« Permettez-moi de vous donner un conseil : mariez-vous et faites des enfants »
New York, 1926. À une époque où les femmes – si elles ne restaient pas au foyer auprès de leurs enfants – exerçaient des métiers traditionnellement féminins, la jeune Antonia Brico pense bien au-delà d’une carrière comme simple secrétaire. Elle ne veut pas être celle qui reçoit des ordres, mais tout le contraire. Depuis toujours, elle rêve de devenir cheffe d’orchestre et elle est prête à tout faire afin d’atteindre son objectif.
Inspiré d’une histoire vraie, le film La chef d’orchestre, de la réalisatrice néerlandaise Maria Peters, brosse le portrait de cette femme aux aspirations inouïes, mais à l’ardeur exceptionnelle et montre son ascension internationale aux pupitres d’orchestre des grandes philharmonies, en 1930. Un chemin pavé de maints obstacles dans un monde dominé par les hommes…
Lorsqu’elle est une petite fille, les parents d’Antonia Brico immigrent aux États-Unis, « la terre des opportunités ». Ils y mènent une vie simple : le père travaille comme éboueur local, la mère est femme au foyer. Un vieux piano abandonné que le père ramène un jour du travail permet à l’enfant de plonger dans le monde de la musique, intérêt qui a été réveillé par les sons d’un orgue venant de l’église. Puisqu’elle n’a pas les moyens de payer des billets de concerts à la philharmonie, elle se rend le dimanche aux concerts gratuits en plein air, compare les partitions qu’elle connaît par cœur à la prestation des musiciens et essaie de jeter un coup d’œil aux grands chefs d’orchestre du moment en travaillant comme placeuse au théâtre le soir. Cela sans toutefois avoir le droit, comme simple employée, d’assister aux concerts. C’est pourquoi elle se glisse aux toilettes des hommes, endroit où elle est capable de suivre la musique et où elle dirige un orchestre invisible à l’aide d’une baguette asiatique. Convaincue qu’aucun des auditeurs n’oserait quitter un tel concert magnifique avant sa dernière coda, elle s’y croit seule et en sécurité. C’est alors que Frank Thomsen, un homme riche et influent dans le domaine de la musique, entre.
Bien sûr que ce Frank Thomsen deviendra « l’amour de sa vie », comme on le lit dans la plupart des critiques de film. Et Maria Peters semble, en effet, avoir pris plaisir à colorier et étoffer cette histoire d’amour, et à l’ajoutée à une biographie qui, sans elle, aurait pu paraître – banale? Moi, personnellement, j’aurais préféré l’histoire « plate » – d’une jeune femme défiant les limites que la société lui impose afin de réaliser son plus grand rêve, devenir la première cheffe d’orchestre au monde alors que, comme elle se le fait répéter sans cesse, les femmes « ne savent pas diriger » et doivent se résigner à leur place traditionnelle.
Au lieu de cela, nous assistons à une histoire d’amour du style hollywoodien qui sort le grand jeu et ne nous épargne aucun cliché. Au lieu d’un gant, c’est la baguette improvisée qu’Antonia Brico, surprise en flagrant délit, laisse tomber et que le gentilhomme, Frank, ramasse et lui redonne. Si elle lui bat froid lors de cette première rencontre qu’elle croit être la dernière, elle cèdera bientôt à l’attirance pour cet homme. Suit la danse obligatoire sous les étoiles et devant le décor d’un château somptueux, ensuite un premier baiser, renié par la dame qui s’en va en courant comme Cendrillon dans le conte de fées. L’ironie du sort : en rentrant chez ses parents, ceux-ci lui révèlent qu’elle n’est pas leur fille naturelle, mais qu’elle a été adoptée à l’âge de deux ans – son vrai nom : Antonia Brico, pas Willy Wolters (je vous ai épargné ce premier nom). Découverte qui engendre la deuxième action secondaire du film – celle de la quête identitaire de la protagoniste désireuse d’aller à Amsterdam afin d’y retrouver sa mère biologique…
Mais d’abord la musique : dérangée et humiliée par Frank durant ses répétitions personnelles, la jeune femme déterminée décide de sortir de sa cachette, rentre dans la salle de concert et s’assied sur une chaise pliante au premier rang, au beau milieu de la pièce et, surtout, devant tout le public outré, incluant son patron et le fameux chef d’orchestre Mengelberg. Disons simplement que cela aura été sa dernière soirée comme placeuse… mais pas sa dernière entrevue avec son idole. Afin d’être acceptée au conservatoire, elle prend des cours de piano avancés qu’elle finance en travaillant comme musicienne dans un show de travestie. Elle s’y lie d’amitié avec le contrebassiste délicat, Robin qui, lui, l’encourage à poursuivre son rêve inouï même si son professeur de piano, Monsieur Goldsmith, lui conseille : « mariez-vous et faites des enfants », car les femmes « ne savent pas diriger ». Pourquoi avoir donc accepté de gaspiller son temps avec elle? Eh bien, pour