« Je pense à ceux qui doivent en eux retrouver quelque chose après le désenchantement. »
Honoré de Balzac
Inspiré de l’expérience de Balzac dans l’imprimerie, Illusions perdues raconte l’histoire de Lucien Chardon/de Rubempré (Benjamin Voisin), un jeune poète français inconnu, qui, nourri de grands espoirs, veut forger son destin. Il quitte l’imprimerie familiale de sa province natale pour tenter sa chance à Paris au bras de Louise (Cécile de France), sa maîtresse. Le jeune homme va découvrir les coulisses d’un monde voué à la loi du profit et des faux-semblants, et survivre à la comédie humaine et à ses illusions perdues.
Illusions perdues est tout d’abord un roman d’Honoré de Balzac qui a été publié de 1837 à 1843. Il se compose de trois volumes: Les deux poètes, Un grand homme de province à Paris et Les souffrances de l’inventeur. Il a été catégorisé comme l’un des romans les plus longs de la comédie humaine. Alors que Balzac voit son œuvre comme « une histoire pleine de vérité », les critiques littéraires de l’époque ont considéré l’ouvrage comme un « roman insipide, sans action et sans intérêt ».
Un peu moins de deux siècles plus tard et bien au-delà de cette satire journalistique, Xavier Giannoli nous dresse, pour son huitième long-métrage, un portrait saisissant de la société française du XIXe siècle qui reste cruellement semblable à celle que nous connaissons actuellement. Une véritable société au bord du gouffre.
Illusion perdues, c’est avant tout le récit d’un ambitieux et de ses ambitions. Nous y retrouvons Lucien Chardon/de Rubempré, ce personnage qui verra ses rêves de littérature et de poésie se dissoudre face à une presse corrompue par laquelle le poids des mots pèse toujours moins lourd que le sens des affaires. Il sera confronté à un monde dans lequel tout se monnaie et se vend au prix de la gloire comme de l’insuccès. Si Giannoli s’appuie régulièrement sur des références plus ou moins subtiles de notre société contemporaine, c’est aussi pour démontrer que les choses n’ont pas particulièrement changé au fil du temps. On y retrouve la même avidité, le même cynisme. Un monde fait de soif de polémiques, d’alliances politiques et économiques et de personnes corrompues. Les canards déchaînés d’autrefois sont en quelque sorte devenus les « fake news » d’aujourd’hui. Comme Honoré de Balzac, Giannoli souligne la perspective de Lucien qui contemple sans cesse les deux faces de la réalité contemporaine, comme s’il était tiraillé entre deux mondes. L’un mort, mais fatalement inéluctable, l’autre vivant, mais trop artificiel et repoussant. Cela nous démontre combien le roman de Balzac était incontestablement dénonciateur pour son époque.
L’œuvre de Giannoli bénéficie d’une réalisation brillante qui repose sur un scénario bien adapté et une reconstitution convaincante du Paris de l’époque. L’atmosphère du film est pensée avec beaucoup de soin. Des costumes au maquillage en passant par la bande son originale, tout est parfaitement en symbiose et rend le film captivant jusqu’à la fin. La caméra de Christophe Beaucarne s’efface pour laisser place à une pléiade d’acteurs plus étincelants les uns que les autres (Cécile de France, Gérard Depardieu, Vincent Lacoste, Salomé Dewaels) et qui ne manqueront pas de nous plonger dans un abîme d’injustice, de mensonges et de trahisons. Benjamin Voisin, ce jeune acteur à la présence authentique remarqué récemment dans Un Vrai Bonhomme de Benjamin Parent (2020) puis dans Été 85 de François Ozon (2020), correspond parfaitement au personnage de Balzac. Nous redécouvrons aussi Xavier Dolan, incarnant le rôle de Nathan, un auteur talentueux et respecté malgré les manigances. Sa voix suave et sophistiquée narre l’histoire en introduisant une dimension descriptive supplémentaire et une certaine distance critique dans le déroulement du film.
Loin d’un certain cliché des films à costumes, et en aucun cas « curieux de nullité », Illusions perdues avec son budget approximatif de 19 millions d’euros, est une éclatante peinture cinématographique dont la grande qualité principale est de ne pas tomber dans les stéréotypes des adaptations de grands classiques littéraires. Ce film possède une certaine audace de mise en scène avec un grand sens du détail tout en étant soutenu par la beauté de ses images. Un film qui s’avère une excellente découverte 2022 et qui mérite votre attention.
Xavier Dolan sera finaliste le 25 février dans la catégorie du meilleur acteur dans un second rôle à la 47e cérémonie des Césars.
Bande-annonce
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