« Cette humanité qu’a mûrie la femme dans la douleur et l’humiliation verra le jour quand la femme aura fait tomber les chaînes de sa condition sociale. Et les hommes qui ne sentent pas venir ce jour seront surpris et vaincus. »
Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, 1904.
Tenir son foyer et se plier au devoir conjugal sans moufter : c’est ce qu’enseigne avec ardeur Paulette Van Der Beck dans son école ménagère. Ses certitudes vacillent quand elle se retrouve veuve et ruinée. Est-ce le retour de son premier amour ou le vent de liberté de mai 68? Et si la bonne épouse devenait une femme libre?
Martin Provost, un homme, choisit de faire un film sur la naissance du mouvement féministe. Bravo! Particulièrement aujourd’hui où, en tant qu’homme, on a constamment l’impression de marcher sur des œufs si on se prononce sur des sujets féministes. Mais, dans les faits, c’est plutôt Juliette Binoche qui porte le sujet sur ses épaules dans La bonne épouse. Car c’est à travers elle que le film nous fait assister au virage historique des femmes en 68.
La bonne épouse nous plonge directement dans les années soixante en Alsace, une région dont la distance géographique de Paris était plus marquée à cette époque: elle appartenait à ce que l’on appelait alors la province, ancêtre de l’expression en région qui l’a remplacée depuis.
Comme l’écrivait l’historienne Rebecca Rogers :
« L’éducation ménagère est le symbole d’un monde social où les femmes sont clairement inférieures aux hommes, vouées à la gestion intérieure, laissant au sexe fort la gestion de la chose publique. »
Il y avait plus de mille écoles ménagères en France à cette époque. Celle de Paulette, petite et éloignée de la ville, est catholique et fréquentée par des jeunes filles de bonnes familles. Le personnel se compose de Paulette et de son mari, de Gilberte, la sœur de ce dernier et de Sœur Marie-Thérèse. Les jeunes filles d’environ 15 ou 16 ans dorment en dortoir, apprennent quotidiennement qu’elles devront obéissance à leur futur mari et se conformer à différentes activités qui feront d’elles de bonnes épouses comme le repassage, la cuisine et le devoir conjugal: « La puériculture, l’hygiène alimentaire, la cuisine, l’entretien de la maison, le blanchissage, le repassage, l’entretien des vêtements, la couture, divers travaux manuels dont le jardinage, éventuellement l’élevage, etc. »
Mais on sent que, déjà, il y avait de la graine de révolution dans l’air. Les jeunes protagonistes mises en scènes dans le film n’ont pas un intérêt très soutenu à envisager un avenir qui leur interdit d’être intelligentes, douées et libres. Très intéressant de porter un regard, en 2020, sur ces années pas si lointaines où féminisme, lesbianisme, ou leadership féminin ne faisaient pas partie de la norme. Le film présente le handicap majeur d’une société sans les femmes et met ainsi en évidence la nécessaire révolution féministe qui a profité de mai 68 pour avancer et ne plus jamais reculer.
Beaucoup de thèmes sont abordés comme le trousseau, la soumission, les femmes sous-hommes traitées par la justice comme des enfants, l’argent que l’on reçoit du mari c’est celui du ménage et enfin, la route de l’émancipation.
« À chemise impeccable, époux respectable! »
« Mains occupées, mauvaises pensées chassées! »
Tels étaient les slogans véhiculés par le programme d’éducation de cette école.
« La bonne épouse est avant tout la compagne de son mari, ce qui suppose oubli de soi, compréhension et bonne humeur. »
Jusqu’au jour où Paulette a besoin d’argent et que le directeur de crédit de la banque s’avère être nul autre que son premier amour (Édouard Baer). Comme la source coule et l’oiseau chante, la belle Paulette, malgré les barrières morales qu’elle enseigne, va succomber à l’amour et au plaisir non soumis.
Le film La bonne épouse ne ménage rien pour nous ramener à cette époque d’Adamo et de Joe Dassin. Un jour, Paulette poussera l’audace jusqu’à porter un pantalon, imaginez!
Un très bon film avec une Juliette Binoche convaincante et drôle par moments, mais… le film chute lorsque l’école organise un voyage à Paris. On est en mai et en 68… Le moment est hyper important, mais le réalisateur a choisi de garder une distance avec Paris en tournant un genre d’allégorie où les jeunes filles suivent Paulette sur la route avec des danses chorégraphiées, d’où elles scandent le nom des femmes qui ont contribué à la révolution féministe comme Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir, Marilyn Monroe, Marie Curie, etc etc… « Mère ou putain, pourquoi choisir?… Je veux jouir!… »
Il y a coupure dans le genre, le propos (face aux jeunes, Paulette passe de l’autoritaire directrice à la cool protestataire dans la rue…) et dans l’action. Je comprends qu’il était nécessaire d’illustrer le changement que mai 68 a apporté, mais je ne pense pas que ce soit très réussi au point de vue cinématographique.
Dommage, La bonne épouse demeure un film à voir, mais le spectateur risque de décrocher comme moi lorsque le déroulement devient un autre film-chorégraphie.
8.5/10
Bande-annonce
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