« J’ai un maillot de bain! »
« I have a swimsuit! »
Dans un quartier pauvre d’Égypte, la nouvelle de l’ouverture de la piscine réservée pour une journée aux femmes fait sensation. Au fur et à mesure que les femmes affluent autour du bassin, une série d’évènements auront lieu…
Un jour pour les femmes (2016) de la réalisatrice Kamla Abou Zekri est un film arabe qui montre la condition des femmes dans une petite ville pauvre d’Égypte à l’exemple de trois habitantes : Laila, Chamiya et Azza. Récipiendaire du Grand Prix « Ousmane Sembene » au festival marocain FCAK (Festival du cinéma africain de Khouribga), le film fête sa première internationale cette semaine au Festival Vues d’Afrique à Montréal.
Les trois protagonistes sont très différentes les unes des autres, mais sont liées, au fond, par un passé douloureux. Laila vit apathique depuis l’accident fatal de son mari et de son enfant. Le monde extérieur, ses gens, ses odeurs, sa lumière, ne l’atteit plus. L’antithèse est frappante : elle, la belle et jeune vendeuse de parfums, a perdu le goût de la vie. Depuis l’évènement tragique, elle mène une vie à l’ombre, sous la lumière blafarde d’une ampoule mourante.
Chamiya, son amie, mène une vie tout à fait différente : modèle nu d’artistes, elle est toujours prête à passer en revue le dernier ragot et à faire perdre la tête aux hommes avec son rouge à lèvres voyant. Toutefois, elle aussi souffre d’une histoire d’amour mal finie, car elle ne s’est jamais remise du fait que son grand amour, Amal, s’est plié à l’ordre de son père et l’ait planquée du jour au lendemain. Deuxième antithèse dans ce film : à quarante ans, le modèle nu est encore vierge sous son pyjama Hello Kitty.
Enfin, la troisième femme : Azza, la naïve, la « petite idiote », jeune femme apparemment restée enfant qui joue au foot avec les garçons dans la rue, qui rit toujours à gorge déployée et qui est la première à caracoler dans l’eau rafraichissante de la piscine. Néanmoins, elle non plus ne vit la vie insouciante qu’on lui attribue. Orpheline depuis la mort précoce de ses parents, elle vit chez sa grand-mère démente qu’elle soigne jour et nuit, renonçant par pur altruisme à sa propre vie, soit : pas de formation, pas de métier, pas de mari. Avec elle, les antithèses sont complètes, du moins pour ce qui est de l’inventaire personnel.
Lorsqu’en plein été la piscine locale déclare ouvrir ses portes le dimanche exclusivement pour les femmes, l’eau fait émerger une délicate révolution sexuelle ainsi qu’une véritable renaissance cathartique de certaines baigneuses.
Séduites par leur porte-parole, la jeune femme Azza qui se jette à l’eau la première en criant fièrement « J’ai un maillot de bain! », les autres femmes du village, plus sceptiques tout d’abord, la rejoignent et prennent plaisir à ce cadeau inattendu – car soyons bien clair : c’est le maître-nageur libéral qui en a eu l’idée, les femmes n’ont pas elles-mêmes réclamé ce droit.
Quoi qu’il en soit, les femmes se régalent d’avoir enfin un lieu où elles peuvent parler librement des dernières rumeurs (les hommes parlent politique), où elles peuvent causer des hommes (ai-je mentionné que seuls les hommes parlent politique?) et, surtout, oublier leur dur quotidien. À l’intérieur du cadre sécurisé de la piscine, elles se sentent à l’abri, mais bientôt elles se mettent aussi à rapporter cette solidarité féminine dans leurs foyers pour affronter leurs hommes. Ah, la vie comme un dimanche, quoi!
Le message émancipateur ne fait plus aucun doute lorsque la réalisatrice décide de filmer – au ralenti et en plan rapproché – les voiles multicolores descendant tout lentement dans l’air au bord de la piscine. On imagine Kamla Abou Zekri savourer ce moment libérateur et décisif derrière sa caméra. Le ralenti sur le slip d’une femme tombant au sol, celui-ci on le connaît des films traditionnellement machos. Depuis Mulvey, on sait que ces films satisfont le désir du regard masculin.
