Beans – Vivre la crise

« If you can’t feel pain, no one can hurt you. »
[Si tu ne ressens pas la douleur, personne ne peut te blesser.]

Beans - AfficheBeans, douze ans, est à cran : tiraillée entre l’innocence de l’enfance et l’éveil bouillonnant de l’adolescence, forcée de grandir rapidement pour se transformer en la courageuse guerrière Mohawk dont elle a besoin pour survivre. Beans est l’histoire émouvante d’une jeune fille et de son passage à la vie d’adulte, se déroulant pendant les événements de la crise d’Oka, qui ont déchiré le Québec pendant 78 jours de l’été 1990.

Drame dans lequel la réalisatrice, Tracey Deer, explore le passage de l’enfance à la difficile réalité de l’adulte. La crise d’Oka, vécue à travers les yeux de l’enfant qu’est Tekahentahkhwa (Beans, pour les intimes et jouée avec brio par Kiawentiio), est montrée de l’intérieur. Comment grandit-on dans une société en crise?

La genèse du film 

Tracey Deer est connue pour ses documentaires dans lesquels elle plonge dans les réalités des membres des communautés mohawks. Dans Beans, Deer nous propose une incursion particulière dans sa propre histoire alors qu’elle raconte la crise d’Oka telle qu’elle est perçue par les membres de la nation mohawk. Alors qu’elle avait douze ans lors de la crise en 1990, elle relate – en partie – son expérience par le biais de celle de sa jeune protagoniste : « Ce projet remonte à loin pour moi. J’étais ‘’Beans’’. J’avais 12 ans lorsque j’ai vécu l’affrontement armé entre mon peuple et les gouvernements québécois et canadien, connu sous le nom de crise d’Oka. La nation mohawk de Kanesatake et de Kahnawà:ke s’est opposée à une force brutale redoutable – et a gagné. »

Beans - La genèse du film

C’est, certes, l’histoire d’une crise qui est racontée, mais c’est par l’entremise d’une crise personnelle que la réalisatrice revisite les événements de l’année 1990.

L’enfant et sa vision du monde

Beans est rapidement confrontée au regard de l’autre alors qu’elle doit se présenter aux Blancs. Par commodité ou par habitude, elle se fait appeler Beans plutôt que Tekahentahkhwa. Porteuse d’une mémoire collective, elle ne comprend pas tout à fait la portée de ses gestes. 

D’abord très proche de sa sœur Ruby (Violah Beauvais), Beans cherche à se détacher de ce monde de l’enfant, incarné par l’insouciance. Elle se jette dans le vide alors qu’elle cherche à s’endurcir, à faire partie d’un autre monde. Les non-dits, les silences rappellent que plusieurs drames traversent les vies dont un portrait est brossé. C’est sous un regard – trop? – marqué par la naïveté qu’il est question d’abus…

Beans - Enfant et sa vision du monde
Beans (Kiawentiio) et sa mère (Rainbow Dickerson)

Entre les rassemblements, les virées nocturnes, la consommation illégale et les confrontations avec ses parents – notamment avec sa mère Lily (Rainbow Dickerson), Beans cherche à s’émanciper de sa petite vie rangée. Elle cherche à se libérer de l’image de l’enfant, du bébé. Cette idée du passage du monde de l’enfant à celui du jeune adulte traverse une bonne partie du film.

Alors qu’elle apprend difficilement à se connaître elle-même, Beans apprend qu’elle doit aussi vivre avec la perception des Allochtones, des Blancs. La haine qui lui est destinée la marque dans son quotidien au point où elle finit par choisir la voie de la violence. 

La crise d’Oka et la vision de l’Autre

Bien que le public suive l’histoire de Beans et de sa famille, la trame narrative s’inscrit dans une autre plus importante, celle de la crise d’Oka. Événement qui a marqué l’imaginaire de la société québécoise, c’est une crise revisitée ici. Peu d’attention est portée aux « conséquences » sur l’autre partie – soit les Québécois. La réalisatrice s’attarde plutôt à la façon dont les Mohawks ont été traités et à la façon dont les autorités ont « géré » ces événements. Difficiles – ou non – rappels de l’histoire, il est nécessaire pour le public de garder les yeux ouverts et d’affronter cette part de responsabilité. Il n’est pas encore venu le temps de la réconciliation – les plaies sont encore trop vives. Crise vieille de maintenant plus de trente ans, les demandes de la nation mohawk ont encore des échos dans le portrait de 2021.

Beans - Crise d Oka

La femme est celle qui tient le fort

Une des réussites du film est d’avoir mis de l’avant des personnages féminins forts qui maintiennent – tout au long de la crise – la cohérence du quotidien. Ce sont des mères, ce sont des sœurs, ce sont des filles qui ne s’en laissent pas imposer et qui défendent les nombreuses causes qui traversent l’œuvre. 

La mère de Beans, Lily, porte un message d’espoir et, avec elle, une volonté de dialogue. Plusieurs fois, elle rappellera à Beans l’importance de se faire connaître par les autres.

April (Paulina Alexis), l’amie de Beans, fait preuve de détermination, de courage et de résilience alors qu’elle affronte ses propres démons tout en cherchant à tenir sa consœur loin des siens.

Tekahentahkhwa incarne la fierté d’une nation, elle porte en elle l’espoir d’un avenir meilleur. Mais, d’abord, il faut retourner aux origines et se réapproprier son nom. 

Beans nous rappelle qu’un conflit laisse des traces indélébiles sur les gens qui le vivent, que la haine de l’un ne peut qu’entretenir la haine de l’autre. C’est un regard teinté de fierté – parfois mal dirigée – que l’enfant deviendra grand.

Note : 8,5/10

Bande-annonce

Fiche technique : 

Titre original : Beans
Durée : 92 minutes
Année : 2021
Pays : Canada
Réalisateur : Tracey Deer
Scénario : Tracey Deer et Meredith, Vuchnich

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