The Housewife - une

The Housewife — Entretenir la flamme

« — Tu regardes quoi?
— Je me demandais ce qu’on voyait par cette fenêtre. »

HOUSEWIFE - Affiche

C’est en rencontrant son ancien amant de faculté que Toko (Kaho), depuis longtemps femme au foyer, voit soudain renaître en elle le désir de travailler, et de reprendre son métier d’architecte. Mais peut-on vraiment réinventer sa vie?

Avec The Housewife (Red), Yukiko Mishima crée une oeuvre forte, empreinte de féminisme et de libération pour la femme. C’est aussi un film qui a créé beaucoup de remous au Japon.

La place de la femme au Japon

Selon les standards japonais, Toko dispose de tout ce que la société peut offrir à une trentenaire respectable : un mari ambitieux, capable de subvenir aux besoins de la famille, une petite fille adorable et une belle-mère serviable, tous cohabitants dans une maison moderne, suffisamment grande pour que chacun y trouve l’espace de s’y épanouir. En effet, la société nippone ne donne pas une très grande place à la femme, surtout pour ceux qui sont plus traditionnels. 

Housewife - La place de la femme au japon
Toko (Kaho) et Kurata (Satoshi Tsumabuki)

J’adore le Japon. J’ai énormément de plaisir lorsque je peux discuter avec des gens d’origine japonaise. Mais il faut être honnête, la société japonaise est obsessive et met beaucoup d’emphase sur la honte. C’est encore plus vrai pour les femmes. Si une femme atteint la trentaine sans être en couple, prête à fonder une famille — si ce n’est déjà fait —, la société lui mettra une pression extraordinaire afin qu’elle remplisse son rôle de femme. Et ces femmes qui se « retrouvent » célibataires passé 30 ans ont la honte. 

Le mariage (au sens de créer une vie familiale plus qu’un sens de la cérémonie) y est moins l’union de deux individus que le fait qu’une femme rejoint la famille d’un homme et son foyer. Le regard social sur les personnes célibataires est tel qu’un business de « location de proches » a fini par se mettre en place. Avec ce système, vous n’avez plus à assumer votre solitude : vous pouvez payer un acteur qui se fera passer pour votre partenaire et vous accompagnera à un mariage, par exemple, plutôt que d’y arriver seul… 

« La pression est telle au Japon qu’il est très difficile de voir le célibat comme une expérience de solitude source de plénitude, où l’on peut se confronter à soi, s’explorer. Au contraire, c’est une expérience où l’on se confronte d’abord à la société. C’est pourquoi beaucoup de personnes préfèrent s’en préserver et se marient par dépit, pour éviter d’avoir l’air défaillants au regard des attentes sociétales : cela donne forcément des mariages malheureux, ennuyeux et dysfonctionnels comme celui de Toko, qui ne trouve la force de faire un pas de côté que lorsqu’elle recroise Kurata, son ancien amant… » explique la réalisatrice.

La sexualité au féminin… au Japon

La toute première séquence de The Housewife montre tout ce que le spectateur doit voir pour comprendre le genre de relation dans laquelle vit Toko. Le mari est sur le point de jouir, Toko est en train de faire une fellation à son mari. Après ce qui paraît être une éternité, il jouit. La jeune épouse prend un mouchoir, se vide la bouche, et ils se couchent pour la nuit. 

SoR - La sexualité au féminin

Les scènes suivantes montrent Toko résignée. On devine assez facilement qu’elle n’éprouve plus grand bonheur. Elle forme avec son mari un couple de convenance, jamais complémentaire, jamais complice et viscéralement désuni. Tel qu’on peut souvent en voir au Japon. La réalisatrice frappe fort avec des scènes bien choisies et des plans forts. Non seulement on voit que Toko accepte sa place avec tristesse, mais que son mari n’a que peu d’estime pour elle.  Je serais curieux de connaître le taux de relations adultères au Japon. 

Quoi qu’il en soit, pour Toko, le déclic se fait lorsqu’elle rencontre un ancien amour : Kurata. Cette rencontre fortuite offre au spectateur ce qui est possiblement le baiser le plus passionné de l’histoire du cinéma japonais. À partir de là, Yukiko Mishima, grâce à la prestation incroyable de Kaho, montrera comment peut se développer une passion érotique et peut-être amoureuse entre une femme mariée et malheureuse et un homme qui représente son premier amour inavoué.  Mais cette passion aussi est aliénante, tant cet amour est vécu avec culpabilité. 

Des films de relations remplies de passion et de sorties en cachette, le cinéma en est rempli. Et pourtant, la réalisatrice japonaise réussit à filmer les relations sexuelles d’une façon efficace, excitante et retenue. À aucun moment elle ne montre les seins ou les sexes des personnages. Et pourtant, The Housewife est excitant, sensuel, et profondément beau. En mettant l’emphase sur les visages et les mains, le spectateur se sent happé comme jamais par des scènes de sexe. Finalement, on peut réaliser qu’un visage qui démontre un grand plaisir peut être beaucoup plus excitant que n’importe quelle scène explicite.

Un peu plus…

« je voulais réaliser un film sur la découverte de soi qui s’opère dans le choc des altérités, que ce soit par la rencontre ou le conflit. Lorsque j’ai lu Red de l’écrivaine Rio Shimamoto, j’ai aussitôt eu envie de l’adapter, tant le livre aborde de manière subtile et précise l’aliénation des femmes lorsqu’on les empêche de réaliser leur potentiel et d’exprimer leur propre volonté, leur individualité, a fortiori dans le mariage. The Housewife est ainsi une histoire d’amour pour tous les âges, et une version japonaise de la pièce de 1879 d’Henrik Ibsen, Une maison de poupée

Yukiko Mishima
Housewife - un peu plus

L’utilisation de l’architecture permet une belle analogie. Cette discipline est guidée par l’idée de, à la fois construire des bases solides, extrêmement rationnelles, tout en étant créatif. C’est un peu comme un couple. À mesure que Toko grandit dans sa carrière en architecture, son mariage prend le bord. 

The Housewife se veut donc, non seulement une critique de la société japonaise, mais aussi un cri du cœur afin de dire aux femmes du pays du soleil levant qu’elles ont le droit de penser à elles et être plus qu’une épouse, une mère, un objet dans la pièce.

Bande-annonce

Fiche technique

Titre original
Shape of Red
Durée
123 minutes
Année
2020
Pays
Japon
Réalisateur
Yukiko Mishima
Scénario
Yukiko Mishima et Chihiro Ikeda
Note
9 /10

1 réflexion sur “The Housewife — Entretenir la flamme”

  1. Vous avez décrit le plaisir, que la beauté de ce film — on pense à Hopper — m’a donné. J’étais “scotché ” devant la mise en scène de cette troublante histoire japonaise. J’ai eu la même satisfaction de voir la sexualité filmée avec tant de délicatesse et de fébrilité. je suivrai, dorénavant, Yukiko Mishima.

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Fiche technique

Titre original
Shape of Red
Durée
123 minutes
Année
2020
Pays
Japon
Réalisateur
Yukiko Mishima
Scénario
Yukiko Mishima et Chihiro Ikeda
Note
9 /10

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