2020 – Un excellent millésime

Exercice périlleux mais passionnant de faire le top 5 des meilleurs films de 2020 ! Etrangement, l’année a été riche en découvertes cinématographiques, en dépit du contexte de la pandémie qui a fragilisé énormément l’industrie du film et ses acteurs : les festivals, les artistes, les sociétés de production et de distribution, sans oublier les salles de cinéma. Devant les rideaux fermés de mes cinémas favoris, j’ai dû me résigner à voir presque exclusivement les nouveaux films sur les plateformes mises à disposition par les festivals de cinéma qui ont redoublé d’ingéniosité et de créativité afin de maintenir leur édition contre vents et marées.

Parmi la centaine de nouveaux longs métrages vus cette année, j’ai sélectionné 5 titres qui mettent à l’honneur aussi bien la diversité cinématographique que les combats humains et les injustices sociales qui sévissent dans le monde : 5 films dont 3 sont réalisés par des femmes.

Voici donc mon top 5, avec une seule promesse : des grands films à découvrir !

5 – The Earth is blue as an orange (Iryna Tsilyk) – Ukraine – Documentaire

the_earth is blue as an orangeVoici un étonnant documentaire qui a été présenté dans la section « Survivre à la violence » proposée par les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal, après avoir remporté le Prix de la mise en scène dans la catégorie Documentaires Internationaux au festival du film de Sundance. Réalisé par Iryna Tsilyk dont c’est le premier long métrage, The Earth is blue as an orange s’attaque aux conséquences de la guerre du Donbass, dans l’Est de l’Ukraine, sur une famille qui est restée dans la zone de guerre et qui entreprend la réalisation d’un film de fiction pour exorciser les traumatismes du conflit.

Véritables séances de thérapie de groupe, les scènes de tournage permettent aux enfants et à la mère de revivre ou mimer la peur, à la lueur d’une bougie, dans l’abri anti-obus. Cette couche de fiction qui emprunte à la vraie vie est très souvent perturbée par les bruits de mortiers et d’armes automatiques dans le hors-champ sonore. Sur ce petit bout de terre embourbé par des années de guerre et de souffrance humaine, le cinéma remplit humblement sa mission en tant que forme artistique représentant le monde et créant par un geste aussi miraculeux que courageux de la vie et de l’espoir sur un champ de cadavres et de tirs.

4 – Moving on (Yoon Dan-bi) – Corée du Sud – Fiction

Moving-On-Perturbations-familialesMoving on a été diffusé pour la première fois au Canada par le VIFF, le Vancouver International Film Festival, après avoir remporté plusieurs prix aux derniers festivals de Rotterdam et de Busan. Si le film déploie en apparence une mise en scène simple, c’est pour mieux scruter la cellule familiale : une famille sud-coréenne imbriquée aussi bien dans les aléas de la vie que dans les traditions du pays. La réalisatrice Yoon Dan-bi s’attache à faire vivre des relations intergénérationnelles dans un quotidien où l’harmonie est perturbée par les conséquences sur les enfants d’un divorce mal digéré, de la dépendance sociale d’un être cher et d’un manque d’empathie de la part des adultes. L’intelligence du film est de parsemer cette sombre chronique familiale de notes et de digressions comiques, proposant alors un savoureux mélange de genres.

C’est dans cette peinture sobre d’une famille déboussolée mais qui se reconstitue que Moving on nous emmène : là où culminent beauté formelle et pureté des relations humaines, passant d’un état à un autre, de la vie à la mort, de l’adolescence à l’âge adulte. Signant ce magnifique premier film, du côté du regard des enfants, une cinéaste très prometteuse est née pour notre plus grande joie.

3 – Inconvenient Indian (Michelle Latimer) – Canada – Documentaire

InconvenientIndianPrésenté au TIFF où il a remporté le prix du public dans la catégorie Documentaire, Inconvenient Indian était très attendu. La réalisatrice Michelle Latimer a eu l’audace d’adapter le livre de Thomas King, connu pour ses écrits sur les Premières Nations dont il se veut l’ardent défenseur. Son livre sert de fil rouge à la cinéaste : une aubaine pour cette documentariste et militante autochtone. Elle embarque dans son film Thomas King et en fait son narrateur. Installé confortablement dans un taxi jaune vintage, conduit par une femme qui arbore une tête de loup, il parcourt les terres colonisées, au cœur des rues animées de Toronto où s’élèvent des gratte-ciels, là-même où il y a 10 000 ans les peuples amérindiens s’étaient établis.

