Les Sommets (ter) – Quelques derniers pics… (1/2)

Le festival du cinéma d’animation 2017 touche à sa fin et si une chose est sûre c’est que les organisateurs ont tenu leur promesse initiale : celle de montrer toute la panoplie diversifiée à l’intérieur du genre « animé ». Qu’il soit classique ou expérimental, qu’il soit narratif ou expressif, chaque film nous rappelle à sa propre manière les racines étymologiques du genre commun : l’idée d’insuffler – à l’aide d’images et/ou d’une histoire – une vie, une âme (latin animus/animare) à ce qui, à la base, est inanimé (dessins, poupées…) ou simplement trop abstrait (idées et réflexions). Mais avant tout ils m’ont « animée » à réfléchir sur leurs sujets. Et j’envoie alors à travers l’Atlantique mes petites pensées autour d’une sélection de cinq courts métrages (de 3 à 14 minutes), peut-être que cette bouteille à la mer finira par « animer » votre propre curiosité, chers navigateurs sur le web…

Les plus expérimentaux : Stanzas et Not my type

Stanzas et Not my type renoncent tous les deux à une narration classique facile à identifier. Au lieu de raconter clairement une histoire, ils mettent en images leurs thèmes (le caractère méandrique de la pensée dans Stanzas et l’histoire de la typographie dans Not my type) de façon expressive et évocatrice sans pour autant se perdre dans « l’art pour l’art ».

J’avoue que j’ai été initialement intimidée par leur caractère hermétique. Toutefois, après ce premier choc, ils ont réveillé ma curiosité investigatrice – je voulais les déchiffrer. Et je puis vous dire : les courts métrages demandent parfois davantage d’attention du spectateur appelé constamment à inférer, mentalement, ce qui restait implicite dans le clip. Voici le fruit de mes essais de déchiffrement…

Stanzas (États-Unis, Pologne, 6 min.)

Stanzas 1Stanzas de l’animatrice polonaise Alicja Jasina est une transformation multimédia (audiovisuelle) du poème éponyme d’Aldous Huxley dans lequel le poète britannique du début du 20e siècle décrit le caractère méandrique de la réflexion humaine dans le « paysage » de notre imagination. « Thought is an unseen net wherein our mind is taken », scande une voix masculine en off le début de Stanzas – italien pour « strophe », mais aussi pour « chambre ». Et il est vrai : ce qui, au début, ressemble à une juxtaposition chaotique de formes incohérentes les unes des autres se clarifie – comme un puzzle intellectuel – à la fin.

Au début, les mots du poème comme « matériel de travail » sont déformés et regroupés en noir et blanc dans des formes géométriques. Ensuite, ils disparaissent pour laisser place à des formes non-géométriques. Ainsi, le vers qui était écrit sur noir et blanc se voit symboliser par des espèces de « vers » animaliers dynamiques et multicolores. La liberté recherchée par le je lyrique – celle qu’il ne trouve paradoxalement pas dans sa propre pensée, car « words, that should loose our spirit, do but bind new fetters on our hoped-for liberty » – se met en place dans la dernière partie du film où tout ordre, toute contrainte, est déconstruit(e).

Car la déconstruction se voit partout dans ce film, et avec quelle astuce! Voici un petit exemple qui montre la libération de la pensée par la déconstruction de l’ordre classique :

Stanzas 2
Déconstruire l’ordre pour donner libre cours à la pensée

Après la déconstruction de l’ordre géométrique – symbole des contraintes de la vie ou des schémas conceptuels préétablis qui nous empêchent de penser « librement » –, après la déconstruction même des formes moins rigides, on assiste à la pure libération de l’esprit à l’aide du non-figuratif. Aucune structure à laquelle on pourrait s’accrocher, aucune structure qui pourrait guider – et ainsi : déterminer – notre pensée. Les couleurs vives qui se confondent à ce moment-là les unes dans les autres visualisent parfaitement l’expression « laisser libre cours à l’imagination ».

En un mot : dans Stanzas, la forme se met à « mettre en scène » le contenu donnant un renouveau vif à la poésie visuelle (Apollinaire, Gomringer…). En même temps, ces six petites minutes sont si denses qu’elles nous amènent à remettre en question notre façon de penser. Car il est vrai : à y regarder de plus près, nos pensées ne sont pas toujours libres – comme une chanson populaire germanophone tend à nous (ou plutôt : me) le faire croire. Bien souvent, elles sont façonnées par ce que nous avons vécu dans le passé, mais là nous nous trouverions déjà dans un tout autre sujet, celui de la Trame d’enfance de Christa Wolf (« Kindheitsmuster »).

Regardez l’effet de ce court métrage. Il vous fera certainement, comme moi, voyager d’une « stanza/chambre » à l’autre de votre imagination…

Not my type (Allemagne, Suisse, 3 min.)

Une métaréflexion, un jeu innovateur avec la typographie, il y en a plein dans le deuxième film : Not my type, production allemande/suisse de Gerd Gockell. En l’espace de seulement 3 minutes des images s’enchaînent très rapidement les unes après les autres pour retracer, dans ce film expérimental, l’histoire de la typographie et des médias imprimés.

Not my type - insecte
Le fameux moustique

Détail drôle : un moustique curieux s’égare et se fait finalement écraser entre les pages des manuscrits médiévaux joliment décorés qu’on voit sur leurs différents supports – papyrus, parchemin, papier – et qui témoignent des évolutions décisives dans l’histoire médiatique de l’humanité.

En arrière-plan, pas de voix explicative humaine, mais le son de la machine à écrire. Comment nous faire comprendre, sans l’expliquer, que chaque texte est un « tissu », comme l’indique le mot latin textere, un tissage de mots, au lieu de fils qui par leur cohérence et cohésion enveloppent nos réflexions? Ce court métrage arrive à nous le montrer avec excellence.

Tout comme Stanzas, Not my type a recours à la technique de l’effet de distanciation brechtien pour pousser son public à une réflexion plus approfondie. Dans Not my type, les images brunâtres initiales laissent deviner une sorte de texture beige avec des « points » noirs impossibles à définir au premier abord. Franchement, sans avoir lu la description du film, je me suis demandé s’il s’agissait de galettes suédoises moisies. C’est dans la seconde moitié du clip que la devinette se résout : en effet, les premières secondes montrent un zoom radical sur les manuscrits, mettant à nu, justement, le caractère « tissé » de chaque texte, caractère qui normalement reste invisible. Génial, n’est-ce pas?

Sommets 3
Processus intellectuel dans Not my type. Étape 1 : texture d’une galette suédoise moisie? – Étape 2 : Non! lettres sur le parchemin médiéval!

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