Dans Un jour pour les femmes, le ralenti fait un clin d’œil à ses prédécesseurs, mais satisfait le regard d’une femme languissant de liberté tout en vexant possiblement le regard masculin traditionnel. Ce qui ne doit pas être montré – les cheveux défaits, la peau nue – n’est pas filmé furtivement en flou ou à distance –, mais en plan rapproché et en toute tranquillité.
Certes, après Chamiya se met à dire ses quatre vérités à son ancien amant, certes, Laila en fait autant à son frère fanatique, et certes, Azza, d’une manière un peu plus cryptée peut-être, pose également ses propres règles de conduite à Ibrahim qui, depuis peu, s’est mis à courir après elle : « J’ai un maillot de bain! », lui répond-elle alors sur un ton menaçant, message voulant dire grosso modo « Attention : je suis une femme libre et je ne me soumettrai pas à un homme! ». Nonobstant ces actes d’émancipation, l’esprit féministe de la réalisatrice repose surtout dans ses plans inhabituels.
C’est une histoire d’émancipation, mais c’est aussi une histoire d’amour… chacune des trois femmes vivra une véritable renaissance grâce à la piscine. L’eau, symbole féminin maintes fois cité dans les arts, devient ici aussi synonyme d’un havre de paix, un utérus protecteur qui héberge les femmes du village souvent maltraitées ou humiliées par les hommes dans leur vie.
Hésitante au départ, Laila plonge et faillit ne plus revenir à la surface. Rescapée, ce n’est que maintenant qu’elle arrive à pleurer sur la mort de ses proches et à s’ouvrir pour un nouvel homme qui lui avait envoyé des textos optimistes essayant de la réconforter et de l’inciter à lever le voile noir qu’elle a posé sur sa vie afin qu’elle reprenne enfin sa vie. Avec lui, bien sûr.
Bercée par la présence des femmes, Chamiya, elle, se met aussi à libérer toute la tristesse accumulée – pour elle, la catharsis portera également des fruits : Amal, n’ayant jamais oublié sa bien-aimée, revient en ville, prend son courage à deux mains et lui déclare son amour éternel. Cute!
Et Azza? Pas de souci, la porte-parole du petit groupe émancipateur ne manquera pas non plus de Roméo, tout aussi compréhensif et libéral que ceux des deux autres femmes.
Chaque fille semble tout de même rester… une fille. Une princesse rêvant de son prince charmant à l’américaine. Pourquoi parler de l’inégalité politique et sociale de tout un sexe si l’on peut aussi parler des dernières rumeurs et des hommes? Ainsi, on voit Laila flirter timidement avec son admirateur secret qui la ramène à la joie de vivre par ses messages optimistes tout comme un certain Roméo d’un blockbuster hollywoodien.
Ainsi, on voit Amal tomber dans les bras de Chamiya, amour de jeunesse et femme de sa vie, ici aussi, comme un certain roman de Nicholas Sparks. Enfin, on observe Azza se blottir contre ce mécanicien moderne qui la conduit sur sa moto et la fait sortir le soir dans un Burger King tout comme le ferait n’importe quel héros américain. On l’aura compris. Message politique – ici, les droits des femmes – et kitsch ne s’excluent pas.
Critique sociale et histoire d’un mouvement féministe en Égypte? Ou conte de fées, comédie romantique calquée sur les modèles hollywoodiens? Un jour pour les femmes est un peu le mélange des deux. Et à mon avis, ce n’est pas le meilleur des mélanges. C’est clair, il est possible que des femmes égyptiennes tombent sur leurs princes charmants et pas sur de sales cons louches et misogynes. Mais à cette fréquence et avec cette perfection? Un P. S. I love you de Cecelia Ahern en même temps qu’un The Notebook de Nicholas Sparks?
Peut-être qu’avec Un jour pour les femmes la réalisatrice a voulu permettre aux spectateurs de se perdre dans un monde idéal, un rêve apaisant, mais, en présentant une intrigue idéalisée à un tel point, elle ne fait, me semble-t-il, que la rendre encore plus irréaliste aux yeux de son public, et avec elle son message politique, aggravant ainsi l’écart entre la fiction et la réalité.
Note : 6/10
Un jour pour les femmes est présenté au Festival Vues d’Afrique les 17 et 22 avril 2018.
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