Fisherman’s Friends – Et vogue le navire…

« What Shall We Do With the Drunken Sailor? »

Fisherman's Friends - afficheDanny, un producteur de musique londonien branché et peu scrupuleux se rend en Cornouailles pour un enterrement de vie de garçon. Quand son patron et ami lui lance le défi de faire signer un contrat aux pêcheurs du coin pour un album de chants de marins, Danny tombe dans le panneau. Bien loin de ses repères citadins, il tente tant bien que mal de gagner la confiance de cet improbable boys band, qui accorde plus d’importance à l’amitié qu’à la fortune et la célébrité.

Inspiré d’une histoire vraie, Fisherman’s Friends, du nom du chœur folklorique de pêcheurs anglais, relate l’ascension improbable et édulcorée vers le hit-parade d’un groupe musical issu du comté de Cornouailles, dans le sud-ouest de l’Angleterre en 2010.

La promesse d’un réalisme social britannique

Fisherman's Friends - La promesse de réalisme socialFisherman’s Friends ouvre sur une belle promesse : sur des chants folkloriques, un plan aérien filmé par un drone nous emmène lentement dans un endroit pittoresque, presque féérique, une petite bourgade nichée sur des falaises qui se jettent dans une mer agitée. Chris Foggin décide de tourner son film sur les lieux mêmes où le groupe de pêcheurs est né avant de connaître du succès. L’intention est noble et l’attente de la rencontre avec les gens du coin est grande : des pêcheurs membres d’un chœur folklorique, ce n’est pas anodin.

La promesse qui en découle est celle d’un cinéma social, cher au cinéma anglais, que l’on a pu voir dans les grands films de Ken Loach ou de Mike Leigh dont les héros sont souvent des gens sans histoire, des gens que la société néglige, rejette ou maltraite (on se souvient du beau Moi, Daniel Blake). La rédemption, le combat pour la justice sociale et pour sa propre dignité, le pardon et la tolérance animent ces personnages venant du terrain, de la comédie (Another Year) au drame (Raining Stones).

Quand on découvre les pêcheurs du port Isaac, avec leur accent, leur langue (le cornique), la dureté de leur vie, quand des Londoniens prétentieux d’un label musical débarquent dans le port et se moquent des prolétaires et de leur culture musicale, Fisherman’s Friends semble s’engouffrer dans le cinéma social pour notre plus grand plaisir, en prenant les contours d’un film de classes. 

Loin de The Full Monty (Le Grand Jeu)

Cependant, la lourdeur du scénario, des dialogues et des gags émanant des personnages londoniens rend le film trop manichéen, lui ôtant toute finesse dans la confrontation des deux classes. C’est la limite et aussi l’une des déceptions du film: cette promesse d’un cinéma social allant sur les terres des grands cinéastes britanniques n’est pas tenue, tant la prévisibilité des scènes est navrante tout autant que l’histoire d’amour à l’eau de rose entre la fille d’un des pêcheurs et le gars de la ville. 

Fisherman’s Friends navigue entre plusieurs genres, la comédie potache (Lendemain de veille), la comédie sentimentale (Le Journal de Bridget Jones), le film social (The Navigators) et le film musical (The Full Monty), mais aucun n’est traité avec une réelle maîtrise. Le résultat en est bancal, malheureusement. Face à un mastodonte réalisé il y a plus de vingt ans, The Full Monty, Fisherman’s Friends fait pâle figure.

Hollywood dans les Cornouailles

Fishermans Friend - Hollywood à CornwallLa phase d’exposition donne une vive impression que l’on a raté un épisode: tout va trop vite, on ne fait pas suffisamment connaissance avec les pécheurs et l’arrivée, trop tôt dans le film, de la bande de copains en provenance de Londres perturbe la construction des personnages des pêcheurs, braves et attachants, interprétés par de bons acteurs, le casting étant réussi de ce côté-là. 

Le point de vue du film est biaisé. On pouvait s’attendre à un film fait de l’intérieur, du point de vue des pêcheurs, avec des scènes dans lesquelles la musique effaçant le labeur ressoude la communauté, des scènes où la réalité sociale et la tradition transparaissent derrière une envie commune de faire un projet musical. Mais le film tient à distance tout effet documentarisant tout comme la vie des pêcheurs de Cornouailles. Il penche du côté des puissants: le héros du film n’est pas pêcheur mais Londonien et découvre mièvreusement la beauté du terroir et des « petites gens ».

Le film commence trop tard. On aurait voulu suivre les balbutiements du groupe, ses origines, les motivations de ses membres. Le film s’arrête trop tôt : le carton de fin annonce le succès du groupe au hit-parade. Il aurait été pourtant si intéressant de suivre les pêcheurs pendant et après la tournée de concerts. Le film coupe l’herbe sous le pied au parcours d’une classe populaire propulsée par l’industrie de la musique dans le monde mondain et du divertissement. 

Fisherman’s Friends n’arrive pas à rendre crédible son histoire, pourtant tirée d’une histoire vraie. Embourbée dans des scènes trop prévisibles et potaches (bien sûr le Londonien est malade sur le bateau, bien sûr il y a une romance entre des personnages venant de classes opposées), cette mise en scène édulcorée atteint son paroxysme avec l’ajout d’une musique lancinante qui ajoute du pathos artificiel aux scènes romantiques. Pourtant, la musique est là, tout près, avec les chœurs des pêcheurs pas suffisamment exploités. Effet curieux de mise en scène, certaines parties chantées sont accompagnées d’instruments qui ne sont pas visibles à l’écran. 

***

Dépourvu de réalisme social et de poésie, le film devient presque une coquille vide, dispersant une vision du monde simpliste, une leçon de vie passée de mode, à la recherche d’un happy end tant attendu. Loin de la folie d’un Good Morning England ou d’un Hot Fuzz (Super flic), il manque beaucoup d’imagination à Fisherman’s Friends pour se hisser à la hauteur de son sujet.

Note : 4,5/10

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