«Je ne pense pas à faire des courts métrages; je pense à raconter des histoires. Cette histoire, Sweetheart, est un court métrage parce que ça ne pouvait être rien d’autre qu’un court métrage.»
–Marco Spagnoli
Dans le cadre d’Italie tout court!, François et Fannie ont rencontré, pour Le Petit Septième, Marco Spagnoli, journaliste et réalisateur. Son premier court métrage, Sweetheart, sera présenté sur notre site du 9 au 12 août 2019. Il nous a parlé de son film et de son parcours professionnel autour d’un Spritz. Voici des grands extraits de cette discussion.
Vous pouvez écouter l’entrevue en italien / Potete ascoltare la versione in italiano
Fannie: Comment est venue l’idée de Sweetheart ?
Marco: L’idée n’est pas de moi. C’est étrange parce que je n’ai jamais pensé faire de court métrage. Parce que je n’ai pas une grande passion pour le court métrage. Souvent, les courts métrages sont des babioles pas réussies. C’est une chose qu’a dite une fois Alexander Payne que j’ai trouvée très juste. Ça ressemble un peu au rapport qu’ont les films avec les séries télévisées: au contraire des films, les séries télévisées sont vues par tout le monde. Le court métrage c’est la même chose. Il n’est presque pas vu. Ça ne plaît pas beaucoup aux spectateurs parce qu’ils n’ont pas le temps de s’investir dans l’histoire. Ils durent 20 minutes, 15 minutes… Donc, je n’ai jamais pensé en faire. Nicola Guaglianone [le scénariste] est un bon ami à moi. Nous voulions travailler ensemble. Il m’a dit : « J’ai cette histoire que je voudrais raconter »…
(Au serveur) Puis-je vous demander… (À nous) Non, mais c’est quand même fondamental… (Rires) (Au serveur) Puis-je vous demander deux Spritz et un Prosecco?
Mais la fin de l’histoire de Nicola ne me convenait pas. J’ai dit : « Je veux bien le faire, mais je veux laisser au spectateur décider quel est la nature du rapport entre les deux personnages à la fin ».
Fannie: Alors, Marylin Monroe et Elvis Presley sont les personnages de l’histoire de Nicola ?
Marco: Oui oui !
Nicola voulait cependant une chose différente : il voulait que la scène montre les deux personnages faisant une promenade devant le public que l’on retrouve normalement à Rome Mais nous avons eu beaucoup de difficulté à le tourner. Nous avons dû changer de lieu. Tourner au centre de Rome avec tous les gens qui s’arrêtent…
Fannie: Oui, en effet (rires)
Marco: Il n’était pas très content de ça. Il voulait que les personnages se confondent parmi les gens à Rome. Ça me plaisait, mais… Quand on a été obligé d’y renoncer… Je ne sais pas… Le début de Vanilla Sky m’a beaucoup plu, quand Tom Cruise est seul à New York. Donc, c’est pour cela que ça me semblait beaucoup plus touchant de voir cette Rome vide, complètement vide… artificiellement vide évidemment. Et les deux personnages qui ont cette rencontre. Parce que personne ne sait de quel type de rencontre il s’agit. Ça pourrait tout aussi bien ne pas exister. Moi je crois que c’est au spectateur de décider la nature de leur rapport, de leurs liens, de leur histoire.
Fannie: Le choix du lieu est justement très intéressant. Insérer ces deux icônes américaines dans un lieu italien, tout autant iconique, crée une confrontation intéressante pour le spectateur.
Marco: Oui oui, mais ça c’est grâce à Nicola. Il a cette grande capacité de créer, dans son cinéma, des rencontres entre les histoires, les personnages. Il a été très fort sur cet aspect. Il a fait une histoire tragique, essentiellement, et une histoire très très sophistiquée, parce que c’est au spectateur d’expliquer lui-même la nature du rapport entre les personnages.
Et c’est pour cette raison que j’ai voulu le faire, parce que c’est un court métrage qui avait des possibilités narratives vastes, une histoire que je sentais que je pouvais raconter et raconter d’une certaine manière.
Fannie: Alors, pensez-vous faire d’autres courts métrages?
