« – We should have left earlier. It’s an operation. I can’t be late.
– You won’t be late.
– It’s only a fish.
– You still have to feed it.
– Flush it.
– Flush you! »
L’intrigue du film Ordinary Love de Lisa Barros D’Sa et de Glenn Leyburn se résume facilement : un vieux couple, Joan (Lesley Manville) et Tom (Liam Neeson), marié depuis de nombreuses années, savourent leur retraite en s’adonnant à un bonheur calme au sein de leurs quatre murs. C’est un « amour ordinaire » qui ne réclame pas d’esquive à la routine dont certains seraient effrayés. Pour Joan et Tom, par contre, leur petit monde en Irlande du Nord – les courses au supermarché, les promenades au bord de l’eau, les soirées télé avec une bière à la main – suffit pour les rendre heureux… Ou alors : après avoir perdu leur fille trop jeune, ô combien rassurant est un quotidien qui fonctionne bien. Mais quand Joan détecte un nœud dans sa poitrine, le couple se trouve de nouveau face à une terrible épreuve…
Le film commence et finit par les festivités de Noël qui marquent le point culminant du repli sur soi dans le chez soi. Cette fête religieuse ayant une aura de paix si persuasive, elle semble marquer une trêve à toutes les horreurs que les agneaux doivent affronter durant l’année restante. Tel est exactement le cas dans Ordinary Love. Quitte à trop révéler, retenons pour nous rassurer (car lorsqu’il s’agit d’histoires de cancer, qui ne veut pas entendre un happy end pour changer ?) : au début du film, Joan et Tom décorent leur maison en toute tranquillité, ignorant encore ce qui adviendra, et à sa fin, ils en feront autant – le bonheur étant de retour. Certes, la période entre les deux événements est bouleversante et pleine d’incertitude, mais suit chronologiquement le traitement « ordinaire » d’un patient atteint du cancer du sein : les premiers examens, la biopsie, l’enlèvement du nœud dans une première opération, la chimiothérapie, la reconstruction des seins dans une deuxième opération, sans oublier les attentes incessantes et les effets secondaires cruels, eux aussi « ordinaires » dans ce genre de thérapie. En somme, une narration classique.
La critique anglophone ne tarit pas d’éloges sur ce film d’après elle peu « ordinaire » : les acteurs, Lesley Manville et Liam Neeson, seraient le choix idéal : Liam Neeson étant surtout convaincant dans un rôle à l’autre polarité des films d’action hollywoodiens dans lesquels on le voit habituellement. « I didn’t want to be a different character to who essentially I am: Liam Neeson from Northern Ireland. I found that very liberating […] » [Je ne voulais pas être un personnage différent de ce que je suis au fond : Liam Neeson d’Irlande du Nord. J’ai trouvé ça très libérateur], commente-t-il son personnage. Ensuite, juge la critique, le film serait extrêmement touchant dans le sens où il montre un amour inébranlable, une solidarité mutuelle où l’un est prêt à tout faire pour l’autre, et ceci grâce au scénario brillant d’Owen McCafferty qui, en plus, y raconte une histoire vraie personnelle.
En principe, je n’ai rien à y opposer mais, en dépit de tout ceci, appelez-moi froide ou impassible, je n’ai guère été touchée. L’histoire est triste, c’est vrai, mais combien de fois l’a-t-on déjà racontée ? Joan est admirable dans sa manière de gérer le diagnostic et de parler aux autres malades – à s’enquérir au sujet de la chimiothérapie, à les encourager, à plaisanter avec eux – on la sent presque dans le rôle d’une journaliste, celle curieuse et empathique, mais qui reste, semble-t-il, toujours « en dehors » de ce monde stérile, comme le poisson de Tom derrière les vitres de l’aquarium. Bizarrement, c’est la mort soudaine de cet animal que Tom est obligé de jeter dans les toilettes qui m’a le plus émue. Ce poisson sans voix qui ressemble tant à sa femme…
À aucun moment elle ne partage ses émotions et les questions qui pourtant pourraient la hanter durant cette période pas du tout « ordinaire », mais singulière et digne d’être racontée : les émotions au sujet de sa propre finitude, les questions au sujet de sa féminité menacée par la perte de ses seins et de ses cheveux. En faisant l’amour à Tom, après la reconstruction des seins (procédure n’ayant jamais été remise en question non plus), elle lui demande : « Do you miss them ? » [Ils te manquent ?] Tom répond, un peu irrité, : « Do YOU miss them ? » Ce qui se passe dans la tête de sa femme reste inarticulé. Dommage.
Ceci dit, Ordinary Love n’est pas un film mauvais. C’est un très bon film même, mais il ne me semble ni exceptionnel ni innovateur, ni au niveau thématique ni au niveau de sa réalisation technique. Tout de même, avouons que le choix du décor – les tons terreux des objets, la boiserie de la maison – comme cocon familial est fort réussi, ce que le co-directeur Leyburn met en avant lorsqu’il affirme : « The house is designed to feel like Tom and Joan’s cocoon. If you look at how we used the curtains and how you don’t really see the outside […], [i]t’s like Tom and Joan have closed themselves off from the world. » [La maison a été conçue de façon à ce qu’elle fasse ressentir le cocon de Tom et de Joan. Si vous faites attention à comment nous avons utilisé les rideaux et à comment vous ne voyez pas vraiment l’extérieur […] [c]’est comme si Tom et Joan se sont isolés du monde.]
Ce repli sur soi est la première impression que le public obtient, d’ailleurs, en entendant les paroles de la chanson I’ve Got My Love to Keep Me Warm composée par Irving Berlin dans les années 1930 et interprétée dans le film par Billie Holiday vingt ans après, en plein essor économique. « The snow is snowing, the wind is blowing, but I can weather the storm! What do I care how much it may storm? I’ve got my love to keep me warm », fredonne-t-elle pleine de conviction et en contemplant l’affiche du film – Joan de face dans les bras forts de Tom, prenant toute l’image et légèrement soulevés (et ainsi idéalisés) par la contre-plongée, le ciel couvert dans leur dos en arrière-plan (le « danger » restant ainsi hors du champ de leur attention) –, l’on réalise à quel point cette idée fataliste vaut aussi pour le couple nord-irlandais.
Avez-vous envie d’un film à la thématique sérieuse, aux acteurs magnifiques qui ne vous déprimera point, mais qui vous laissera avec un sentiment cotonneux ? Sans hésiter, je vous conseillerais Ordinary Love de Lisa Barros D’Sa et de Glenn Leyburn. Si vous êtes intéressés à des analyses psychologiques plus profondes ou à des explorations féministes, j’aurais quelques réticences…
Note : 7/10
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