de même qu’il vaut la peine de le visionner à temps perdu, ne serait-ce que pour la découverte de son personnage principal et d’un traitement relativement inhabituel de la période historique durant laquelle se déroule le film.

Bande-annonce

Fiche technique

Titre original
Charlotte
Durée
92 minutes
Année
2021
Pays
France / Belgique / Canada
Réalisateur
Éric Warin et Tahir Rana
Scénario
Erik Ruthreford et David Bezmozgis
Note
5 /10

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Fiche technique

Titre original
Charlotte
Durée
92 minutes
Année
2021
Pays
France / Belgique / Canada
Réalisateur
Éric Warin et Tahir Rana
Scénario
Erik Ruthreford et David Bezmozgis
Note
5 /10

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