« Les enfants demandent trop maintenant. Tu ne les connais pas. Ils ne te connaissent pas. »
Amin (Moustapha Mbengue) est venu du Sénégal pour travailler en France, il y a neuf ans. Il a laissé au pays sa femme Aïcha (Marème N’diaye) et leurs trois enfants. En France, Amin n’a d’autre vie que son travail, d’autres amis que les hommes qui résident au foyer. Aïcha ne voit son mari qu’une à deux fois par an, pour une ou deux semaines, parfois un mois. Elle accepte cette situation comme une nécessité de fait : l’argent qu’Amin envoie au Sénégal fait vivre plusieurs personnes. Un jour, en France, Amin rencontre Gabrielle (Emmanuelle Devos) et une liaison se noue. Au début, Amin est très retenu. Il y a le problème de la langue, de la pudeur. Jusque-là, séparé de sa femme, il menait une vie consacrée au devoir et savait qu’il fallait rester vigilant.
Avec Amin, Philippe Faucon offre un film qui montre une des dures réalités de l’immigration : vivre à distance de ceux qu’on aime. Son film sera présenté dans le cadre de la programmation d’Histoires d’Immigrants Francophones.
Qui ne connaît pas l’expression « une image vaut mille mots »? Dans Amin, elle prend tout son sens. En France, Amin ne parle pas beaucoup. Il est discret, comme s’il cherchait à s’effacer. Mais la réalité est que, comme beaucoup d’immigrants, il n’a pas la même maîtrise de la langue que les gens qui ont grandi dans le pays d’accueil. Il ne possède pas toujours tous les codes des milieux dans lesquels il évolue. Et il porte en lui une histoire (l’exil, la séparation prolongée d’avec ses proches, dont il pourvoit aux besoins) qu’il ne partage que dans l’intime. C’est un personnage réaliste, qui est représentatif de la réalité, sans devenir pour autant un stéréotype.
Le réalisateur utilise bien cette « non-communication » afin de montrer les émotions, les sentiments, plutôt que de mettre des phrases vides dans la bouche de ses personnages. On a souvent tendance à prendre le spectateur pour un analphabète des émotions. Avec Amin, Faucon évite de faire passer la douleur intime et sourde des personnages par le dialogue. Mais la qualité de ses acteurs rend le décodage simple pour le spectateur.
Le cinéma a cette capacité de mise en parallèle très forte permettant de mettre en opposition deux univers. Faucon fait, ici, passer le spectateur directement d’une séquence dans le pays d’origine à une séquence dans le pays d’accueil, avec un effet de rupture, de confrontation immédiate de tout ce que contiennent les images : les conditions de vie, les préoccupations des personnages, les enjeux sociaux ou familiaux.
Ce qui est particulièrement frappant aussi, pour le spectateur, c’est l’attitude d’Amin dans les deux pays. Sa présence forte et assumée au Sénégal fait place à une sorte de soumission en France. La question qui reste en tête est la même que bien des familles séparées par la migration doivent avoir : combien de temps mon être aimé me restera fidèle? Pour connaitre des gens qui sont dans cette situation, il me semble impossible de croire que ces vies familiales peuvent continuer d’exister selon les normes de fidélité sociétale normales. J’ai l’impression que c’est, en quelque sorte, ce que montre Amin.
Philippe Faucon n’en est pas à son premier film qui traite d’enjeux sociétaux. Mais avec Amin, il amène son cinéma dans un racoin qui a été peu exploré : la variété des relations familiales formées par l’immigration en France. Oui, Amin est un exemple, une option. On pourrait aussi regarder les autres personnages, qui ont tous une réalité bien précise et nuancée.
Il offre donc, ici, une œuvre solide, dirigée à la perfection, avec des acteurs qui livrent la marchandise.
Amin est présenté dans le cadre de Histoires d’immigrants francophones, du 31 janvier au7 février 2022.
Bande-annonce
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