My Salinger Year – L’école buissonnière

« You’re a writer, Joanna, aren’t you ? Not an agent, not a secretary, a writer »
[Tu es une auteure, Joanna, non? Pas une agente, pas une secrétaire, une auteure.]

My Salinger Year - affichePour son huitième long métrage, le toujours charmant Philippe Falardeau s’attaque à l’adaptation de My Salinger Year (2014), mémoires de l’auteure Joanna Rakoff relatant son année 1995, qu’elle a passé à l’emploi d’une prestigieuse agence littéraire chargée de représenter le mythique J.D. Salinger. Alors assistante, Rakoff devait répondre aux dizaines de lettres adressées à l’écrivain, un personnage mystérieux ayant passé sa vie reclus. Le film, une coproduction irlando-québécoise, a eu l’immense honneur d’ouvrir l’édition 2020 de la Berlinale peu avant le début de la pandémie, qui a retardé sa sortie en salle jusqu’à maintenant. 

Je suis un grand admirateur de Philippe Falardeau. J’apprécie son humour qui rend ses films si vivants, l’inventivité de ses scénarios, la finesse de sa direction d’acteurs et, surtout, le regard si chaleureux, si profondément humain qu’il porte sur le monde. Ses films, comme La moitié gauche du frigo, Congorama, C’est pas moi je le jure et M. Lazhar se démarquent facilement de la chronique familiale régionaliste ou de la comédie banlieusarde à peine digne de la télévision qui ont trop souvent défini le cinéma québécois des dernières années. Falardeau a aussi su résister à la tendance moraliste-progressiste qui semble gagner de plus en plus d’auteurs québécois récemment. Cela fait du bien de voir un cinéaste qui préfère encore faire rire avant de faire la leçon. 

Classicisme

Toutefois, le style de Falardeau a un peu le défaut de sa qualité, en ce sens qu’il lui arrive d’être presque trop léger, trop…feel good. C’est le sentiment que j’avais devant Guibord s’en va t’en guerre et c’est aussi l’impression que me laisse My Salinger Year. Le long-métrage est à ce point classique et dépourvu de toute aspérité qu’il finit par perdre un peu de sa personnalité. Je pourrais m’attarder sur chaque élément du film pour en dire du bien. Je pourrais vanter les images lisses, les couleurs chaudes et les amples mouvements de caméra parfaitement exécutés de la direction photo de Sarah Mishara. Je pourrais aborder la beauté des mélodies de piano qui viennent rythmer le film, je pourrais vanter le scénario bien construit de Falardeau, avec ses allusions littéraires astucieuses, son portrait de New York digne de Allen ou Baumbach et son intégration subtile du personnage de Salinger. Je pourrais m’attarder sur tout cela, mais cela ne rendrait pas ma critique très pertinente. C’est là le défi de s’attaquer à des œuvres parfaitement équilibrées, où rien ne dépasse. L’expérience de visionnement est très agréable, mais il est difficile d’en retenir quelque chose en particulier. 

My Salinger Year - Classicisme
Karl (Hamza Haq) et Joanna (Margaret Qualley) Photo: Philippe Bosse

Plus d’un tour dans son sac

Heureusement, Falardeau a encore quelques idées pour rendre son long métrage marquant. La direction des comédiens est magistrale. Sigourney Weaver est au comble de son talent dans le rôle de cette patronne bourrue et anti-technologie. Les quelques apparitions de Colm Feore, en poète à la fois ténébreux et bienveillant, font partie des moments forts du film. Règle générale, on sent une véritable chimie entre les membres de la distribution, ce qui permet de rendre habilement les scènes comiques, comme les scènes dramatiques, qui, si elles sont classiques, ne tombent pas pour autant dans le mélodrame. Certains critiques ont décrit le jeu de l’actrice principale, Margaret Qualley, comme étant limité et maladroit. Je n’ai pas eu cette impression. Le jeu de la comédienne, entre le doute et le positivisme un peu forcé, me rappelait un peu celui de Greta Gerwig dans Frances Ha. Le montage, image comme sonore, est un autre point fort du film, le travail sur les transitions et les jeux avec la voix off sont assez bien réussis. 

My Salinger Year - Tour dans son sac - Sigourney Weaver as Margaret and Margaret Qualley as Joanna
Margaret (Sigourney Weaver) et Joanna

L’aspect le plus réussi de l’ensemble est sans nul doute l’intégration des fans de Salinger dans le récit principal. Un peu comme Arnaud Desplechin, Falardeau choisit de montrer les personnages récitant, face à la caméra, le contenu de leurs lettres. Alors que ces missives commencent à occuper de plus en plus de place dans l’esprit de la protagoniste, les personnages qui les ont écrites commencent à la suivre, presque comme des fantômes, et même à interagir avec elle, à lui donner des conseils. Avec ces fantaisies de mise en scène, on reconnait le Falardeau des premiers films. En bref,  My Salinger Year est un coming of age assez typique, qui présente l’éternelle hésitation de l’aspirant artiste entre la vie rangée et la création. La mise en scène témoigne d’une certaine maitrise et, à certains moments, d’une indéniable originalité et donne toute la place à une distribution de grand talent. Au final, si Falardeau a connu de plus grands triomphes, il ne déçoit pas le moins du monde. 

Note : 7/10

Bande-annonce :

Fiche technique : 

Titre original : My Salinger Year
Durée : 101 minutes
Année : 2020
Pays : Canada (Québec) et Irlande
Réalisateur : Philippe Falardeau
Scénario : Philippe Falardeau

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