« Jusqu’à présent nous étions mus par la certitude du progrès de l’Humanité. »
Réflexion sur le destin de l’humanité à l’ère de l’anthropocène, Le fond de l’air est un film-manège, un tourbillon de sons et d’images. Quatrième long métrage de Simon Beaulieu, cet essai cinématographique plonge le spectateur dans une aventure sensorielle subjective consistant à vivre dans sa chair la surcharge d’informations du quotidien.
Le film s’ouvre sur une citation d’Alfred de Musset, lue par Emmanuel Schwartz, vantant les mérites de l’homme. S’ensuit une séquence stroboscopique rythmée par de la musique techno agressive et composée d’images d’archives, de plans infrarouges et de prises en 16 mm, en un mélange qui rappelle l’œuvre d’Arthur Lipsett. La séquence met en contradiction une vision idéalisée – voire abrutissante – de la société, avec des extraits d’info-publicité ou des stocks de l’alunissage, et des images qui révèlent la nature sombre de l’humanité, tirées entre autre des deux guerres mondiales. Le message du film se révèle dès les premières minutes : le monde contemporain peut facilement verser dans un chaos inimaginable.
La suite est constituée de scènes, prises en plans subjectifs, où des gens ordinaires se filment dans leurs activités quotidiennes. Des enregistrements de philosophes théorisant sur les conséquences radicales des changements climatiques viennent entourer les actions des sujets, conférant au film une dimension d’urgence latente et de claustrophobie, renforcée par un étrange personnage masqué qui suit les personnages dans la rue.
Il est difficile de dire précisément sur quoi porte cet étrange objet que propose le documentariste Simon Beaulieu. Est-ce un projet alarmiste sur le réchauffement de la planète? Une expérience immersive dans le phénomène de l’éco-anxiété? Un portrait de la modernité qui, avec les réseaux sociaux, plonge les individus dans une psychose paranoïaque à saveur de fétichisme apocalyptique? Impossible de le dire, tant la forme est éclatée. À ce propos, elle rappelle beaucoup les grands noms du cinéma expérimental, comme Vertov ou Reggio.
Il est néanmoins indéniable que Le fond de l’air porte sur la crise de la civilisation. Beaulieu tente de faire ressentir les grandes angoisses actuelles au spectateur bien plus que de les lui expliquer au moyen de longues entrevues. S’il a effectivement choisi des passages d’entrevues avec des grands esprits, leurs paroles prennent des dimensions prophétiques, bien plus que didactiques. Ces extraits servent à transmettre un sentiment de fin du monde, tout comme le reste de la démarche maximaliste du film, laquelle reprend des éléments de la société contemporaine comme la surcharge d’informations et de discours, ainsi que l’hyperstimulation sensorielle, pour mieux en faire ressentir l’effondrement proche.
Histoire de rendre le tout plus compliqué, le long métrage ne fait pas que rappeler les cinéastes expérimentaux les plus radicaux. Le réalisateur s’est en plus inspiré du film de genre, particulièrement du genre horrifique. Le crescendo qui s’intensifie sans relâche pour mener au cataclysme dévastateur, lequel est simplement évoqué dans le film, emprunte la structure du film de zombie. Les scènes où les radios et les télévisions s’allument seules même si elles sont débranchées – car, oui, il y a cela dans Le fond de l’air – proviennent pour leur part du film de fantôme.
L’élément le plus inspiré du cinéma d’épouvante est clairement le personnage masqué, raide, qui poursuit les sujets dans la rue. Ce personnage, qui provient directement du slasher movie et sert à marquer les transitions entre les séquences, représente le côté le plus fictif du film. Surtout dans les scènes tournées en 16 mm où il est montré en train d’hanter un hangar – ou un sous-sol – désaffecté.
La présence de ce type de figure est caractéristique de l’état actuel du documentaire. À une époque où ce genre est de plus en plus influencé par la subjectivité de ses auteurs, le militantisme politique décomplexé, l’expérimental non figuratif, les nouvelles technologies et les inspirations venant de la fiction, avec laquelle la frontière est brouillée, il n’est plus surprenant de voir apparaître un personnage de film d’horreur au cœur d’un documentaire présenté aux RIDM. Chose certaine, le réalisateur propose ici un film au diapason du documentaire contemporain.
Les dernières séquences du Fond de l’air, au son de chants liturgiques et de sirènes d’alarme, laissent le spectateur avec un sentiment de désespoir sourd, à mesure que les discours prennent une dimension de plus en plus apocalyptique et que se succèdent à l’écran des images d’espaces désertés. Des plans dans la ville d’Athènes se révèlent particulièrement douloureux, alors qu’ils évoquent la fin du progrès qui a pris naissance dans la Grèce antique.
Note 8.5/10
Le fond de l’air était présenté aux RIDM les 16 et 19 novembre 2019.
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