« Your soul is outside of you and you must claim it. »
[Ton esprit est à l’exterieur de toi et tu dois le réclamer.]
Clint (Willem Dafoe) est un homme psychologiquement endommagé qui s’est retiré dans une cabane de montagne sibérienne, isolée, où il espère retrouver la sérénité. Il dirige un café modeste fréquenté par les rares voyageurs et quelques personnes originaires de la région. Mais même dans son isolement relatif, il ne peut ni trouver la paix ni s’échapper. Lors d’une soirée fatidique, pour se confronter à lui-même, il entame un voyage en traîneau à chiens dans le monde qu’il a connu autrefois. Il voyage à travers les rêves, la mémoire et l’imagination pour tenter de trouver sa vraie nature.
Avec Siberia, Abel Ferrara amène le spectateur dans un univers de poésie métaphysique. Avec son nouveau film, le réalisateur de Pasolini nous traîne dans un enfer cru et incroyablement déstabilisant.
Siberia nous transporte dans ce genre de monde à la Jack London, avec des chiens, des rencontres inattendues, des arrêts le long d’un voyage qui ont été définis par ces lieux et ces moments extrêmement différents.
Plutôt que d’avoir essayé d’écrire un scénario parfait, Ferrara a choisi de collecter des images et de puiser dans la mémoire, de défier notre réflexion, de créer une expérience marquante suffisamment vraie et transparente pour qu’elle résonne auprès d’un public averti. Il met dans son film une quantité de choses parfois difficiles à expliquer, mais toujours intéressantes à voir car, élémentairement cinématographiques. Son nouveau film s’inscrit en continuité profonde avec l’oeuvre du réalisateur qui amène son public de plus en plus loin dans l’obscurité, et ce depuis son tout premier film.
Abandonnant donc tout ce qui se rapproche d’un récit conventionnel, Siberia se déroule plutôt comme une série d’attaques tactiques contre les sens et les sensibilités du spectateur.
Willem Dafoe (muse / avatar préféré de Ferrara depuis plus d’une décennie et reconnu internationalement pour avoir apporté polyvalence, audace et créativité à certains des films les plus emblématiques de notre époque) sert consciencieusement des boissons et descend dans un monde sombre dans lequel ses souvenirs et ses fantasmes se confondent. Il se lance dans une odyssée métaphysique à travers un paysage de rêves peuplés de nains nus, de femmes enceintes, de chamans, de victimes des camps de la mort et de sosies.
L’acteur n’en est pas à son premier rôle de personnage tourmenté. Il est ce qui se rapproche le plus de l’acteur génie. Ici, il offre une performance presque aussi marquante que celle qu’il avait offerte dans Antichrist. Il interprète merveilleusement bien cet homme qui veut tant la paix, mais qui est incapable de s’éloigner de ses démons.
La scène dans la grotte, dans laquelle des femmes nues dansent et se déplacent de façon macabre est un des beaux exemples du talent que possède l’acteur. Comment ne pas surjouer ce genre de scène alors que les autres personnages sont complètement décalés et qu’il doit pour sa part rester impassible? Perdu dans l’incompréhension, mais blasé. Simplement sublime…
Siberia est certainement du Ferrara dans sa forme la plus pure, noyant les téléspectateurs dans une imagerie puissante et une poésie brute tirée de la psyché tourmentée de l’un des plus grands fous du cinéma moderne.
Alors si vous n’avez pas peur de participer à une expérience atypique du cinéma, embarquez dans cette aventure. Mais soyez averti : vous serez saisi et chahuté.
Note : 8.5/10
Bande-annonce
Siberia est présenté au VIFF du 24 septembre au 7 octobre 2020.
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