Michelle Latimer signe un film coup de poing, d’une intensité rare dans le cinéma canadien traitant des Premières Nations. Rappelant le passé colonial de son pays, la quasi-disparition de sa culture et la fabrication du stéréotype de l’homme sauvage, elle montre des voies possibles pour résister, avancer et inventer un monde nouveau autochtone. Elle a le courage de mettre au défi le Canada dans sa recherche inépuisable de son identité. Et elle le fait admirablement bien. Un coup de maître.

2 – True North (Eiji Han Shimizu) – Japon, Indonésie – Animation

True NorthVoilà une véritable pépite qui révèle toute la puissance du cinéma d’animation et sa force évocatrice de représenter ce qui ne peut être montré. Alors que les autorités nord-coréennes ont rompu les liens diplomatiques avec presque le monde entier, qu’elles contrôlent et terrorisent la population dans le grand secret, le cinéaste japonais d’origine coréenne Eiji Han Shimizu a fabriqué de façon magistrale un huit clos dans un camp de travail forcé pour les prisonniers politiques.

On suit les aventures d’un jeune garçon qui apprend à survivre dans des conditions extrêmement difficiles, entre le travail à la mine, la brutalité des gardes, la faim et l’épuisement. Du statut de victime à celui de tortionnaire, son parcours, s’il est discutable, est profondément humain pour assouvir les besoins de sa famille en péril. Loin du romanesque du studio Gibby ou de la candeur des films de Walt Disney, le réalisme époustouflant de l’animation et de la bande sonore évoque tout aussi bien l’esthétique du film noir que du cinéma documentaire d’investigation. Mais derrière cette histoire sombre et éprouvante, le réalisateur a eu la brillante idée d’introduire de la poésie telle une échappatoire par la puissance du rêve et de la rébellion. Avec True North, vous serez sidéré de voir ce dont est capable le cinéma d’animation.

1 – There Is No Evil (Mohammad Rasoulof) – Iran – Fiction

ThereIsNoEvil_Bravant la censure, le cinéaste Mohammad Rasoulof signe un brûlot politique, magistralement réalisé, et met un coup de projecteur sur la situation inquiétante dans son pays. Acte courageux ? Absolument, quand on sait que le réalisateur a été interdit de sortie du territoire et n’a pas pu se rendre à la Berlinale où son film a remporté l’Ours d’Or, pour cause de « propagande contre le régime iranien » et « atteinte à la sécurité ».

There is no Evil est composé de quatre histoires reliées par de mêmes dénominateurs communs : la peine de mort, le service militaire forcé et les exécutions obligatoires faites par les jeunes recrues bizutées. Mohammad Rasoulof s’intéresse aux dégâts causés par les lois iraniennes sur les individus lambda et leurs familles. La désobéissance, la peur, le secret et le sacrifice hantent et rongent ses personnages. Ces vies brisées il y en a eu, il y en aura encore, dans un pays où la peine capitale court toujours. Tuer ou fuir : c’est le triste dilemme auquel ont été ou sont confrontés les héros du film. Quand le cinéma devient gênant et interdit, il en devient encore plus beau en déstabilisant ses détracteur et censeurs. Un chef d’œuvre qui fait froid dans le dos.

***

D’excellents films ne sont pas cette liste, mais il a fallu faire des choix… Je pense en particulier à : 1982 (Oualid Mouaness, Liban, Drame) ; Atlantis (Valentyn Vasyanovych, Ukraine, Drame) qui a remporté la Louve d’or au Festival du Nouveau Cinéma ; This is not a burial, it’s a resurrection (Lemohang Jeremiah Mosese, Lesotho, Drame) ; En route vers le milliard (Dieudo Hamadi, République Démocratique du Congo, Documentaire) ; Beauty Water (Cho Kyung-hun, Corée du Sud, Animation) ; Limbo (Ben Sharrock, Angleterre, Comédie dramatique) ; Here we are (Nir Bergman, Israël, Comédie dramatique) ; Pieces of woman (Kornél Mundruczó, Canada, Drame) qui a obtenu le Prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise pour Vanessa Kirby (le film sera disponible sur Netflix à partir du 7 janvier 2021) ; Beans (Tracey Deer, Canada, Drame historique) qui a remporté le Prix du Public au TIFF ; 180° Rule (Farnoosh Samadi, Iran, Drame) ; Home games (Alisa Kovalenko, Ukraine, Documentaire) ; Nomadland (Chloe Zhaho, USA, Drame) avec Frances McDormand, Lion d’Or à la Mostra de Venise ; L’homme qui cherchait son fils (Correa Stéphane et Deloget Delphine, France, Documentaire) ; Jiyan (Süheyla Schwenk, Allemagne, Drame).

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