Les Femmes du soleil : une chronologie du regard – La révolution filmée

     « On dit aux femmes du village : Ne vous sous-estimez pas. Persévérez. »

Le Petit Septième couvre en ce moment les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) qui se tiennent en ligne jusqu’au 2 décembre. Dans la section « Contester le pouvoir » est présenté le documentaire franco-iranien Les Femmes du soleil : une chronologie du regard.

Le point de départ du film est prometteur : le cinéaste iranien Hamed Zolfaghari procure une caméra à un groupe de femmes au moment où elles fondent une coopérative visant à contrôler chaque étape de la fabrication et de la vente de leurs produits artisanaux. Elles filment alors leur émancipation, leur combat féministe et s’approprient leur histoire sous le regard consterné de certains villageois conservateurs.

La révolution en marche

Femmes du soleil - La révolution en marcheTransformées en journaliste reporter d’images, les jeunes femmes se baladent avec une petite caméra numérique quelque part dans la province du Kerman au sud-est de l’Iran. Tantôt dans leur village, tantôt sur la colline abritant un qanat traditionnel (ouvrage destiné à la captation d’une nappe d’eau souterraine et l’adduction d’eau vers l’extérieur), tantôt sur les terres arides agricoles, tantôt sur un site historique, lieu idéal pour vendre leurs créations artisanes à des touristes, elles occupent l’espace public, interagissent avec les touristes, les habitants et les ouvriers. N’est-ce pas la clé du pouvoir d’investir ainsi leur territoire ? La caméra devient une arme, ou du moins un bouclier protecteur, un médium qui permet de faciliter les échanges, donner une raison pour dialoguer avec l’autre et prendre l’ascendant sur la gente masculine parfois, ce qui est loin d’être acquis dans un pays très frileux au niveau du droit des femmes.

Dans ce tissu local campagnard, loin de Téhéran, la jeune génération féminine souffre en effet des traditions et des coutumes qui pèsent sur elle et la privent de libertés individuelles : liberté d’expression, d’étudier, de circuler, de se regrouper, etc. C’est donc avec beaucoup de convictions et de persévérance que ce groupe de femmes du nom de Gojino a pu se constituer et prendre son destin en main en fabriquant et vendant des objets artisanaux sans l’entremise des hommes. Dans un geste audacieux, ces jeunes femmes profitent de la création de leur collectif pour défendre les droits des femmes, s’engager politiquement dans leur communauté en finançant la rénovation d’un qanat indispensable pour leur village et l’agriculture locale. Pourtant, bien que leurs actions soient bénéfiques, elles font figure de marginales ou dérangent aux yeux de la plupart des habitants qui ne sont pas habitués par ces prises de paroles, ces prises de décisions, cet investissement de la part des femmes. 

C’est dans ces moments-là que le film prend son envol et est le plus convaincant : lorsqu’il est subversif, lorsque le ton des jeunes femmes devient insolent – car elles n’ont pas leur langue dans leur poche. A la mosquée, devant un groupe d’hommes, l’une d’elles tient un discours aussi courageux que révolutionnaire : « Les femmes ne doivent pas se sous-estimer. Pourquoi une femme doit supporter tous les fardeaux de la vie, élever les enfants, s’occuper de la maison et de leurs maris ? » Silence dans l’assemblée.

Film d’atelier ?

Les femmes du soleil - Film atelierFilm collaboratif entre les membres du collectif féminin et un réalisateur, le projet est beau sur papier et renvoie à la figure du cinéma militant des années 1970 lorsque des cinéastes établis se rendaient dans les usines faire des films avec les ouvriers. Cependant, ces expériences marxistes donnaient souvent naissance à des films qui ne brillaient pas par leur qualité artistique. 

Les Femmes du soleil : une chronologie du regard déçoit aussi parfois du côté de la réalisation. Le cinéaste alterne les plans filmés par les jeunes femmes avec ses propres images. Il colle un peu trop à ses personnages et à leur tentative de s’exercer à la caméra. Pour gagner davantage en force et en dramaturgie, le film aurait mérité à prendre un peu plus de hauteur et de recul. Il manque sans doute de la poésie à cette histoire et un point de vue d’auteur. Sur le plan de la mise en scène, le film ne dépasse pas toujours le cadre de l’exercice, de l’atelier artistique. Certains plans sont tournés avec les défauts d’un premier exercice d’initialisation à la prise de vue : zooms à répétition, images mal cadrées, longueurs. L’ensemble paraît un peu brouillon et pas suffisamment écrit et structuré. Est-ce la limite d’un projet artistique collaboratif ? 

La projection du film réalisé par les jeunes femmes, qui a lieu à la mosquée, en présence des hommes, est en soi une mini révolution. Les apprenties réalisatrices sont là, épanouies et fières. Il y a de quoi tant leur démarche est exemplaire. Mais pour une raison mystérieuse, le débat qui suit la projection est coupé au montage. Elles racontent les discussions qui se sont déroulées en prêtant des réactions aux hommes que l’on n’a pas entendues : effet artificiel voire scolaire qui questionne finalement la réalité même de ce qui s’est dit après la projection.

Le regard de l’homme

Les femmes du soleil - Le regard des hommes
Avoir le point de vue réservé aux homme

Il faut souligner que le film est le résultat du regard que porte un homme cinéaste sur des femmes qui font la révolution. Leurs aventures peuvent apparaître relativement édulcorées car, si le militantisme est de vigueur dans certaines scènes, le projet avec ses participantes n’existe que parce que les maris ont donné au préalable leur autorisation (c’est du moins ce que les jeunes femmes indiquent à la caméra). N’est-ce pas une contradiction par rapport aux idées progressistes et féministes qu’elles s’efforcent de diffuser ? Est-ce la limite d’un projet de film réalisé par un homme sur des femmes qui rêvent d’émancipation et d’un monde meilleur ? Une femme cinéaste aurait sans doute pu aller plus loin, voire aller au bout de ce projet féministe. Car le réalisateur Hamed Zolfaghari reste muet sur ces questions sociétales, il n’accompagne pas suffisamment ses personnages à se révolter contre leur propre sort ou contre l’autorité des maris. 

En effet, le défi que tentent de relever les jeunes femmes protagonistes, c’est de questionner et bouleverser le modèle traditionnel du patriarche. Mais le cinéaste n’effleure que ce vent révolutionnaire; il laisse échapper l’essence même de la désinvolture. L’émancipation de ces jeunes femmes courageuses, que l’on a envie à chaque instant d’applaudir et de soutenir, lui échappe, comme les papillons que nous cherchons à capturer mais qui filent à travers nos mains maladroites pour rejoindre le pays de la liberté. 

Note : 6,5/10

Bande-annonce

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2023 Le petit septième