« La vérité, c’est pas quelque chose qu’on plaque sur le réel. Tu laisses les gens, qui s’expriment par eux-mêmes, raconter le monde, raconter leur histoire, raconter leur existence. »
Sur fond d’errance à travers les lieux qui ont fait le Québec, La fin des terres de Loïc Darses interroge le récit québécois en donnant la parole à des jeunes qui n’ont pas pu voter au référendum de 1995. C’est à partir d’eux-mêmes qu’ils cherchent aujourd’hui à créer de nouvelles « Terres des Hommes ».
Pour ceux qui se le demandent, « Terre des hommes » était l’emblème de l’Expo 67, dessiné par Julien Hébert, représentant l’homme debout, les bras tendus. Cet homme, reproduit en caractères jumelés, est une expression de l’amitié universelle dans une ronde symbolisant le monde, ainsi qu’on l’expliquait dans le Guide officiel de l’Expo 67.
Maintenant, revenons à La fin des terres. Le réalisateur donne la parole à 17 jeunes d’horizons variés : Maïtée Labrecque-Saganash, Jean-François Ruel (alias Yes McCan), Carl Bergeron, Nora Loreto, Mélanie Hotchkiss, Lucia Carballo, Sibel Ataogul, Jade Barshee, Aurélie Lanctôt, Catherine Dorion, Jonathan Durand Folco, Simon-Pierre Savard-Tremblay, Pierre-Luc Brisson, Alexandre Leduc, Léane Labrèche-Dor, Patricia Boushel et Clara L’Heureux-Garcia. Qu’est-ce que ces jeunes ont en commun : ils sont nés trop tard pour pouvoir voter au dernier référendum sur la souveraineté du Québec.
Un point très intéressant de ce film est qu’on ne voit aucun de ces intervenants. On entend leurs voix en voix off et ils ne sont pas identifiés. Ainsi, si vous ne connaissez/ne reconnaissez pas la voix de l’un d’eux, vous ignorez qui parle alors. Leurs discours sont imbriqués les uns dans les autres devenant une seule voix à tonalité multiple.
« J’aime savoir que je ne suis pas juste un petit poisson pris dans le courant qui comprend rien, mais une humaine capable de bien sentir ce qui se passe, en surfant sur ces vagues-là de notre histoire, de notre époque, de notre pays. Peu importe ce qui arrive, t’es pas un esclave, t’es pas obligé de suivre le courant. Y a la naissance, y a la mort, puis entre les deux, c’est ce que tu veux qu’y a dedans. Dans le paysage donné, de l’époque donnée, t’es libre. Pis crée avec ça, promène-toi là-dedans, c’est un terrain de jeu. »
Vous n’avez qu’à les écouter pendant que vous traversez en images le Québec, entre la campagne et la ville. Les lieux visités sont souvent vides. Les cadrages, la lumière sont magnifiques. Ces images superposées aux mots créent un ensemble poétique, où les questions politiques et identitaires sont au cœur des propos.
Un point important : même si l’on revient sur plusieurs moments marquants de l’histoire du Québec, aucune image d’archives n’est montrée, aucun discours politique célèbre n’est repris. C’est par l’expérience extérieure (de par leur âge) des intervenants que l’histoire du Québec et son avenir sont racontés : l’identité, la question nationale, la place des Autochtones dans la société, l’appropriation du territoire et l’environnement.
Je nomme rarement les directeurs photo et monteurs, mais je prends ici le temps de saluer le beau travail de ceux ayant participé à ce documentaire : bravo au duo à la direction photo, Charlotte Lacoursière et Louis Turcotte, et au monteur Philippe Lefebvre.
Qu’est-ce que le Québec pour vous? Parce qu’au fond, c’est la question que ce film nous force à nous poser. Qu’est-ce qu’on veut que le Québec devienne? Que peut-on faire pour contribuer à l’y mener?
« Il nous faut retrouver l’envie et le savoir-faire d’être ensemble. »
La fin des terres permet de faire le pont entre le passé et le présent du Québec, de mettre en évidence certaines coupures ou incompréhensions entre les générations. On donne la parole à ceux qui constitueront le Québec de demain, en écoutant leurs plaintes et leurs espoirs, leurs incompréhensions et leurs visions.
Je laisse le mot de la fin à Loïc Darses :
Le cinéma ne peut pas changer le monde. Ce qu’il exprime, ce qu’il renvoie aux hommes, c’est un reflet subjectif de la nature des choses. Tout simplement. Ce reflet, geste esthétique, n’a aucune prise véritable sur le réel. Il appartient alors aux hommes – métamorphosés ou non par l’épreuve de ce reflet – de transformer ou pas ce lieu qui est le leur.
Le reflet que j’ai voulu renvoyer avec La fin des terres est celui d’une voix et d’un espace qui, je trouve, nous manquaient.
Non pas la voix d’une génération; plutôt la voix que j’avais besoin d’entendre, mais que je n’entendais plus.
Non pas l’espace d’un quelconque chantier idéologique; plutôt l’espace d’une réflexion qui m’habitait, mais que je ne pouvais plus habiter.
Note : 8,5/10
Visionnez la bande-annonce…
* Le lundi 27 mai à 19 h 30, au Théâtre Outremont, le long métrage documentaire La fin des terres (ONF) de Loïc Darses sera présenté lors d’un événement spécial organisé par l’ONF et le magazine Nouveau Projet. Une table ronde, animée par Miriam Fahmy et à laquelle participeront le réalisateur, les protagonistes du film Aurélie Lanctôt et Maïtée Labrecque-Saganash ainsi que le rédacteur en chef de Nouveau Projet, Nicolas Langelier, se tiendra après la projection mise sur pied par Ciné-Outremont.
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