Dans le cadre du festival Vues d’Afrique, qui se tient du 17 au 26 avril 2020 et, exceptionnellement cette année, gratuitement sur les chaînes TV5-Unis, voici mes critiques de quatre courts métrages.
«Toutes les calamités – révolutions, guerres, persécutions – proviennent d’un à-peu-près… inscrit sur un drapeau. »
Emil Cioran
Il s’agit d’un premier court métrage pour Slim Behiba. L’action de Au pays de l’Oncle Salem se déroule à Ain Ragued en Tunisie en août 2013, soit deux semaines avant la rentrée scolaire. Salem, gardien de l’école, s’assure que tout soit en ordre pour le jour J.
Au moment de partir, il lève son regard vers le drapeau de la Tunisie, en lambeaux, flottant au vent. Salem, ira alors en ville en acheter un nouveau. En sortant de la boutique, il se trouve coincé au milieu d’une manifestation qui dégénère et il se fait arrêter.
Salem, un honnête homme, qui travaille avec engagement à restaurer l’école et qui respecte le drapeau de la Tunisie, se retrouve condamné injustement alors qu’il n’était aucunement impliqué dans le délit. Condamné à 14 jours de prison et à une amende de 150 dinars, il n’aura jamais l’occasion de terminer son travail.
Désabusé, il retournera à l’école le jour de la rentrée. Cet homme brisé, qui remet en question son engagement envers son pays alors qu’il hisse le drapeau, défraîchi, devant les enfants qui chantent l’hymne national de la Tunisie.
Au niveau visuel la blancheur immaculée des immeubles institutionnels est mise en avant, ainsi que le drapeau de la Tunisie qui est visible comme le nez au milieu de la figure dans une harmonie monochrome.
Slim Behiba semble avoir voulu faire une critique du caractère sacré des institutions et des lois au détriment de la liberté des hommes qui les honorent et les appliquent. Un court métrage efficace, percutant et qui fais réfléchir.
Note : 7/10
Dans ce court métrage du Ghana, coproduit avec l’Allemagne et réalisé par Johannes Krug en 2019, Kwame est un vendeur ambulant orphelin qui vit chez son oncle. Rêvant de devenir acteur, il tentera plusieurs stratégies afin d’augmenter ses gains pour lui permettre d’aller étudier en art dramatique. Comble de malchance, l’échoppe de son ami Josh où il entrepose son stock sera volée et ils vont perdront tout. En dernier recours, Kwame se fera passer pour un prophète et ira même jusqu’à feindre des miracles avec son ami afin de récolter des dons sur le marché public.
Ces jeunes hommes misent sur la naïveté des gens dans l’unique but de faire profit, mais leur affaire rapporte. Ironiquement, Kwame dénonce à maintes reprises l’hypocrisie des chrétiens, en particulier de son oncle qui prie tous les jours, mais refuse de l’aider lorsque celui-ci se retrouve dans l’embarras. Josh, quant à lui, est dégoûté de s’être fait voler alors qu’il était en train de prier à l’église.
Dans ce film, on remet en question l’importance de la religion dans une société où elle est omniprésente. Kwame ne croit plus en Dieu depuis que sa famille a péri dans un accident de voiture. Il navigue athé dans un pays où tout le monde a la foi. On sent à plusieurs moments qu’il est tenté d’y croire, de s’accrocher à une lueur d’espoir.
Leur escroquerie sera éventuellement dévoilée et ils devront passer à une autre étape. Kwame, insatiable, aura encore une fois les yeux portés sur le gain.
Bien que le sujet traité soit sensible, la trame narrative est aussi empreinte d’humour. Divine 418 – Hustler Hawkers est un film accessible dont le ton est léger dans un but de divertissement.
Note : 7.5/10
Pour un rien est un court métrage dramatique réalisé en 2019 par le Burkinabé Sekou Oumar Sidibe. Le film est tourné en français.
Johanna, femme d’un haut fonctionnaire aimant le luxe, se retrouve faussement accusée du vol du téléphone portable d’une vieille dame dans une boutique. Elle subira une attaque violente de la part des badauds.
Au début du film, on montre de jolies images de la ville. Johanna est une jolie femme, frivole, bien mise. Les gens vont la juger durement parce que cette femme est privilégiée et agit de manière hautaine. Accusée à tort du vol du téléphone portable, il n’en faudra pas plus pour qu’on s’attaque à Johanna pour la punir de son crime. Celle-ci implore ses bourreaux de la laisser partir jurant qu’elle n’a pas volé la dame.
Alors que, au départ, le film semble léger et qu’on ne voit pas venir l’escalade de violence, an assiste rapidement à la destruction de la beauté. On voit des gens, haineux, qui lui arrachent ses vêtements et ses cheveux qui la rouent de coups allant jusqu’à chercher à l’immoler avant ce que la vérité soit découverte.
C’est aussi un choc de constater à quel point il leur semble normal de juger et de condamner une femme dans la rue sans aucune preuve de son crime. Le réalisateur a voulu montrer l’effet d’entraînement qui peut se produire dans une foule. Personne ne remet en question son comportement jusqu’à la toute fin alors que la vérité éclate. Un court métrage saisissant.
Note : 7.5/10
Après avoir publié une question controversée sur Facebook, Aisha rejoint son amie au centre commercial. Ensemble, elles discuteront de plusieurs sujets tabous et des interdits dans leur pratique religieuse. Elles échangeront, entre autres, sur la chose qu’elles aimeraient faire si elle n’était pas interdite par l’Islam.
Aisha voudrait se faire épiler les sourcils. Son amie va vivement la décourager, allant jusqu’à lui dit qu’il s’agit d’un péché grave. Monosourcil au front, Aisha est convaincue que cet attribut physique ingrat l’empêche de se trouver un mari. Ironiquement, selon l’Islam, elle pourrait se faire épiler les sourcils avec la permission de son mari. Chagrinée, elle déplore ce cercle vicieux sans issue. Aisha décidera finalement de se rendre au salon d’esthétique pour demander une épilation.
Il est étonnant de constater le contraste de leur propos foncièrement traditionnel avec l’environnement contemporain et notamment l’utilisation des réseaux sociaux. Il est aussi choquant pour une occidentale comme moi de constater que ces femmes ont besoin de la permission des hommes pour une chose aussi anodine. L’intensité dramatique mise autour d’un dilemme sur l’épilation ou non des sourcils est difficile à avaler.
Il y a aussi un discours sur l’acceptation de soi dans ce film. Mais toujours nuancé dans une optique religieuse. Le sujet d’Eyebrows semble frivole, mais soulève effectivement plusieurs questions sur l’acceptation de soi et sur les droits et libertés de la femme.
Note : 8/10
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