« Et toi, quelqu’un t’attend? »
La quête de Willy pour retrouver Marlena, son amour perdu, le mène du Mexique au Canada, où il se fait engager comme travailleur saisonnier à la ferme Bécotte, près de Montréal. Plusieurs destins s’entrecroisent, des mondes se rencontrent, les tensions montent et des moments de réalisme magique surgissent au cours des longues journées de travail.
La beauté de la direction photo des Oiseaux ivres est aussi indéniable qu’impressionnante. Le soin méticuleux apporté aux images relève du travail d’orfèvre; chaque plan est minutieusement éclairé et composé, les mouvements de caméra sont amples et fluides, l’usage de la palette de couleur est exemplaire. Un des plans les plus impressionnants du film est sans contredit celui où une lueur orangée au bout d’une route embrumée se révèle, au terme d’un plan-séquence, être une voiture en flamme, dans un contexte de vendetta dans le monde criminel mexicain. Quoi de plus normal pour ce film, qui est l’œuvre de Sara Mishara, à mon sens la meilleure directrice photo québécoise contemporaine, et d’Ivan Grbovic, qui, de par son métier de réalisateur de clips doit avoir un sens aiguisé de l’esthétique. Les deux compagnons offrent un film très esthétisé où la photographie et la direction artistique sont soignées au dernier degré. Une des principales qualités du film est son usage de couleurs assez peu utilisées, habituellement, au cinéma. Je pense ici au rose, au mauve, au pourpre et à l’ocre. Plusieurs plans sont baignés dans des lumières enveloppantes teintées de ces couleurs, ce qui donne à l’image un aspect chaleureux, très bien capté par la sensibilité de la pellicule. Nul doute que Les oiseaux ivres gagnera l’Iris de la meilleure direction photo. Seulement, voilà…
Tant d’attention semble avoir été portée à l’image que les autres aspects du film souffrent de la comparaison. Le scénario, en particulier, m’a laissé un peu perplexe. Dans sa première demi-heure, par exemple, le film semble adopter une approche non linéaire du récit — le film commence par sa fin, puis on montre le moment où Willy quitte le Mexique, puis pourquoi il le quitte, et ainsi de suite —, pour ensuite abandonner ce procédé. Sinon, l’intrigue principale est diluée dans plusieurs digressions narratives qui prennent la forme de passages oniriques ou de scènes anecdotiques concernant des personnages extérieurs à l’histoire.
Certaines des ces séquences sont plutôt réussies, pensons à une scène dans les premières minutes du film où des ouvriers mexicains découvrent la demeure abandonnée de l’ancien patron mafieux de Willy, qui est en prison, et y trouvent une lettre écrite par Marlena. Par ce procédé, les cinéastes dévoilent habilement les origines de l’histoire d’amour entre Marlena et Willy par les yeux des personnages qui prennent le rôle de narrateurs-témoins. Cependant, d’autres scènes semblent superflues, en cela qu’elles ne sont pas particulièrement palpitantes et ont l’air de n’être que l’excuse pour des fulgurances visuelles. Par exemple, un très long plan-séquence montre un atelier où des travailleurs chinois reproduisent des toiles de grands maîtres, en plus de préparer un portrait du patron de Willy – lequel n’apparaît que quelques secondes dans un flashback de la dernière scène. Cette scène est impressionnante sur le plan technique, mais je ne suis pas certain de saisir en quoi elle est pertinente. De même, cette séquence où Willy apprivoise un cheval sauvage dans un champ est réussie sur le plan visuel, mais moins originale sur plan du contenu. L’image de chevaux sauvages dans un champ sous un soleil déclinant est quelque peu usée. Bien entendu, le long-métrage se réclame du genre « réalisme magique », donc ces séquences contemplatives sont compréhensibles, mais le fait d’être cohérentes avec le parti pris du film ne les rend pas automatiquement bien écrites ou fascinantes. Même si certaines le sont, surtout celle du début avec la voiture en feu.
Je ne suis pas certain d’avoir compris, non plus, quel ton le scénario tentait d’adopter. L’intrigue comporte plusieurs scènes humoristiques et les blagues surviennent parfois à des moments un brin singuliers. Par exemple, Léa, la fille du fermier qui engage Willy, est recrutée dans un réseau de prostitution. Une scène assez tendue lorsqu’elle se retrouve dans la chambre d’un client insistant est coupée court quand la jeune femme découvre qu’elle a ses règles, étend son sang menstruel dans le miroir de la salle de bain en riant comme le ferait le Joker et s’enfuit en courant, au ralenti. Le but de cette scène est sans doute de déstabiliser le spectateur, mais j’ignore si c’était la meilleure manière de la mener. Sinon, lors de la dernière scène du film, qui est censée être un pivot dramatique, le spectateur a droit à un flashback qui montre comment Willy et Marlena ont entamé leur relation. Willy fait une longue déclaration d’amour à Marlena alors qu’elle est dans la toilette des femmes…Pour se rendre compte qu’il était devant la mauvaise cabine et que tout son discours a été entendu par une vieille dame interloquée. Encore une fois, je ne sais pas si ce type d’autodérision est particulièrement efficace pour favoriser l’attachement aux personnages ou la crédibilité du film. En même temps, le film choisit une ligne esthétique et s’y tient, je ne suis peut-être pas le public cible.
Sinon, le film contient tout de même d’assez beaux morceaux de musique hispanophone et des performances solides. Norman d’Amours est assez marquant, lui qui n’apparait que quelques minutes pour offrir une performance solide. Le couple à l’écran formé par Jorge Antonio Guerrera, un acteur de Roma, et Yoshira Escarrega font preuve d’une belle chimie. Les oiseaux ivres sera le représentant du Canada pour l’Oscar du Meilleur Film Étranger et devra batailler ferme contre d’autres films au parti pris esthétique assez radical, comme Lamb ou Titane. À suivre…
Note : 6/10
Les oiseaux ivres est présenté au VIFF du 1er au 11 octobre 2021 et au FNC les 12 et 13 octobre 2021.
Bande-annonce
Titre original : Les oiseaux ivres
Durée : 105 minutes
Année : 2021
Pays : Québec (Canada)
Réalisateur : Ivan Grbovic
Scénario : Ivan Grbovic et Sara Mishara
© 2023 Le petit septième
Nous avons la même lecture du film. Beau, mais beaucoup de scènes superflues et un scénario qui part dans tous les sens. Qui nous rappelle d’ailleurs un autre film québécois «Il pleuvait des oiseaux» qui avait le même problème. En définitive, nous n’irons plus voir de film québécois avec le mot oiseau, à moins qu’on veuille le laisser jouer, muet, avec de la musique par-dessus.
Je viens de voir ce film et je pense exactement comme vous.
Je suis d’accord avec ta critique en beaucoup de points 🙂 Merci pour ce résumer ! Pour le cheval, je crois avoir compris que la scène de Willie avec le cheval au début nous menait à voir une création de complicité entre les deux, pour comprendre ou du moins croire davantage au fait qu’il se soit rendu à Montréal avec lui vers la fin !!
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