Marco: En fait non. Et ça c’est une chose très importante. Je ne pense pas à faire des courts métrages; je pense à raconter des histoires. Cette histoire, Sweetheart est un court métrage parce que ça ne pouvait être rien d’autre qu’un court métrage. Je n’aime pas les courts métrages qui sont des films en 20 minutes; je n’aime pas les courts métrages qui sont des courts métrages en réalité parce que les réalisateurs n’ont pas obtenu de financement pour un film. Si je trouve une autre histoire qui ne peut être racontée que dans un court métrage, alors je le ferai très volontiers.
(Le Spritz arrive !)
Fannie: Nous savons que vous êtes journaliste avant tout. Comment est arrivée la création dans votre parcours?
Marco: Il y a une décennie environ, vers 2008, un ami m’a dit: « pourquoi tu ne fais pas de films toi ? » J’ai beaucoup de respect pour les gens qui font du cinéma et de la télévision, mais je n’ai jamais pensé faire un film. Mais quand on m’a fait cette proposition, il s’est avéré que j’avais une histoire à raconter: les Américains en Italie. Je me demandais: comment font les Américains à Rome ? Et le documentaire a eu beaucoup de succès. Et ce documentaire a allumé une lumière chez moi, et les gens ont commencé à me demander, à m’appeler. Et tout ça m’a poussé à penser à d’autres histoires.
En réalité, je ne suis pas bon pour imaginer des belles histoires. Je réalise le matériel que je lis et je construis ma pensée sur le matériel que je lis. Je ne peux faire rien d’autre que d’imaginer des histoires qui s’inspirent de la réalité. Je suis journaliste depuis tant d’années; c’est normal, je crois, que je veuille tourner quelque chose de vrai.
François: C’est risqué de devenir cinéaste après avoir écrit des critiques de films pendant tant d’années? De passer de l’autre côté de la caméra…
Marco: Je ne crois pas. Je parle pour moi, ce n’est pas une règle générale, mais moi j’écris des critiques de manière toujours très sincère. C’est la règle que je me suis donné: écrire des choses que je pourrais dire à la personne en la regardant dans les yeux. Je n’ai jamais insulté personne.
Quand j’écris, au contraire, je vois les choses que je fais; ces choses m’aident. Selon moi, c’est un avantage. Je crois que de voir autant de films aide au contraire à former sa propre pensée, son propre goût. Et ça donne aussi, surtout, une grande humilité.
Je ne me sentirais pas bien à faire seulement des critiques; je me sentirais plus frustré. Et c’est une chance que mon travail soit aussi ma passion.
François: Les acteurs, vous les connaissiez déjà avant ?
Marco: Oui, oui ! C’est un des avantages du travail de critique.
Fannie: Finalement, c’est plus facile de devenir réalisateur après avoir fait une carrière de critique parce que vous avez déjà développé un grand réseau dans le milieu du cinéma?
Marco: Je ne sais pas. Pour quelques aspects c’est certainement plus facile. Cependant, les acteurs n’ont pas en général ce genre de rapport avec les critiques. Moi au contraire j’ai toujours voulu avoir un meilleur rapport avec eux, j’ai toujours eu une grande volonté de connaître les personnes qui contribuent à un film et les acteurs sont de ce point de vue fondamentaux.
François: Revenons pour terminer, à Sweetheart. Pourquoi choisir un titre en anglais ?
Marco: C’est Nicola qui a choisi le titre. Il a choisi tout de suite ce titre et c’est vrai que ça renforce l’effet d’étrangeté des personnages. Ce ne sont pas des personnages italiens en somme; et de cette façon c’est bien que le titre soit en anglais. Le jeu de mot avec Sweetheart me plaisait aussi. Ça semble peut-être évident pour vous, mais pour un Italien qui ne comprend rien de l’anglais, il ne sait pas ce que ça signifie Sweetheart, et il pense que c’est au contraire Sweet / Hearts…
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Pour comprendre la – douce? – relation qui unit Elvis et Marilyn, ces deux Sweetheart de l’Amérique, rendez-vous sur notre page dès le 9 août prochain. La beauté de ce film réside aussi dans le fait qu’aucun dialogue n’est nécessaire pour transmettre au spectateur l’émotion voulue et pour lui faire imaginer la nature du rapport entre les deux personnages. Un film universellement beau, peu importe la langue que l’on parle. À voir!
Entrevue réalisée par François Grondin et Fannie Caron-Roy
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