L’acrobate – Le désastre de notre rencontre

« Tant de fois je suis tombé. Tant de fois je me suis relevé. »

L'acrobate - afficheMontréal est ensevelie sous la neige. Alors que les grues dansent leur ballet hypnotique en plein centre-ville, deux étrangers se croisent dans un appartement inachevé. Une rencontre fortuite, une attirance violente, une dépendance irraisonnée… Le premier homme est d’origine russe, acrobate de profession, mais une jambe brisée a fait bifurquer son destin. Le second est impassible et tiré à quatre épingles, pétri de non-dits. Qui domine qui, qui manipule qui? Car l’amour est douloureux, et les relations humaines complexes. Avec ce sixième long métrage au rythme méditatif, Rodrigue Jean poursuit sa démarche singulière, à la fois mystérieuse et frontalement explicite.

Rodrigue Jean est sans doute la figure la plus énigmatique du cinéma québécois. À la manière de Réjean Ducharme, l’artiste évite le contact avec les médias et insiste à ce que sa photo ne soit jamais prise. Les quelques sites qui font sa biographie évoquent des études en sciences pures, sciences humaines et littérature, suivies par une carrière de chorégraphe, un retour aux études à Londres – où il apprend le théâtre et monte des pièces – et, enfin, une carrière de cinéaste avec son premier long métrage, Full Blast… réalisé à 42 ans. Depuis ce succès, le cinéaste indépendant a poursuivi avec des longs métrages de fiction et le documentaire incontournable qu’est Hommes à louer, autour duquel s’est formé le collectif artistique Épopée. Chose certaine, toute la singularité du parcours de Jean se reflète dans ses films, y compris son plus récent : L’acrobate

Deux hommes se rencontrent dans un appartement cossu du centre-ville de Montréal. Deux hommes durs, blessés dans leur fierté intime. Le trapéziste russe, musculeux et stoïque, qui s’est blessé à la jambe et ne peut exercer son métier. Le bourgeois comme il faut, qui semble avoir du succès en tout, mais qui est rejeté par sa mère malade alors qu’approche la séparation dernière. Les deux hommes deviennent vite amants, en une relation sauvage qui devient de plus en plus malsaine.  

Corps à corps

Acrobate 2
Sébastien Ricard et Yury Paulau

Hommage clair au Dernier tango de Paris, le film est un huis clos intimiste et frontal qui dissèque les phénomènes du désir, de la manipulation, de la jalousie et, comme c’est souvent le cas chez Jean, de la masculinité. Il faut dire que Jean est un cinéaste de la corporalité. Les rapports entre les personnages s’expriment par la confrontation physique et la domination brute d’un partenaire par l’autre. La caméra colle aux personnages, pénètre leur intimité corporelle. La mise en scène repose beaucoup sur le mouvement des personnages qui sont chorégraphiés dans les moindres détails. L’influence de la danse et du théâtre s’observe dans la dimension physique du film, ce qui n’est pas sans rappeler Full Blast. Du reste, l’étude de la sexualité entre hommes a toujours été un sujet au cœur du cinéma de Jean et cet opus ne fait pas exception à la règle. Le réalisateur se plait à décrire ou à montrer les rapports homosexuels sans complexes et sans tabous, que ce soit en fiction ou en documentaire. 

Une cinéphilie riche

acrobateSi le spectateur s’attend d’abord à assister à un drame sexuel, il ne peut s’empêcher de se demander si le long métrage ne serait pas en fait un thriller, tant la santé mentale des protagonistes est à remettre en question. Et tant leurs pratiques atteignent une dimension troublante. Plusieurs indices subtiles du film laissent croire que des actes criminels ont été commis (des personnages semblent disparaitre du film sans raison). La conclusion anxiogène au possible ne laisse aucun doute. La mise en scène créé un climat sombre et paranoïaque tout au long de l’intrigue. Outre la référence à Bertolucci, Jean se montre un afficionado de Kubrick et de Tarkovski, de par sa capacité à créer une ambiance froide et onirique au cœur de vastes décors minimalistes. Les scènes hypnotiques montrant des acrobates en pleine action et les plans saturés de rouge contribuent au magnétisme inquiétant du film. Il en va de même pour les nombreux plan-séquences qui montrent les bâches de construction s’agiter au vent. L’acrobate baigne dans une atmosphère d’une inquiétante étrangeté.  

Dans la lignée de son Amour au temps de la guerre civile, Jean fait de la ville de Montréal enneigée un personnage à part entière. Les personnages sont montrés en train de l’arpenter de long en large. La ville a une vie, une énergie propre, créée par les nombreux plans dans les rues ou sur les grues qui effectuent ni plus ni moins qu’un balai, que capture le cinéaste, autour du nid des protagonistes, en un reflet des performances de l’acrobate. L’environnement est essentiel à la mise en scène. Cependant, la ville de Montréal n’apparait pas beaucoup plus rassurante que l’intérieur du huis clos. Le réalisateur mobilise le langage de telle manière que toutes les scènes dans les rues de la ville sont hantées par un sentiment de paranoïa, d’agoraphobie. La ville semble être un décor hostile et chaotique dans lequel errent tous les protagonistes de Jean. On parlerait presque ici d’une démarche expressionniste où la mauvaise conscience subjective des personnages semble affecter l’univers du film censé être objectif.

Note : 9/10

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