« C’est pas des mauvais enfants. C’est des bons enfants qui ont besoin d’aide. »
Une place pour eux, documentaire de Sabrina Hammoum, propose une visite intimiste à l’école Saint-François. Située à Québec, elle accueille des enfants du primaire et du secondaire provenant de partout dans la province et dont « personne ne veut », comme l’un des éducateurs interviewés raconte. Personne ne les veut, car ils présentent des retards académiques et un comportement agressif ou dérangeant, le plus souvent résultat d’un grave trouble affectif (TDAH, Tourette, etc.), difficile à gérer dans les établissements scolaires réguliers, avec, dans une classe, plus d’élèves et moins de professeurs.
Pour observer les progrès des enfants, pendant une année scolaire, la réalisatrice nous plonge à plusieurs reprises dans la routine crue des éducateurs et professeurs, plus précisément tous les deux mois, partiellement en situation d’interview, le plus souvent en interaction directe avec les enfants.
« C’est pas des mauvais enfants. C’est des bons enfants qui ont besoin d’aide ». C’est ainsi que l’une des enseignantes explique la prémisse centrale de l’école. Et l’aide, ils en offrent à foison. Elle enchaîne : « Peu importe le comportement que tu auras, on va toujours être là pour toi. On est là pour t’aider. C’est un peu le message qu’on essaie de leur envoyer, à ces enfants ». À retenir : bien qu’il s’agisse d’un établissement scolaire pour enfants déficients ou inadaptés, comme ils sont appelés communément, il n’est pas question d’« extirper » le déficit ou l’inadaptation des enfants.
L’école Saint-François vise une autre mission : vivre avec le malaise et bien le gérer, en apprenant à nommer ses émotions et à établir des stratégies permettant de véhiculer l’énergie autrement que par la violence. Mais, bien sûr, il ne s’agit pas seulement de s’occuper du malaise. L’objectif est clairement aussi le progrès académique et, finalement, le travail social et intellectuel aidant, la réintégration dans le système éducatif régulier.
Si à d’autres écoles, les enfants plus faibles sont souvent la cible des moqueries d’autres camarades de classe ou ces derniers souffrent des « explosions » verbales et physiques des premiers, à l’école Saint-François, « ils sont tous pareil dans leurs différences » et peuvent apprendre dans un espace sécurisé et relaxant, adapté à leurs besoins individuels qui leur fassent idéalement se sentir chez eux. Et plus on se sent à l’aise quelque part, mieux on peut apprendre. Logique, non?
Mais quelles sont donc les stratégies adoptées par le personnel sur place afin de réaliser ces objectifs? En observant l’enseignement en classe, plusieurs aspects nous frappent d’emblée : seulement une poignée d’enfants – et presque le même nombre d’éducateurs – suivent le cours donné par l’enseignant. Afin d’assurer l’attention des élèves, les éducateurs veillent au bien-être des jeunes en créant une atmosphère détendue. L’un des concepts-clés y est la massothérapie : de fait, pendant tout le cours, les pédagogues massent le dos et la tête des étudiants.
L’autre idée fondamentale : structurer la journée en des phases très courtes – mais intenses – d’instructions données seulement à un ou deux enfants en même temps. Et si l’un d’eux dérape, il est accompagné dans l’une des « ruches » – de petites niches séparées dans le couloir – où l’enfant repose pendant quelques minutes pour reprendre le contrôle ou pour se défouler en pédalant. Au premier abord, un tel isolement pourrait choquer, mais à y regarder de plus près, on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’une punition : comme les ruches se trouvent au cœur de l’école, les enfants ne sont pas isolés, mais ont la possibilité de retrouver leur calme dans une sorte de refuge. D’où la métaphore du repaire des abeilles qui piquent parfois, mais nous offrent aussi une richesse énorme.
Enseignante, je connais les problèmes des professeurs, mais je suis également consciente du débat autour de la séparation des enfants « problématiques » dans des écoles spécialisées. En effet, il s’agit – du moins en Europe – d’une solution contestée par les adeptes du principe de l’éducation inclusive partant de la prémisse qu’en mettant ensemble tous les enfants, les « normaux » et ceux aux besoins particuliers, tous en profiteront, car les uns ne sont pas isolés et les autres développent, entre autres, des compétences sociales importantes.
Toutefois, en observant la patience inépuisable de l’équipe et l’idée profondément humaniste de l’école, je ne puis que dire : Chapeau! Une place pour eux n’est certainement pas un film qui cherche le raffinement esthétique, mais on sent bien le respect profond de sa réalisatrice Hammoum devant une telle initiative inouïe.
Vous aimez, comme moi, les petites abeilles? Prenez part à la ruche en regardant Une place pour eux…
Note : 8/10
Visionnez la bande-annonce :
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