[Vues d’Afrique] Fataria — Systèmes de merde

« Comme tu ne sers à rien, je me rince au moins les yeux. »

fataria - afficheMai 2004. Tunis en ébullition : c’est le Sommet Arabe. Dans cette atmosphère frénétique et burlesque, nos personnages se croisent sans jamais vraiment se rencontrer, s’efforçant de résoudre leurs problèmes personnels. Le Sommet Arabe est une réussite, les discours grandiloquents envahissent la ville pendant que nos personnages se démènent pour survivre.

Avec Fataria, Walid Tayaa offre une satire magnifique de sa Tunisie natale. Plus jamais je ne verrai le cinéma arabe de la même manière!

Plusieurs histoires liées

Ammar (Issa Harrath), un vieil homme, tente de se faire soigner à l’hôpital public. Malmené de bureau en bureau, ne réussissant pas à obtenir la moindre attention, il trouvera un moyen de se faire entendre… Cette histoire est probablement la plus amusante pour un québécois. L’homme se fâche après la pauvre femme qui travaille à l’accueil parce qu’il ne peut voir un cardiologue avant… 3 mois. Vous imaginez, 3 mois est une aberrance. Heureusement pour lui, il ne vit pas au Québec. 😆 

Salha (Rym Hamrouni) essaye par tous les moyens de gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle réussit même à faire la pleureuse pendant un décès et tout en animant une fête de mariage. Elle fait un va-et-vient entre les deux lieux, tout en arrêtant en route pour une petite vente illicite. 

Nadia (Nadia Saïji), chorégraphe, tente de répéter avec ses danseuses malgré un vacarme insupportable, provenant d’un chantier voisin, tenu par un homme corrompu. Elle doit aussi se battre avec les préjugés. Parce qu’après tout, danser n’est pas un métier sérieux et n’est certainement pas mieux, pour une femme, que de se marier et faire des enfants…

Fataria - Plusieurs histoires
Nadia (Nadia Saïji)

Finalement, mon personnage préféré… Hamadi (Jamal Madani), électricien, doit réparer un réseau défectueux dans un immeuble délabré, peuplé de gens étranges répétant que l’endroit est hanté. Hamadi est charmé par Naziha (Sabah Bouzouita) une quinquagénaire divorcée qui habite l’immeuble… Non seulement l’immeuble est en ruine, mais le système électrique semble avoir été fait « tout croche ». Il y a des fils partout et simplement comprendre à quoi chacun sert semble un défi presque insurmontable.

Le système mené à mal

Fataria est une satire et le réalisateur ne se gêne pas et il frappe fort. Il se moque du système de santé avec un personnage pas si sympathique. Mais à force de le suivre, on finit presque par l’aimer. Ou, à tout le moins, à vouloir défendre sa cause. On peut dire qu’il ne lâche pas. Il réussira, malgré tout, à voir plusieurs médecins. Mais jamais celui dont il a besoin. La bureaucratie tunisienne est-elle si lourde? Une chose est sûre, le vieil homme lance une des meilleures répliques du film à la réceptionniste qui refuse de changer son rendez-vous : « Comme tu ne sers à rien, je me rince au moins les yeux. » Je vous laisse deviner où l’homme regarde.

Fataria - Le système mené à mal
Hamadi (Jamal Madani)

L’autre personnage qui malmène le système tunisien vise la religion. La Tunisie est composée à plus de 80% de musulmans. Mais cela n’empêche pas Salha de vendre — en cachette — de la bière, de l’alcool et du pot. Et son petit commerce marche plutôt bien. Quant aux conversations qu’on entend dans la fête de mariage — réservée aux femmes —, elles seraient jugées osées même ici. Il semblerait donc que les gens ne sont pas si rigoureux qu’on l’imagine… Je ne vous donnerai pas toutes les blagues salaces qui sont lancées lors de la fête, mais il y en a une qui va environ comme ceci : « — oh, mais tu es une vraie cochonne. — dans ce cas, je dois avouer que mon mari mange du porc. » Vous voyez le genre. 😉

Mais encore…

Alors que certains personnages servent à dénoncer d’un point de vue plus systémique, d’autres servent à montrer l’hypocrisie du Sommet Arabe. Alors que les grands dirigeants arabes n’ont que de bons mots et que le gouvernement se vante de la perfection de la Tunisie, nos personnages suffoquent financièrement, et moralement. Impossible de se faire soigner, incapable de vivre de ses métiers, des bâtiments qui tombent en décrépitude, et l’art dénigré…

Fataria - Mais encore
Hamadi (Jamal Madani) et Naziha (Sabah Bouzouita)

La seule faiblesse de Fataria, c’est le jeu des acteurs. Ils ne sont pas très bons. Mais parfois, un scénario magistral et une direction bien menée sont tout ce qu’il faut pour rendre un film remarquable. 

Je vous invite fortement à profiter du Festival Vues d’Afrique pour visionner, gratuitement, Fataria. Vous ne serez pas déçu!

Note : 8.5/10

Bande-annonce

Fiche technique :

Titre original : Fataria
Durée : 80 minutes
Année : 2020
Pays : Tunisie/France
Réalisateur : Walid Tayaa
Scénario : Walid Tayaa

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