la baiser. Voilà le cliché du #MeToo obligatoire. Après cette tentative de viol, Antonia est exclue du conservatoire. Afin de trouver un nouveau mentor influent, elle fait du porte-à-porte auprès de Willem Mengelberg, sexiste comme tous les hommes, mais solidaire avec ses compatriotes néerlandais. Par son entremise, Antonia frappe à la porte de Karl Muck, chef d’orchestre allemand et l’implore, lui aussi, de lui enseigner. Comment? La formule magique est Albert Schweitzer, grande référence en musicologie : « Schweitzer a été assez fou pour abandonner sa musique pour une autre vie. Moi, je le suis assez pour abandonner ma vie pour la musique. Avec ou sans votre aide, je vais devenir chef d’orchestre, monsieur. » Et Muck conscend à l’initier à l’art de la direction. Quelques années après, elle est la première femme à diriger les grandes philharmonies en Europe et en Amérique…
Contrairement à ce que l’on pourrait croire quand on regarde le film de Maria Peters, le personnage historique d’Antonia Brico eut beau être confrontée au sexisme de la société de l’époque, elle ne fut pas démunie au point de s’accrocher à la moindre branche qu’un homme lui tendait afin d’accéder à une éducation musicale. En effet, Brico, qui grandit en Californie, étudia à Berkeley et devint l’assistante du chef d’orchestre Paul Steindorff à l’opéra de San Francisco bien avant de s’installer, après ses séjours en Europe, à New York. En plus, à l’inverse de ce que le film laisse présager, la carrière de Brico ne fut pas aussi linéaire. Il ne montre pas la frustration des années qui suivaient la réussite historique initiale, la frustration de ne jamais avoir obtenu de poste fixe, de devoir enseigner le piano afin de gagner sa vie… Certes, La chef d’orchestre est « inspiré d’une histoire vraie », mais c’est – à mon avis – une adaptation très libre des faits réels.
Christanne de Bruijn dans le rôle principal fait de son mieux pour interpréter cette femme historique et impressionne avec ses compétences de langues – elle joue les parties en anglais, en néerlandais et en allemand elle-même. Malheureusement, son jeu manque de raffinement et paraît trop théâtral, sa posture semble si tendue qu’on a l’impression que la baguette ne se trouve pas entre ses mains, mais dans son cul. Elle ne semble pas avoir étudié le matériel audiovisuel des archives qui montrent la mimique et la gestualité de la vraie Brico au pupitre, comme le documentaire « Antonia : A Portrait of the Woman » des années 1970 de Jill Godmilow et Judy Collins, point de départ, d’ailleurs, des recherches de Maria Peters. De Bruijn, héroïne hollywoodienne ravissante, mise sur la force d’expression de ses beaux grands yeux, mais je doute que cela suffise pour diriger un orchestre… Sensationnelle, par contre, la prestation subtile de Scott Turner Schofield dans le rôle de Robin, qui – pour moi – était la raison pour laquelle j’ai regardé le film jusqu’à la fin.
Si on peut discuter de la réussite de l’adaptation de Maria Peters au niveau du choix des acteurs et du rapport aux faits réels, la réalisatrice maîtrise parfaitement son métier. Elle sait raconter des histoires auxquelles on peut s’identifier et les transposer au médium du film à l’aide d’une esthétique convaincante. Grâce à un décor historique et à certains effets de lumière, elle arrive à ressusciter la période des « Golden Twenties » des années 1920. Les contrastes clair/obscur font en sorte qu’Antonia, filmée au pupitre ou sous des arcades, paraît comme une déesse, jeu esthétique excellent qui trouve son point culminant lorsque le mariage de Frank et le concert d’Antonia sont mis en parallèle : la mariée en robe blanche, figure de la « bonne » femme, et Antonia habillée en noir, femme « dégénérée ».
En fin de compte, malgré ses faiblesses, je vous recommanderais d’aller voir La chef d’orchestre de Maria Peters puisqu’il présente une version possible de la femme pionnière dans l’histoire de la direction, peu connue dans la conscience de la plupart des gens. Si vous aimez, en plus, les grandes histoires d’amour du type hollywoodien, vous allez adorer ce film. Si vous tenez à un peu plus d’authenticité, vous risquez d’être un peu déçu.
Note : 6/10
Bande-annonce
Titre original : De dirigent
Durée : 137 minutes
Année : 2018
Pays : Pays-Bas
Réalisateur : Maria Peters
Scénario : Maria Peters
© 2023 Le petit septième
Inadmissible ces commentaires sur l actrice principale qui je trouve à très bien interprétée son rôle
Choquer également de prétendre et je site :’d avoir la baguette dans le cul ´
Inadmissible ses commentaires vulgaires et déplacés
Pascal Marchant
je viens de regarder ce merveilleux film et j’en suis émue aux larmes.
est-ce que Antonia et Frank ont vécu leur amour finalement ? ou cette partie n’était que pure fiction ?😅