« — Why do you pay to go on a date with a girl 40 years younger than you? »
— Why do you do it?
— I’m a starving artist. »
[— Pourquoi tu paies pour avoir une date avec une fille 40 ans plus jeune que toi?
— Toi, pourquoi tu le fais?
— Je suis une artiste sans le sou.]
Darren (Kelly McCormack) est une jeune musicienne incroyablement talentueuse et non conventionnel, qui rêve de créer de la musique comme personne n’a jamais entendue avant. Mais elle est fauchée, jonglant avec plusieurs emplois à temps partiel et n’ayant pas le temps de créer. Désespérée pour de l’argent, elle s’inscrit sur un site de rencontres payantes de type Sugar Daddy et se jette dans une spirale sombre qui la force à grandir rapidement, façonnant sa musique et sa façon de voir le monde.
Avec Sugar Daddy, Wendy Morgan offre un film qui traite du voyage tacite entrepris par une femme pour trouver sa voix. Un film coup de poing, dirigé et joué de façon magistrale.
Sugar Daddy n’est pas à propos d’une femme forte. C’est une représentation, sans compromis, de l’oppression sociétale qu’une jeune femme doit endurer pour éveiller son identité véritable — une résurrection de soi qui est à la fois radieuse et révoltante.
C’est par le personnage de Darren qu’est dressé ce portrait de femme. Toute femme n’est pas une artiste qui tente de faire sa place, mais le film marque son point : chaque femme ou presque, peu importe le milieu, passera par ces difficultés. Darren évolue dans le monde de manière maladroite, parfois destructrice, mais nous comprenons pourquoi elle prend les décisions qu’elle prend. Ce n’est pas une fille excentrique et incomprise. Elle est une femme comme une autre : elle a une grande gueule, elle est égocentrique, douée, fonceuse, et un personnage solide ancré dans la réalité de l’expérience féminine.
Et c’est en apprenant à devenir une femme différente pour chaque homme rencontré qu’elle apprend à devenir une femme différente pour l’industrie musicale déjà hypersexualisée.
Une des parties fortes du film survient lorsque Darren et ses ami(e)s se réunissent pour une soirée. Elle se trouve obligée de révéler comment elle gagne sa vie, et le débat prend feu. Au centre est la question de la prostitution. En étant payée pour son temps, est-ce de la prostitution? Elle ne couche pas avec les hommes. Aucune relation sexuelle et aucun attouchement ne font partie de l’entente, que les hommes respectent totalement. Alors : prostitution ou non?
Ces jeunes gens, début vingtaine, sont de gauche. Ils sont de cette même génération qui s’offusque facilement et qui refuse le débat. Certains mots ne doivent pas être utilisés, peu importe le contexte, et une féministe doit agir de telle façon, sans compromis. D’ailleurs, une des amies lui lance qu’elle fait reculer la cause des femmes de 50 ans. Cette amie qui reste à la maison alors que son copain la fait vivre. Mais ça, c’est de la prostitution? « Don’t tell me you never fuck him when you don’t really want it, because you feel you have too! » [Ne me dis pas que tu ne le baises jamais quand ça ne te tente pas, mais plutôt parce que tu te sens obligée de le faire!] La question se pose…
Sugar Daddy n’est pas une histoire d’ascension vers la gloire. C’est l’ascension d’une jeune femme vers la découverte de qui elle est. C’est le prologue solitaire, impitoyable, grotesque et inédit de la naissance d’une artiste; les débuts peu glamour d’une musicienne seule dans sa chambre, sans la validation d’un public, brûlant de vieilles habitudes pour trouver sa voix.
Je terminerai en laissant la parole à la scénariste et actrice principale :
« I’ve never been paid to go on a date, but hell, after trying to finance this film, I wish I had. In an industry that continually asks women to sing for their supper, a paid date would’ve been more straightforward than enduring the inevitable dance that inspired this film, forcing us to prove its thesis over and over again: everything is sugar daddy. » [Je n’ai jamais été payée pour un rendez-vous, mais bon sang, après avoir essayé de financer ce film, j’aurais aimé le faire. Dans une industrie qui demande continuellement aux femmes de chanter pour leur souper, une date payée aurait été plus simple que d’endurer l’inévitable danse qui a inspiré ce film, nous obligeant à prouver sa thèse encore et encore: tout est Sugar Daddy.]
Note : 9/10
Bande-annonce
Titre original : Sugar Daddy
Durée : 98 minutes
Année : 2020
Pays : Canada
Réalisateur : Wendy Morgan
Scénario : Kelly McCormack
Article minutieusement révisé par Révizio inc.
© 2023 Le petit septième